Mamy a rencontré Niko des Tagada Jones, lors de leur passage à l’Elysée Montmartre, pour discuter de leur dernier album « La Peste et le Choléra ».
Art’N Roll : Le Bal Des Enragés à peine terminé on vous retrouve avec « La peste et le choléra », pas trop crevé ?
Niko : Ne pas avoir de pause, c’était le but du jeu. On s’est posé la question et lorsque l’on a fait le planning prévisionnel, on avait deux solutions. Soit on faisait une pause après le Bal pour prendre le temps de composer et enregistrer, ce qui nous donnait environ 6 mois à un an de pause, ou alors tout enchaîner direct. On s’est dit qu’au final c’était mieux d’enregistrer direct, car cela donnait une espèce d’urgence et de tension dans l’enregistrement, qui nous plaisait bien.
On a commencé à répéter et composer en juin, l’été on a un peu levé le pied sur la composition de l’album, et en septembre on a travaillé beaucoup plus intensément.
On s’y est mis à l’ancienne comme on avait fait précédemment sur « Dissident » dans le local de répet’ ; pas de pré-production, on joue et on enchaine les morceaux, on les enregistre tels quels et ensuite on décide de ceux que l’on garde ou pas. Ça a été une façon de faire assez drastique, et vu que là on n’avait pas du tout le temps, on n’a pas cherché de midi à quatorze heures, on a fait 19 morceaux, on en a gardé 16, on en a enregistré 13 en studio et pour au final en avoir 12 de mixés.
ANR : D’ailleurs, avec un tel enchainement au niveau de la composition, tout a dû se faire rapidement ?
Niko : C’était une velléité de le faire dans l’urgence. Ça nous est arrivé de rentrer dans le local de répet’ et d’y passer 3 h et on ressortait avec 3 morceaux.
ANR : Est-ce que c’est ce manque de temps qui a fait que vous avez de nouveau travaillé avec Stéphane Buriez à la production?
Niko : Aller vite c’était un peu le mot d’ordre donc on avait besoin de quelqu’un capable de travailler vite, et qui nous connaissait pour pouvoir faire des doubles journées, car moi aussi j’enregistre. Stef était exactement la personne qu’il nous fallait. Tu ne peux pas demander à un mec d’être concentré pendant plus de huit heures, au bout d’un moment c’est abrutissant et tu as du mal à prendre du recul sur ce que tu enregistres, donc là en étant deux, on avait cette possibilité d’enchaîner chacun notre tour, ce qui a fait que parfois nous faisions des journées de 13/14 heures, et donc que l’enregistrement se fasse très vite.
ANR : Quand tu écris les paroles, vu le bordel dans lequel on vit aujourd’hui, comment fais-tu le tri dans ce dysfonctionnement général, et à quel moment tu te dis que ce sera ce thème plutôt qu’un autre ?
Niko : Je le dis souvent en interview, si j’avais su au début que des sujets il y en aurait de plus en plus à exprimer, je ne l’aurais pas cru.
Pour cet album, vu qu’il sort à une période électorale on s’est dit qu’on allait mettre l’accent sur la politique, même si la sortie de l’album n’a pas été calculée pour sortir à cette période. Et surtout, je trouve que nous ne sommes plus beaucoup de groupes à dénoncer ce qu’il se passe en politique. Je peux comprendre qu’il y ait des gens qui souhaitent chanter des paroles joyeuses, c’est très bien, mais le problème c’est que je ne comprends pas qu’il n’y ait pas plus de groupes à passer des messages.
Lorsque l’on tourne, on rencontre beaucoup de gens, et quand tu parles avec eux, tu te rends compte qu’ils ont pleins de trucs à dire. Je pense qu’il devrait avoir plus d’artistes qui amènent ces sujets sur la table, je pense qu’ils ont peur que cela porte atteinte à leur carrière, même si selon moi c’est de la connerie. Donc c’est vrai qu’on se retrouve dans cette minorité de gens qui ont des choses à dire et ensuite, ça plait ou ça plait pas, on s’en fout, c’est notre opinion. Et pour le choix des paroles, par exemple « Vendredi 13 », après ce qu’il s’est passé, j’avais ça en mémoire et pour moi c’était un sujet qui s’imposait, un peu comme la Syrie. Je trouve quand même hallucinant, que plus d’un an après les attentats on soit les seuls à avoir fait un morceau sur cet événement qui a marqué la France.
ANR : Être un groupe qui aborde des sujets qui dérangent ne vous a pas empêché d’être dans le top 40 dès la sortie de l’album.
