Interview Arkan, Release party de Kelem

mardi/06/12/2016
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Interview Foued et Manu, Arkan
Release party 22 Novembre 2016

 

Art n’ Roll : Au fait, pourquoi avoir choisi le nom Arkan, qui signifie « pilier » en arabe ?

Foued : Précisément pour cette raison-là.C’est un terme qui se prononce de la même manière en français et en arabe et pour nous c’était intéressant d’avoir un terme qui soit.. ya plein de mots qui sont liés, mais pas de la même manière et qui n’ont pas la même signification.

C’est une référence comme une autre, mais dans l’Islam il y a 5 piliers et dans Arkan il y a 5 lettres. Bon ça a pas tellement de rapport avec la théologie, c’est un symbole comme un autre.

ANR : Il y a quand même une notion de force, d’ancrage ?

Foued : de force, d’ancrage et de pont. Réellement, le fait qu’on soit liés entre nos deux cultures, entre mes deux cultures, puisque pour le coup quand j’ai créé le groupe, c’est là-dessus que tout se basait. C’était vraiment sur le fait que mes deux cultures qui ne font qu’un, puissent exister dans un domaine où j’avais envie d’exprimer cette dualité et Arkan était pour moi le mode le plus simple.

AnR : Après le départ de Sarah, comment avez-vous recruté Manuel Munoz ?

Manu : Pôle Emploi Intermittent ! [Rires] Et bien il s’avère que Foued et moi avons un passé, puisque nous avons enregistré deux albums avec The Old Dead Tree en… on va pas dire les dates, c’était il y a quelques temps. Et ça faisait déjà deux ans qu’on parlait de retravailler ensemble. Alors initialement ça devait être sur un titre pour un album d’Arkan. Et puis il s’est avéré que quand Foued m’a proposé de passer en studio pour voir quel titre pouvait le plus me correspondre, Sarah était déjà partie, ils étaient déjà dans l’idée de trouver quelqu’un d’autre. J’ai choisi le titre qui me paraissait le plus dans mes cordes, me venir le plus naturellement. C’était « Capital City Burns » qui se trouve à la fin de l’album et puis assez naturellement, dans le cadre du studio de répétition on a un peu jammé ensemble, on a joué, j’ai chanté et les choses se sont faites naturellement. Pour ma part il y avait un petit pas à passer : ça faisait très très longtemps que je n’avais pas été membre d’un groupe à temps plein. Et l’insistance de Foued a été salutaire en ce sens, je ne regrette pas du tout, et me voilà aujourd’hui et je suis très très fier de défendre « Kelem », le dernier album d’Arkan.

AnR : Chacun de vos albums explore des domaines particuliers, assez éloignés. Comment choisissez-vous le thème de vos albums ?

Foued : C’est une très bonne question… Chaque album parle de choses qui nous sont chères. Sur « Burning Flesh », notre 1er EP, on était sur un constat… alors on n’était pas très très loin après le 11 Septembre, après Madrid, après Londres, et on a vécu ça de manière assez percutée ou agressée et on a voulu exprimer notre point de vue sur l’histoire d’un terroriste. C’est un peu ce qui s’est passé sur chaque album : parler de quelque chose qui nous semblait important et essayer de donner notre point de vue. Sur « Salam » on est sur une approche tolérante de la relation entre les peuples. C’est un album qui parle de tolérance, de paix. Déjà c’est quelque chose qui nous semblait important parce que quand on a créé Arkan, on était aussi sur une approche très très ouverte de la façon dont on voulait travailler ensemble. La majorité des musiciens était d’origine maghrébine et on voulait absolument qu’un des musiciens soit français. Donc Florent qui est au chant, la partie la plus visible, était notre porte-drapeau et quelqu’un qui montre la tolérance. « Salam » est un album qui parle de tolérance. On a invité Kobi Farhi d’Orphaned Land sur un titre où il chante en hébreu et où il a une grosse part du chant de ce titre-là

« Sophia » est un album qui répondait à une émotion du moment, c’est notre vision du deuil. C’était pas tant un album qu’on aurait voulu partager de cette manière-là. Ça aurait été un peu indécent, mais la musique, c’est notre seul mode de communication, donc « Sophia » était là pour donner notre ressenti du moment avec des émotions très dures à porter. Et « Kelem » est plus ancré dans la réalité avec un constat assez dur de ce qui se passe aujourd’hui, de notre incapacité à être à la hauteur, que ce soit nous les pays occidentaux, les autorités en place… et les incidences d’une révolution qui n’aurait dû avoir que des bienfaits et sur le drame des familles occidentales qui voient leur enfant se convertir à un Islam radical qui est plutôt du terrorisme plutôt qu’une religion, voir des gens mourir en mer ou finir sous des cartons en Europe avec très peu d’argent pour subvenir à leurs besoins, etc. C’est notre point de vue de l’actualité.

AnR : et il y a « Hilal » aussi ?

