Cette neuvième édition du Motocultor fut l’occasion d’enfin me frotter à ce festival, à son équilibre précaire entre ambiance familiale et affiche de qualité. Avec 20 000 entrées sur trois jours, la manifestation a moins attiré que l’an dernier, mais a limité l’impact de l’effondrement des préventes suite à l’attentat de Nice. Les organisateurs ne peuvent pas encore confirmer s’il y aura une édition en 2017, mais assurent que ce sera le cas en 2018. Les festivaliers, eux, ne se sont pas préoccupés de la trésorerie et leur plus grand souci semble avoir été la pénurie de croque-monsieur à l’unique (!!!) stand de restauration du fest.
Vendredi
Il bruine dès le début, mais peut-on décemment partir à un festival en Bretagne et râler parce qu’il pleut ? Non, ce serait comme se plaindre des gens défoncés au Roadburn, ça n’a pas de sens. T. A.N.K ouvre la marche, et ce que j’en entends au loin ne m’incite pas à braver le crachin pour changer de chapiteau, même pour quelques dizaines de mètres.
Witchthroat Serpent balance ensuite son stoner/doom aux faux airs d’Electric Wizard en bien plus rock. Les Toulousains ont d’ailleurs troqué les ambiances de messe noire de la bande à Jus Osborn pour une atmosphère qui sent davantage l’Arizona et le peyotl. Leur version hallucinée et saturée de la danse de la pluie semble fonctionner, puisque celle-ci s’invite sur scène via les nombreux trous dans le chapiteau. Par un miracle climatique digne de Claude Allègre, il ne pleuvra guère plus au cours du Motocultor. Le site ne se transformera ni en champ de bouillasse, ni en charnier pour amplis trempés.
Les black metalleux de Moonreich semblent faire du bon boulot au loin mais, les ayant déjà vus au Hellfest, je préfère en profiter pour explorer le site du festival. Comprendre : je repère l’entrée de l’espace VIP. Je ressors de la tanière pour Barabbas. Le choix du chant en français et leur rengaine théâtrale évoquent une sorte de Misanthrope du heavy/doom qui fonctionne assez bien.
La curiosité et le besoin de justifier ma présence par un max de photos m’entraînent ensuite devant Vulcain. « On se sent un peu orphelins sans Motörhead », lâche leur vénérable frontman. Qu’il se rassure, le public s’est trouvé un Lemmy de substitution. Impossible d’ignorer l’influence du père Kilmister sur la musique de Vulcain, on frôle le tribute band. Ils lancent un petit Avec vous, très communicatif et tiré de leur dernier album en date. On se prend au jeu et on passe vite sur les impressions de déjà-entendu.
Attendri par ce revival nostalgique, je me dirige sans me méfier vers la Massey Ferguscene où sévit Atmosphères. J’imagine l’enfant caché de Tool et Meshuggah, une infortunée créature dont le nombre de chromosomes serait aussi fantaisiste que les signatures rythmiques d’une partoche de Dream Theater. Des riffs déstructurés complètement génériques affrontent un synthé immonde. Je me tourne vers le public, visiblement ravi, et je loue sa bienveillante ouverture d’esprit avant de battre en retraite.
En quête d’un remontant viril, j’attends le concert de Grave. Ces vétérans du death metal suédois lâche leurs lourdes mélodies old-school, desservies par un son un peu limite. La bande à Ola Lindgren communique bien avec le public, arpente la scène au rythme de mon lent headbang d’approbation. « Who wants some old stuff ? » s’écrie le frontman, y’a pas mal de preneurs dans la foule.
Entre ses affiliations politiques et son goût du mystère, l’excellente scène black metal ukrainienne n’envoie que rarement ses troupes de notre côté de la ligne Oder-Neisse. Dans la foulée du Ragnard Rock Festival, focalisé sur la patrie des frères Klitschko, Khors a décidé de faire du zèle et de nous honorer de sa présence. Super son, super voix, de bons arpèges et des riffs épiques à souhait, la bande de Kharkiv se dégage une belle identité face à ses plus illustres compatriotes, Drudkh et Nokturnal Mortum en tête. Leur musique gagnerait peut-être à devenir plus agressive, la brutalité n’a cependant jamais été la marque de la scène ukrainienne.