Niko : Tout à fait, d’ailleurs on a jamais vendu autant de disques que pour cet album. On est resté cinq semaines dans le top, on se retrouve à vendre et être dans le top des ventes avec les plus gros groupes. C’est complètement hallucinant, car on n’est pas du tout dans le politiquement correct, et surtout on est indé de chez indé. On n’a jamais eu de labels, on a toujours tout fait tous seuls, c’est ça la vraie particularité, mais c’est sans doute ce qui fait qu’il y a pleins de gens qui se retrouvent dans Tagada. A un moment, quand c’est partout la bérézina, je pense que les jeunes ou les gens en général ont besoin de quelque chose de stable. Et finalement on leur apporte ça, car on a toujours gardé la même ligne de conduite avec des discours assez tranchés, et on a jamais retourné notre veste. Je pense qu’aujourd’hui le public a besoin de ça, et aussi de pouvoir s’identifier. Vu qu’il n’y a plus de stabilité nulle part, je pense que l’on représente ça.
ANR : Parlons à présent de l’album et son contenu, on connaissait « Je suis démocratie » après Charlie Hebdo, pour « Vendredi 13 » peux-tu nous dire quand as-tu écrit ce morceau, histoire de savoir dans quel état d’esprit tu te trouvais ?
Niko : L’envie de faire le morceau est venu tout de suite, tout comme « Je suis démocratie », on était en Allemagne quand ont eu lieu les attentats de Charlie Hebdo et on a décidé de faire le morceau tout de suite. Pour « Vendredi 13 » c’était différent, nous étions en plein dans le Bal des Enragés et on n’a pas pu faire de morceaux directement après les attentats du 13 novembre. Les attentats c’est une chose à laquelle nous n’avions pas été préparés, on n’a jamais été confrontés à la guerre donc nous avions une sorte de sensation d’être intouchables, sans penser que ça pouvait nous revenir en pleine gueule. Je pense que c’est la première fois qu’on se rend compte que nous pouvons être atteints, surtout que ces attentats nous ont directement touchés, dans le sens où c’est notre milieu musical qui a été visé.
D’ailleurs, le lendemain du 13 novembre, on a décidé de jouer et de faire un titre comme ça, c’est une sorte d’auto-défense pour essayer de remonter la pente et rendre ça un peu plus fort. Il faut en parler et encore une fois, c’est incroyable que personne n’ait rien fait. On reçoit beaucoup de courrier pour nous remercier d’avoir fait ce morceau.
ANR : Cet album se nomme « La Peste et Le Choléra », avant de l’écouter on peut s’imaginer que tu parles de tout ce qui concerne notre monde (politique / économique), et pourtant ce titre parle de l’immigration. Pourquoi ce thème ?
Niko : J’avais le titre de l’album avant de faire les paroles et j’avais deux choix, soit la politique soit je faisais la Syrie, je me suis dit que tout le monde allait nous attendre là-dessus et j’ai fait exprès de faire la Syrie car c’est un sujet important. Il y a beaucoup de gens ici qui ne comprennent pas ce qu’il se passe là-bas. C’est facile de dire « ils veulent me faire chier à venir chez nous », mais au bout d’un moment il faut aussi se mettre à la place de ces personnes-là, donc voilà pourquoi j’ai choisi ce thème-là.
ANR : Dans « Mort aux Cons », tu chantes « ils sont bien loin les camarades, la musique militaire est de retour, la chemise brune au goût du jour », on comprend bien ce que tu sous-entends, selon toi qu’est ce qui a fait que ces camarades ont retourné leur veste ?
Niko : J’ai toujours dit qu’il y avait un parallèle et un pont entre les extrémistes de droite et ceux de gauche, et que le pont n’était pas si difficile à franchir.
Et là, je parle des déçus de gauche qui ont passé ce pont. Mais de toute façon, qui n’est pas déçu par la gauche ou de la politique en général? Je trouvais ça important de pointer du doigt ce sujet. «Mort aux Cons » fait partie des morceaux que j’avais en tête bien avant de rentrer en studio, parce que les gens ont besoin de repères.
Ce qui est super grave aujourd’hui c’est que le côté contestataire chez les jeunes c’est de voter FN. Ils vont juste voter histoire d’être contestataires parce qu’ils ne croient plus en rien, et surtout sans connaitre vraiment le programme et les idées réelles du parti. Car qu’on se le dise, le FN au pouvoir, comme on a pu le constater dans les mairies qu’ils gèrent, c’est que c’est du grand n’importe quoi.
Là, ils essaient de se donner bonne figure mais la réalité c’est que le cœur du parti est toujours le même. Ce morceau, j’ai voulu le faire surtout pour les plus jeunes car c’est important de montrer que le front national c’est un parti dangereux.
ANR : Parlons de « Pas de futur », est-ce un clin d’œil à « No Future » des Sex Pistols ?
Niko : Tout à fait, c’est un clin d’œil, ce n’est pas quelque chose qu’on faisait avant, mais avec le temps on aime bien faire des petits clins d’œil.
ANR : Les Sex Pistols incitaient à l’anarchie, vous plutôt à la démocratie et les droits, ce n’est pas un peu antinomique ?
Niko : Alors, pour « Je Suis Démocratie » c’était plus pour dire que lorsque l’on a la chance de pouvoir aller voter c’est important d’en profiter, et qu’au final c’est toujours mieux qu’une dictature ou qu’une monarchie. On fait un peu exprès de passer des messages qui font réagir les gens, et pour « Je suis démocratie » ça a fait réagir les gens, et c’est bien car c’est ce que l’on cherche.