Foued : Oui, « Hilal » c’est un album qui est intéressant parce qu’il est moins fort dans le thème parce qu’il venait après « Burning Flesh », un mini-album qui avait été très bien accueilli mais qui était très dur dans les paroles et « Hilal » avait pour but de parler des origines du monde arabe avant que ce soit le monde arabe. On parle des Sumériens, avant que les gens se séparent en fait. Il y avait aussi quelque chose de la tolérance, d’appartenance à des peuples multi-culturels. On parlait du monde arabe qui a fini par se décomposer entre les Perses d’un côté, les Arabes de l’autre, les Occidentaux, etc.

AnR : il y a un lien entre chaque album, la tolérance…

Foued : C’est ce qu’on aimerait faire. Sur « Sophia » c’est peut-être un peu différent mais finalement pas tant que ça parce que le message qui y est diffusé à longueur de titres c’est surtout l’acceptation d’une fatalité et donc oui d’une certaine manière c’est de la tolérance.

AnR : « Kelem » parle du terrorisme, c’était aussi le thème de « Burning Flesh ». Quelles sont les différences entre les deux ?

Foued : Sur «Burning Flesh » on a le point d’une seule personne qui va commettre un attentat et qui change d’avis au dernier moment mais on ne le sait qu’à la fin des 5 titres. Et on n’a qu’un point de vue : le sien, hormis l’intro où on découvre une explosion, des gens qui meurent… mais c’est la vie d’une personne. Sur « Kelem », Manuel Munoz qui a écrit les paroles, donnent son point de vue sur plusieurs thématiques, plusieurs histoires, plusieurs conséquences du Printemps Arabe sur notre actualité : de l’expansion de Daesh à la crise migratoire…

Manu : plus qu’un point de vue, quand Foued m’a demandé de traiter du Printemps Arabe et de ses conséquences, j’ai cherché à m’attacher à des situations, à des vies de personnes et de les raconter. Et donc j’ai pris des situations très différentes. Dans « Cub of the Califate », on va voir le point de vue d’une famille qui a vu son fils partir faire le Djihad, la famille reste en Europe et ne sait pas si son fils est en vie, qui d’un côté le souhaite et d’un autre le craint. Et de l’autre côté, dans « The Call », le fils qui va répondre à l’appel et qui va aller faire le Djihad et se rendre compte que c’est l’enfer sur Terre. « Nour » est l’histoire d’une petite fille sous des bombardements. Dans « Beyond the Wall » on va suivre les migrants qui, de frontière en frontière, refoulés devant les barrières, devant les soldats, sont juste en train de demander des conditions de vie un minimum décentes pour fuir la guerre. A chaque fois, j’ai essayé de prendre une histoire un peu différente, un personnage ou un mode de narration avec l’utilisation du « je », « tu », « il », qui va permettre par des saynètes, des images, de donner un aperçu, une photographie de tout ce que ça a créé, et malheureusement tout ce que ça a créé de négatif jusqu’ici, avec le dernier titre qui est un instrumental, « Ray of Hope 2 », qui va être la touche d’espoir. On espère que tout ça finalement, quelque chose de bien va en ressortir.

AnR : Pour préciser un peu ça, comment vous écrivez les paroles ? C’est juste un travail d’imagination, ou vous vous documentez sur les conditions de vie des personnages ou des situations décrites dans les chansons ?

Manu : De mon côté, je suis énormément d’actualité. Je ne suis pas du tout un spécialiste de ce thème-là en particulier. Mais quand Foued m’a demandé de traiter ce sujet-là, c’est pas quelque chose qui me tombe dessus de nulle part. J’ai pas cherché particulièrement à me documenter. Pour deux titres, « Just a Lie » qui retrace la traversée entre la Libye, la Turquie et la Grèce de personnes qui vont s’entasser sur un bateau, je suis allé lire des témoignages et pareil pour les migrants sur « Beyond the Wall ». Pour le reste, j’ai plutôt projeter les peurs que je pourrais ressentir si j’étais dans ces situations.

AnR : Tu es le seul à t’être occupé des paroles ?

Manu : Je me suis occupé en grande majorité des paroles. Florent, qui s’occupe de 95% des hurlements sur l’album, s’est occupé des siennes. Après, on a adopté ce mode-là pour que chacun ressente réellement, pour pouvoir interpréter au maximum les parties vocales qu’il a écrites et puisse s’identifier aux personnages qu’il a à interpréter, aux paroles qu’il va scander.

AnR : Quand on lit les paroles, on peut sombrer dans la déprime… Êtes-vous optimistes quant à l’avenir ?

Manu : Là pour l’instant, nous on a la chance d’être individuellement encore assez protégés dans une société qui, même si on a malheureusement le sentiment assez partagé dans toutes les couches de la société, le sentiment d’une société qui est en train de sombrer petit à petit, on est encore individuellement dans des situations où on a un toit sur la tête et on peut tous manger. A titre personnel, je suis plutôt pessimiste sur l’avenir. J’ai peur que quelque chose arrive et abaisse le niveau de vie de chacun et je ne parle pas du niveau de vie juste financier mais d’une société qui s’effondre assez rapidement. Pour l’instant, tout ce qu’on a fait c’est donner un constat. Tout n’est pas négatif dans la vie qu’on a mais on a le sentiment de se diriger vers quelque chose d’assez sombre. J’espère vraiment me tromper. Mais effectivement les paroles sont assez peu joyeuses. Mais dans le Metal…

AnR : Ben disons que dans le Metal en général, c’est un peu fantasmé, c’est un peu les dragons, les monstres…

Manu : Ca va dépendre des styles…

Foued : il n’y a pas de règles…

AnR : C’est pas forcément aussi actuel. Là pour le coup…

Manu : c’est très réaliste.