Mais les drapeaux jaune et bleu et les costumes de cuir clouté laissent plus tard la place à une interprétation bien plus légère de l’héroïsme médiéval. Le public bout sous le chapiteau, la terre tremble alors que les fans trépignent… Metallica va faire un concert surprise ? Le zombi de Lemmy s’apprête à chanter un ultime Ace of Spades ? Non, c’est juste l’heure du Naheulband.
« Chaussette ! Chaussette ! Chaussette ! » Le show n’a pas commencé que tout est dit. Si vous n’avez pas compris la référence derrière ce cri de ralliement du public, alors il est encore temps de partir. Le Naheulband c’est un peu comme le meilleur comique néerlandais : il peut être aussi drôle qu’il veut, on se fait grave chier si on ne comprend pas la langue. Si vous savez que « chaussette » est la solution d’une fameuse énigme du donjon de Naheulbeuk, alors c’est parti pour une heure de marrade et de nostalgie.
L’ancêtre des web-séries d’aujourd’hui nous livre ses « tubes » dans la bonne humeur : La bière du donjon, À l’aventure compagnons, Le laridé du poulet… Par la nature acoustique et folklorique du set, on entend particulièrement bien le public reprendre en cœur les chansons potaches et régressives.
Samedi
Le Motocultor s’éveille pour sa seconde journée pendant que Regarde les Hommes Tomber balance un puissant set dans la veine sludge/black, capuches et perfectos de rigueur. Un peu plus tard, je m’aventure enfin vers la Supositor Stage, la scène plein air du fest.
Goatwhore y a sorti ses plus beaux ensembles de cuir clouté pour une cérémonie de black/death oldschool et efficace. Le chanteur tend un poing si bardé de pics qu’on le soupçonne d’avoir amené une famille de hérissons à la fistinière, mais sa prestation n’en reste pas moins prenante et communicative. Le son est excellent et on profite même pour bien distinguer la basse, une chose rare rendue possible par le choix de n’avoir qu’un seul guitariste. Les Américains servent du fuel à headbang sur un plateau et le public réclame du rab.
Moins TRVE sur le plan vestimentaire, on observera Valient Thorr et les bottes si rouges du chanteur que même le petit chaperon n’en aurait pas voulu. Ça swing à mort, le moment de faire le plein d’énergie positive avant Mayhem. Les parrains du black metal norvégien ont joué uniquement l’album De Mysteriis Dom Satanas, en entier et dans l’ordre s’il vous plaît. Première constatation, le son, qui a souvent été le gros point faible scénique du groupe avec les pains, est excellent. Il est sûrement plus facile de le gérer avec une playlist homogène où il ne faut pas passer de Deathcrush à A Grand Declaration of War. La discographie de Mayhem s’étale en effet dans des directions et des ambiances très différentes en fonction des albums, ce qui produit parfois des enchaînements déroutants.
Il n’y en a donc cette fois-ci que pour leur premier album et Mayhem livre un de ses meilleurs shows depuis bien des tournées. Attila assure une prestation très théâtrale, mais jamais grotesque, sur une scène plongée dans la fumée et des ténèbres bleutées. On profite enfin de morceaux oubliés des playlists habituelles, comme Life Eternal ou Cursed in Eternity.
Tout aussi baigné de jeux de lumière bleue, le set de Neurosis enchaîne dans une autre ambiance, superbe démonstration de l’éventail d’émotions que présentent les musiques amplifiées. Le groupe fête son anniversaire et sort sa massue de trente ans d’âge, une arme polie par trois décennies d’exigence sur scène, comme au studio.
L’excellent son renforce l’impression d’une menace planante, un gros vautour aux ailes brisées. Neurosis évoque une élévation par la lourdeur, tout comme la poussée d’Archimède parvient malgré tout à tenir à flot des supertankers. Les instants de respiration ne durent que le temps que la saturation prenne son élan.
On ira ensuite hocher violemment de la tête devant la prestation de Carpenter Brut, une plongée dansante quelque part entre le monde de Nicolas Winding Refn et Hotline Miami. Le sweat Mgła du leader ne trompe pas sur ses racines musicales tandis qu’il balance ses fabuleuses mélodies dignes d’une bande-son Sega sous stéroïdes.
Après les néons très 80’s de Carpenter Brut, on passe à un nuage verdâtre. Un brin de sépia, un gros coup de gaz de tranchées, nous voici dans la bonne atmosphère scénique pour Amenra. S’il reste encore quelque chose d’aérien dans la musique de Neurosis, la bande de Courtrai officie plusieurs crans plus profondément dans le cathartique.
