Auteur : TANKARD
Titre : ONE FOOT IN THE GRAVE
Label : NUCLEAR BLAST
Sortie le : 02/06/2017
Note : 15,5/20
« Economie sociale de marché », « milliardaires populistes », « islamistes modérés », « Europe de proximité », « extrême centrisme » ou encore « discrimination positive » : pas de doute, nous vivons une époque de mélange des contradictoires. Pour dernier avatar, le groupe de joyeux potaches Germaniques Tankard a enregistré des « chansons sérieuses ». Sans précisément le vouloir, le nom de leur dix-septième disque « Un pied dans la tombe » symbolise d’ailleurs ce grand écart. A la base, les « quatre Allemands très laids », tels qu’ils s’étaient eux-mêmes surnommés dans les années 1980, souhaitent rendre compte avec humour de leur passage à la cinquantaine. Pourquoi pas ? Après, aucun titre d’album des Rolling Stones, qui ont pourtant passé ce cap il n’y a pas loin de vingt-cinq ans déjà, n’a fait allusion à cet état de fait (à y réfléchir, Jagger en aurait fait une dépression…). De plus, la vieille garde Thrash Metal dite « Old School », des plus rupins de la Côte Ouest aux plus modestes de la Rhur, voire de la périphérie Lilloise, n’a jamais osé en référer à l’âge du Capitaine ou à l’état de ses artères. Tankard, si. Ils osent. Et avec humour, comme en atteste l’énième rigolarde pochette signée ici par Patrick Strogulski : l’Alien, apparu pour la première fois en 1989, y signe son retour… arrimé à un déambulateur, et errant dans un cimetière. Il était sorti des radars depuis celle de « Beast of Bourbon » en 2004. Une éternité, ça doit être ça… D’ailleurs, en parlant de Bourbon et de Stones, la tête de papier-mâché de cet E.T. là me fait étrangement penser à celle de quelqu’un d’autre… « Senile with Style ». So what ?
La nouveauté. Ce fameux grand écart, réside dans le fait que, pour la première fois en trente-cinq années de Tankarderies, les chansons dites « à thème » sont plus nombreuses que les chansons à boire. Sur ce point, le ventripotent Gerre nie en toute bonne foi s’être inspiré de la concurrence (Kreator par exemple), et met illico presto en avant les deux-trois morceaux bon-vivants de ce nouveau disque lorsqu’on lui fait la remarque en ITW. Dans cette catégorie Fun se classent : « Sole Grinder », dédié à Uwe « Buffo » Schnädelbach, leur dynamique Manager (« le cholérique le plus drôle d’Allemagne »), lequel commence sur un chant de supporters Allemands (Frankfurt ?) ; « Secret Order 1516 », LA chanson à bière de l’album ; et bien sûr l’ironique éponyme « One Foot in The Grave », axé sur leur âge soi-disant canonique. Il n’empêche. Trois chansons sur dix n’est pas une majorité. Car, de l’autre côté (le plus grave) : « Pray to Pay » s’attaque aux évangélistes avides de dons (thème cher à Phil Collins) ; « Arena of the True Lies » déplore les Fake News et les vilaines rumeurs distillées par le Net ; « Syrian Nightmare » relate le calvaire enduré au vu de tous par la population Syrienne depuis 2011 ; « The Evil that Man Display » évoque les travers du genre humain (très Maiden ce titre…). Outre la circonstance, relative, que le parolier confesse dorénavant voir le Monde avec un regard nouveau, celui de la maturité ; et que son batteur Olaf a écopé d’un AVC il y a deux ans ; on n’oubliera pas que Gerre est, de toutes façons, travailleur social dans le civil. Et qu’il possède un cœur gros comme ça. Bien plus gros que sa bedaine, c’est dire. Peut-être, également, que les Allemands se sentent actuellement plus concernés que d’autres par la misère mondiale. A voir.
Si le naturel ne revient pas forcément au galop au fil des textes, il est au contraire de retour, et à grandes enjambées, sur le plan musical. Et c’est là où réside le second point fort de ce « One Foot in the Grave ». En Gehhilfe (« déambulateur ») ou non, Tankard fait incontestablement montre de son savoir-faire antique, et fait la nique à bon nombre de jeunes formations. Les précités « Pray to Pay » (et son intro épique) ; « Arena of the True Lies » (et sa rythmique épileptique) ; « One Foot in the Grave » (dont le début ressemble à « Ain’t it Fun » des Dead Boys »… avant de se révéler redoutable du point de vue Thrash) ; le gueulard et sombre « Syrian Nignthmare » ; « Secret Order 1516 » aux accents de musique classique (en référence à cette date : celle de la « Loi sur la pureté de la bière », promulguée par le duc Guillaume IV de Bavière) et ses gros chœurs virils ; ne souffrent pas de la comparaison avec les nombreux classiques que les quatre loustics de Francfort ont amoncelé au fil des années. Sinon, nulle différence dans la façon d’interpréter les pochtronneries Teutonnes des morceaux plus concernés : Gerre braille les seconds de la même façon que les premières, et il ne plagie ni Sting ni Léo Ferré lorsqu’il dépeint la turpitude Sapiens-Sapiens. La batterie d’Olaf est un modèle du genre. La production est rustique mais convenable. Tout comme les compos. A gager que les quatre amis de la replète Cerveza les roderont sur les planches Outre-Rhin, avant de venir les jouer dans la patrie de Claude Brasseur. En définitive, nous tenons-là un authentique album de Thrash, très attachant, et à placer au même rang que toutes les récentes livraisons de la Classe 1980 notamment de leurs camarades de préau (dans l’ordre des sorties : Destruction ; Sodom ; Kreator). Un disque jouissif et enrichi par l’expérience. Et l’expérience étant le fruit de nos sottises, force est de constater que le truculent Gerre et sa Horde en possèdent à foison.