Ensuite, pour en revenir à ta question, nous on se situe quelque part entre la gauche et l’anarchie. On se retrouve dans aucun parti de gauche, pour ma part je suis ni socialiste, ni coco. A une époque je me retrouvais un peu chez les verts, et au final ils sont aussi cons que les autres. Ils veulent le pouvoir et sont imbus de leur personne, c’est tous des individualistes, c’est bien pour ça que ça ne marche jamais. Un jour peut-être on aura un gars qui arrivera à rassembler tout le monde, c’est ça le projet.
ANR : Toujours dans « Pas de futur » tu chantes « ensemble faire front, se lever, passer à l’action », que verrais-tu comme action quand tu vois comment finissent les manifs de nos jours? D’ailleurs toi-même tu parles des casseurs, qui font leur loi dans la chanson, et ça fait oublier le pourquoi du comment les gens sont dans la rue, est-ce que tu penses parfois à des solutions pour changer les choses ?
Niko : Je pense aux actions citoyennes. C’est-à-dire que si demain on arrête d’acheter du coca et bien c’est fini pour eux. Chez nous, en Bretagne c’est en train de passer un cap cette façon de vivre très bio et local. Chaque semaine des fermes qui font de l’élevage intensif ferment pendant que des petites fermes bio naissent, donc je trouve ça cool car ça permet de mieux manger, de retrouver le goût des aliments. Je pense que les gens doivent arrêter de consommer comme ils le font. Si on allait tous dans un sens les choses pourraient changer. Regarde, maintenant, tu trouves des rayons bio dans toutes les grandes surfaces, et pourtant au début elles ne l’ont pas fait pour le plaisir, mais quand elles se sont aperçues qu’elles pouvaient en tirer du fric, elles ont décidées de le développer. Regarde à Paris, les épiceries bio fleurissent dans tous les sens, donc ça montre que les mentalités changent, et donc ça oblige les industriels à changer leur fusil d’épaule. Je crois qu’aujourd’hui la seule solution c’est de passer par là, une prise de pouvoir du peuple. D’ailleurs, en Espagne certains partis politiques sont vraiment des partis du peuple, donc c’est peut-être ça la solution. En France on n’arrive pas à avoir ça, mais c’est parce qu’on est un peu moutons, et on a besoin d’un chef qui nous guide et c’est bien dommage. Je pense qu’il faut faire confiance aux gens et au bout d’un moment, on va pouvoir aller de l’avant. Sinon je ne vois pas d’autres solutions.
ANR : L’album se termine avec « Le Point de Non-Retour » ce n’est pas très optimiste comme conclusion à l’album même si la chanson donne un tout petit peu d’espoir.
Niko : Pour cette chanson j’ai pensé à nos enfants, mon fils à 18 ans, la petite 16 ans et on leur laisse un monde un peu pourri. Quand on fait le bilan, tu vois Trump au pouvoir qui va revenir sur tous les traités écologiques, ce n’est pas très optimiste, avec Poutine de l’autre côté plus ceux qui essaient de péter l’Europe, ça promet !
Par contre il y a un peu d’espoir car indirectement la seule chose de bien qu’on a réussi à faire avec l’Europe c’est d’avoir une réelle entité et de plus se faire bouffer comme avant par les US et la Russie.
En Europe, on subsiste un minimum et peut être qu’on a quand même réussi à faire sortir ces idées là car je pense que c’est en Europe que sont nées les idées écolo.
Aujourd’hui, quand tu regardes l’état actuel des choses, c’est un peu compliqué donc de temps en temps faut aussi passer des messages plus choc pour « faire bouger les gens ».
C’est vrai qu’on ne laisse rien aux jeunes mais peut être que si on les éduque bien, ils arriveront à faire changer les choses.
ANR : Pour finir cette interview, parlons du visuel de l’album, on y voit beaucoup de détails. Comment avez-vous bossé ce visuel, et d’ailleurs que représentent ces 2 hommes masqués, même si on s’en doute bien, des cols blanc, des politiciens ?
Niko : Le mec avec le masque de cochon c’est l’image du mec qui profite et l’autre, c’est le masque de Hannya, le masque du démon japonais vengeur.
Mais en fait, la vraie histoire de cette pochette c’est qu’on a donné un cahier des charges à plein de graphistes et toutes les sérigraphies que l’on sort c’est d’après les trois lignes du cahier des charges : « deux entités maléfiques qui contraignent un symbole de liberté ».
Donc toutes les sérigraphies que l’on propose seront en rapport avec ce thème imposé.
Ce qu’on trouve hyper intéressant, c’est de mettre un parallèle artistique à cet album, parce que je trouve qu’il n’y a pas assez de parallèles dans la musique en général, et les autres arts. On trouvait ça important, car c’est fort le graphisme ou le visuel d’un disque. On a voulu montrer aux gens ce qu’il peut se passer dans la tête des gens avec un cahier des charges aussi réduit.