Colin van Eeckhout chante voûté, dos au public, comme s’il était gêné d’en exprimer autant, à la manière d’une séance sur le divan d’où l’on ne croiserait jamais le regard du psy. Le groupe déroule son post metal teinté d’influences black avec l’intensité qu’on leur connaît. Des riffs lancinants nous entraînent jusqu’aux accalmies à double tranchant. On notera une superbe interprétation de « The Pain. It Is Shapeless. We Are Your Shapeless Pain.”.
Dimanche
J’arrive un peu plus tard que d’habitude sur le site pour le dernier jour et je suis direct accueilli par un beau combo choucroute 80s, perfecto et lunettes de soleil. Quelque part entre Voivod et Death, Vektor reprend depuis 2004 le flambeau d’un thrash metal progressif un peu délaissé. Technique et variée, la musique des Ricains se disperse cependant parfois trop, sûrement pour répondre à un vague cahier des charges « prog » qui provoque des excursions mélodiques hors propos. Le groupe entonne un Pteropticon, plus représentatif de leurs forces et qualités.
Pour rester sur une approche vestimentaire, le cliché voudrait que les musiciens de stoner/doom arborent des dégaines de bûcherons. Vu le son que balance Conan, ils ne coupent rien de moins que des séquoias géants. Un chant lointain vient percer au milieu de la disto et d’une basse lustrée à la graisse de baleine, un déluge de ce groove lourd et précieux que tant de groupes du même style rêvent de maîtriser.
J’apprends juste en écrivant ces lignes que Graveyard a splitté et que j’ai donc assisté à un concert quasi historique. Cela ne m’ôtera pas l’impression de m’être un peu fait chier devant cet étrange revival 70s. Les Suédois ont beau avoir braqué toutes les friperies rétros du coin et livré une prestation super pro, le courant ne passe pas autant que dans leurs amplis Orange de rigueur.
Plus loin, une bande de Ricains montre son approche plus pragmatique du psychédélisme. Chez Bongzilla, on n’attend même pas la fin des balances pour faire circuler les joints aussi librement qu’une hépatite au Obscene Extreme. Muleboy assure son rôle de petit pimousse du stoner/sludge et on se doute que rien ne passe les tests salivaires ni les normes audititives.
Retour sur la scène plein air pour des travaux pratiques. La règle de base de la photographie voudrait qu’on ne bouge pas pendant le déclic, mais comment rester statique quand le concert qu’on shoot commence direct part Schematics, puis enchaîne avec One Shot One Kill ? Bref, Dying Fetus est dans la place et torpille le public avec le death/grind le plus rôdé de tout le metal extrême.
Plutôt que de lancer un pogo sauvage au milieu des collègues, je me contente de divers exercices de renforcement musculaire de la nuque tandis que le public simule une partie de calcio florentin de l’autre côté des barrières. Ça blast au taquet, les passages lents écrasent tous les breakdowns du monde, puis des sweepings meurtriers viennent achever les survivants.
L’air hostilité ne retombe même pas entre les morceaux, puisque que John Gallagher et Sean Beasley ne profitent des pauses que pour réclamer un circle pit ou plus de bordel dans la fosse. Le public attend juste que la musique revienne justifier de savater amicalement le voisin. Le concert se termine sur les subtils et délicats Killing on Adrenaline et Kill your Mother, Rape your Dog.
L’ambiance change radicalement pour Batushka, dont les mystérieux membres auraient été recrutés dans l’élite du black metal polonais (en particulier Mgła selon les rumeurs). Dans une atmosphère tirée de la liturgie orthodoxe, leur unique album s’appelle après tout Litourgiya, huit Polacks encapuchonnés dans leurs robes de bure sortent bougies et encensoir.
Fatalement, tout le public n’adhère pas au trip et Batushka se fait chahuter tandis qu’ils installent leur scène, pieds nus et sans un mot. Le premier morceau calme illico les moqueries grâce à la solidité de ses riffs. Les divers passages en chant liturgique impressionnent, tant l’exercice promettait d’être casse-gueule en live.
Je termine donc la neuvième édition du Motocultor sur une messe orthodoxe, avec l’espoir que ce concert ne sonne pas comme un requiem pour un festival qui a su trouver sa place dans les tournées estivales des groupes et le cœur du public.