Mercredi 9 novembre 2016, Halloween et l’élection Etatsunienne étant désormais derrière nous (quoique), il est temps de se rendre à la grand’messe prévue ce jour au nouvel Elysée-Montmartre. Les gatherers sont convoqués et pénètrent les uns à la suite des autres, sous une fine pluie, dans ce lieu baroque et Cosy, désormais à dominante blanche. Certains acquittent leur dîme au stand de Merch du seul groupe, lequel s’est abstenu de voyager en compagnie d’une quelconque première partie, puis s’agglutinent au bar afin d’y acheter une pinte de bière. Le mot « Merch » paraît ici quelque peu grossier, puisqu’hormis les t-shirts et Hoodies du groupe, sont également proposés à la vente des travaux un peu plus Arty, notamment le « Youth’s The Anarchist Colouring Book », le livre d’illustrations du prolixe bassiste, inspiré par Dada et Goya. A peu de choses près, et en règle générale, un concert de Killing Joke, aurait plus sa place dans la Art Zone de ce Webzine, que dans la catégorie Live Report. Voyons voir.
Une musique sombre et incantatoire, emplit progressivement la salle : elle ressemble bigrement à celle qui a précédé le concert de Ghost en juin dernier… Etrange. 20 heures 33 : vêtu d’une gabardine noire très 19e siècle, Jaz Coleman précède sur scène Youth et Geordie, lesquels se placent respectivement à sa gauche et à sa droite, sur le lent et massif tempo basse-batterie-guitare de « The Hum », leur classique de 1982. La foule quitte le bar et se masse au même rythme dans les premiers rangs. Première constatation : l’Elysée-Montmartre n’est pas comble. Dommage. Les travées dégarnies permettront à celles et ceux qui le souhaitent de danser et de circuler à leur guise. La mélancolique voix du métisse Anglo-Indien, bien plus grave que sur une version studio déjà vieille de trente-quatre ans, entonne doucement « Slowly, slowly all fall down… », le premier morceau d’une série de dix-neuf ce soir. 20 heures 38 : sous une légère nappe de synthé, et des lumières d’un bleu intense, Paul Ferguson tricote une intro très Dance sur ses cymbales, des filles crient, Jaz leur répond « Bonsoir » et nous salue. Ce sera « Love Like Blood », leur Single absolu de 1985. Deuxième constatation : le groupe est heureux d’être là et de jouer. Sur une scène minimaliste, Jaz a cette fois délaissé son maquillage blanc shamanique, Youth et Geordie ont sorti leurs Rickenbacker et Gibson jaune-dorée et sourient de concert. Le son est compact, lourd mais clair. Ne l’oublions pas, nous tenons ici plusieurs des meilleurs musiciens et producteurs de la planète Terre. Le Beat est New Wave. Deux spectateurs reposent leurs bières sur le zinc en même temps (synchronique).
20 heures 46 : « Fuck America… » (on devait fatalement y avoir droit) balance celui qui a renoncé pour toujours à la nationalité Britannique, afin d’adopter la nationalité Néo-zélandaise après l’intervention de Tony Blair en Irak. Et Geordie d’enchaîner sur l’intro du magique « Eighties ». Dans le clip duquel Coleman campait le rôle d’un politicien US-URSS (oui, oui). Les premiers rangs se déchaînent précisément à ce moment-là. Puis toute l’enceinte. Version rapide et vigoureuse. Le chanteur harangue une audience qui lui mangerait dans la main. S’ensuit le lancinant « Autonomous Zone », le premier titre de « Pylon » sorti l’an dernier. Batterie Punk, tonalité industrielle, chant hypnotique. Avare en discours (tant mieux, moins on l’ouvre plus nos propos marquent), Jaz prophétise « A New Cold War Began ! ». Car « New Cold War » de 2015 est le cinquième morceau de cette soirée. Passé cette première demi-heure, le concert prend sa vitesse de croisière, piochant tous azimuts dans quatre décennies d’une lumineuse carrière : « Exorcism » (1994) ; « Requiem » (1980) ; « Change » (1980) ; « Turn to Red » (1979) ; « European Super State » (2011). A l’intro de « Requiem », le taciturne chanteur pose la question « What you think about President Trump ? ». Et ce sera tout pour le volet géopolitique de la prestation.
Etonnement, seules deux chansons de l’excellent dernier album seront jouées ce soir, et ce, contrairement aux précédentes dates de cette tournée « The Great Gathering » 2016. « Dawn of the Hive », pourtant offert la veille au public d’Utrecht, ainsi que la semaine précédente à celui de Londres, est donc resté bloqué à la frontière Française. Un autre petit regret : l’absence de tout titre provenant de leur génial « Democracy » de 1996… A 21 heures 21, le groupe, qui ne s’est toujours pas changé, entame le récent et véloce « I am the Virus », leur « I am the Walrus » à eux. A leur droite se tient un Roadie géant et goguenard en t-shirt noir, lequel veille au grain technique, sous des lights blanches et rouges. Applaudissements. 21 heures 25 : Killing Joke va gravir la dernière ligne droite du gig en se concentrant sur son répertoire premier : « Complications » (1980) ; « Empire Song » (1982) ; « Unspeakable » (1981) ; « The Wait » (1981) ; « Pssyche » (1982)… Et de ravir ses fidèles gatherers de la première heure.
D’ailleurs, sur la travée droite de la salle, une petite blondinette au carré, T-shirt bleu clair, Jeans bleu et Docs, se déchaîne, alternant danse gothique et petits sauts verticaux post-Punk. Elle suit son chanteur des yeux. Très gracieuse, une vraie publicité ambulante pour la Blague qui tue et son style. Je lui demande si elle est Anglaise. Et non : elle est Française, mais a vu Killing Joke pour la première fois à Londres en 1980. Elle me présente son grand fils qui l’accompagne (une bonne tête de plus que moi). Et cela résume bien le groupe et sa culture : trois générations et des styles musicaux différents, réunis dans le même lieu, portant la même ferveur. 21 heures 41 : ovations et rappel sur « The Death and Resurrection Show » de 2003, massive rengaine Indus au rythme presque Caribéen, comme un hommage aux quartiers métissés de la capitale Anglaise. Un « Wardance » ultra gras, et le classique de 1994 « Pandemonium » ferment le ban de ce Rock Show. Acclamations. Jaz Coleman n’a toujours pas quitté sa gabardine, et essaie d’attraper le son avec sa main. Fin à 22 heures pile. Un des concerts de l’année.