AnR : Voilà.

Manu : Hélas.

AnR : L’artwork de l’album est magnifique. Comment avez-vous choisi Seth Siro Anton ?

Foued : On le connaissait parce qu’on a fait une tournée avec Septic Flesh, Seth est leur chanteur. On aimait déjà son travail à l’époque, il faisait beaucoup de pochettes très sombres mais systématiquement avec un côté positif malgré tout, aussi surprenant que ça puisse paraître. Sur Paradise Lost ou Moonspell, c’était pas négatif, c’était pas gore. C’était systématiquement des créations originales qui revêtaient quelque d’assez fort. Donc on lui a proposé de travailler ensemble. Ça s’est pas fait sur « Salam », l’album qui a suivi la tournée, pour des questions de planning, c’était impossible. Sur « Sophia », on avait déjà une idée précise de ce qu’on voulait et ne voulait pas laisser la possibilité à un graphiste de nous imposer son point de vue d’une histoire, d’autant que ça aurait été très difficile dans le cadre de « Sophia ». Pour « Kelem », ça s’est avéré un timing parfait : tout change dans la vie d’Arkan aujourd’hui, un peu plus de 10 ans après la création du groupe, que ce soit le chanteur principal, que ce soit le studio d’enregistrement, le label… Et donc changer de graphiste, ça semblait idéal. Travailler avec lui c’était une opportunité. On aurait rêvé pouvoir travailler avec lui à l’époque et comme on le connaissait ça a simplifier les choses. Et pour la partie purement artistique, quand on lui a présenté le concept et le contexte de l’album, on aurait voulu vérifier que tout se passe bien pendant le process de création, et comme je communiquais beaucoup avec lui, il m’a dit : « Aies confiance. ». Donc : pas le choix. Et la veille de rendre le travail, il nous avait produit quelque chose d’exceptionnel.

AnR : Donc il n’y a pas eu d’échanges entre vous…

Foued : Il y a eu un cahier des charges qui était malgré tout assez mince. Il y a 2-3 choses dont on ne voulait absolument pas… il est dans sa période gore en ce moment, et on ne voulait pas être associés à ça. Il est aussi très porté sur Satan. Il y a quelque chose en ce moment dans son art qui est porté là-dessus. Moi j’aime beaucoup ce qu’il fait, mais je ne voulais pas que la musique d’Arkan puisse heurter et que la pochette puisse être en inadéquation avec le message de tolérance ou de compassion.

AnR : Est-ce qu’il a entendu l’album avant de créer l’artwork ?

Foued : Très bonne question ! Non pas du tout. Et il n’a toujours pas écouté l’album. Il sait ce qu’est l’album puisqu’on en a parlé et qu’il a lu tout un tas de chroniques puisque l’album a été chroniqué en Grèce également. Donc il a déjà lu et il est super content d’avoir travaillé avec nous. On échange régulièrement sur Messenger mais je n’ai jamais eu l’occasion de lui transmettre le CD. Et pour le coup il n’a pas encore eu l’occasion de l’écouter. Je me faisais la réflexion que c’était assez incroyable qu’on en soit encore là. Mais bon, il est sur la composition du nouvel album de Septic Flesh et réellement je pense qu’il n’a pas la tête à ça. Il fait son travail, c’est un bon professionnel.

AnR : Dernière question classique pour Art n’ Roll, est-ce que vous avez des hobbies artistiques autres que la musique ?

Manu :Les enfants, ça compte ? La musique prend toute la place disponible.

Foued : Il est humble, mais il écrit très très bien. Et il prend pas assez le temps… je parle à ta place, parce que tu l’aurais pas dit toi-même.. Il prend pas suffisamment le temps d’écrire en dehors de la musique. Les paroles des 3 albums de The Old Dead Tree et les paroles de « Kelem » sont formidables et je pense que c’est quelque chose qu’il a du mal à admettre.

Manu : J’écris toujours dans le cadre de la musique…

Foued : Dommage, parce que tu écris très très bien. Et pour ma part aussi, j’écris, j’écris beaucoup moins bien. Et je fais des pâtes. Elles sont pas bonnes. [Rires]

AnR : Je sais pas si c’est de l’art, surtout si elles ne sont pas bonnes…

Manu : C’est moderne, c’est déstructuré.

Foued : Nan, nan, l’écriture.

Manu : C’est vrai que c’est compliqué à partir du moment où on est musicien semi-professionnel qui a un travail à plein-temps à côté, une vie de famille, c’est rare qu’on ait le temps de faire autre chose.

Merci à Foued et Manu pour cet entretien !

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