Quand ma copine Célia m’a proposé d’aller faire un tour à la Fête de l’Humanité, j’ai eu comme un doute : Jurassic Park, c’est dangereux un peu, non ? En bonne anarchiste, les communistes me font un peu peur. Mais ils avaient de bons arguments (musicaux) pour finalement me convaincre de faire un tour au Parc de la Courneuve en ce week-end ensoleillé de septembre !
Tout d’abord, vendredi soir, Daniel Darc, ex- Taxigirl (Cherchez le garçon) rescapé des années 80, sur la scène Zebrock. Daniel Darc a survécu à l’héroïne, mais elle lui a laissé de sacrés stigmates. Et pourtant, malgré son corps de vieillard prématuré, Darc nous offre une heure de pure extase. Ce corps délabré devient un médium au service de la musique. Et le pantin désarticulé nous chante : « J’ai besoin de quelqu’un qui n’a pas besoin de moi », « My Baby left me », « J’irais au paradis ». Il convoque Nijinsky à ses côtés et la magie opère : il devient aussi léger que feu le danseur génial. Darc conclut une des chansons sur ces mots : « J’ai gâché ma vie », mais le sourire qu’il nous lance juste après dit strictement le contraire.
Samedi, retour sur terre. Après avoir déambulé parmi les stands divers et variés de la Fête de l’Huma et m’être imbibée de fumée des différentes grillades qui jalonnent les allées, je rejoins une fois encore la scène de Zebrock pour voir Rodolphe Burger (ex Kat Onoma) délivrer son rock sensuel. Autant au fil du temps Darc s’est désincarné, autant Burger s’est incarné. Dès la balance, on comprend que la technique sera l’humble servante des émotions que les musiciens vont nous transmettre. Burger nous prend en douceur pour commencer : reprise presque alanguie de Radioactivity de Kraftwerk. Puis une chanson engagée, Ensemble (tout n’est pas possible), histoire de nous rappeler où nous sommes (chez les communistes). Puis les chansons s’enchainent, « Play with me », « C’est dans la vallée »… la guitare de Burger est d’une clarté indicible et sa voix d’une profondeur troublante. Quand la musique s’arrête il est impossible de croire qu’une seule heure s’est écoulée. Pas de rappel, malheureusement, l’orga refuse…
Alors direction la Grande Scène où officiera dans quelques minutes la légendaire Patti Smith. Moi les hippies, c’est pas trop mon truc. Alors voir Patti Smith en concert, ça ne m’inspirait que moyennement. Et le petit discours l’introduisant ne m’invitait pas vraiment à plus de bienveillance. Mais c’était sans compter l’incroyable charisme de cette artiste. La voir en concert, c’est remonter le temps jusqu’à l’époque où l’on savait rêver et réinventer le monde. Ok, là tu te dis que quelqu’un a dû mettre un acide dans ma bière pour que je me mette à délirer de la sorte ! Je ne crois pas. Et tu vas voir, ce n’est que le début ! Patti Smith, quand on lui a demandé de venir chanter à la Fête de l’Huma, elle a répondu : « Comment répondre non à un festival qui s’appelle l’Humanité ? ».
Elle arrive sur scène, habillée comme à son habitude, androgyne avec son costume d’homme, son bonnet et ses mitaines en laine. Elle les retirera au fur et à mesure de sa prestation. Elle sera tour à tour la grand-mère qui s’est imprégnée de connaissances, d’expériences, la jeune fille bondissante et gracieuse, la femme séductrice quand elle tombe la veste. Tu aurais dû voir ça : quand elle fait apparaître ses épaules, la foule en a poussé un soupir, séduit.
Elle est virile aussi quand elle prend sa guitare. Une femme puissante.
Elle nous chantera April Fool, de son nouvel album, et puis les classiques. Incroyable d’entendre tant de personnes reprendre Gloria et People have power ! Entre les chansons, et même pendant, Patti Smith lance des incantations : elle exhorte la foule à prendre le pouvoir, à défaire le travail des imbéciles, à reconstruire un monde meilleur. Et le pire, c’est que pendant quelques instants, on y croit ! Le concert s’achève avec un Rock and Roll Nigger endiablé et un message à l’adresse des Pussy Riot. Patti casse une à une les cordes de sa guitare, et nous abandonne.
Je crois que je ne me moquerai plus jamais des hippies…