Hellfest le LR de Martin
À l’approche de la mi-juin, le festivalier ajoute météo France à ses favoris et prie. Nos vœux ont été un peu trop exaucés. Plus de lourde qu’un riff de Sleep et plus chaude qu’une lampe de Sunn o))), la canicule s’est imposée pour assommer bien des fans.
L’édition 2017 du Hellfest n’en a pas moins été un succès, surtout pour les snobs comme moi qui restent à l’abri sous les chapiteaux et feulent en direction des main-stages. Trois groupes se sont vraiment démarqués, un par jour histoire d’être équitable : Wardruna, Emperor et Electric Wizard.
C’est parti.
Vendredi
Okkultokrati
Le premier concert d’un festoch a toujours un cachet particulier, c’est le moment où l’on a encore envie de tout voir et de n’en perdre aucune miette avant la fatigue du dernier jour. Ce début de Hellfest n’a en tout cas pas été la hauteur de la suite. Les Norvégiens d’Okkultokrati ont commencé leur carrière avec l’excellente idée de mélanger du Black et du Crust/D-beat, un postulat fort alléchant pour le fan d’Impaled Nazarene que je suis.
Une bonne et longue intro sur le thème de l’hypnose démarre, posant une ambiance assez malsaine avec son décompte de un à dix. Arrivé au bout, le groupe commence à jouer avec un son médiocre et sans grand coffre. Ah, le sale coup de l’intro qui claque et des mecs qui n’envoient rien derrière ! Qui ne s’est jamais marré devant un Dies Irae de Mozart ou de Verdi à fond les ballons, suivi d’un riff maigrichon et d’un cri qui s’arrête deux fois plus vite que prévu ?
Ça commence mal et ça devient de plus en plus confus. Si tous les instruments fonctionnent bien séparément, leur union laisse plus que dubitatif. Un titre comme « Hard To Please, Easy To Kill » pourrait être excellent, mais à osciller entre batterie punk, chant extrême et synthé joyeux, la sauce ne prend pas. Le groupe a le cul entre plusieurs chaises bancales et ne tient pas la route.
True Black Dawn
Avec deux albums en 25 ans et autant de changements de nom, True Black Dawn a malgré tout moins de problèmes d’identité qu’Okkultokrati. Les Finlandais officient dans une veine Black Metal bien balisée et efficace.
Corpse paint de rigueur, une bonne voix qui rappelle parfois Maniac (du moins plus que sur album) et du blast bien placé, on sait vite à quoi s’en tenir. Rien de bien original mais c’est suffisamment bien fait pour tirer de solides headbangs. Quelques escapades mid-tempo réussies achèvent de nous captiver dans cette agréable découverte, certes un peu tardive vu l’âge du groupe.
Noothgrush
L’ingé son n’a pas d’humour. Le chanteur de Noothrush racontait une petite blague sur le degré d’alcoolémie du public quand l’intro a soudain retenti. Une technique fort efficace pour faire taire quelqu’un. Pas décontenancés pour un sou, les vétérans californiens enchaînent directement sur du Sludge/Doom bien lourd.
Un groove sale enveloppe les festivaliers, accompagné d’un chant excellent. Un peu comme True Black Dawn, Noothgrush était malheureusement passé sous mon radar. En cause, un seul album en 23 ans de service et une pelletée de splits. Alors que j’avais hésité à aller voir Wormed à la place, j’ai bien fait de préférer m’aventurer sous la Valley. Comme quoi, dans le doute, il faut toujours aller là où ça sent le plus la beuh.
Valkyrja
Comme souvent, mon Hellfest consiste en des allers-retours entre les scènes Temple et Valley, je n’y coupe pas cette ci non plus. Pour Valkyrja, pas de belles blondes ni de festin au Valhalla, juste du sang, du cuir et du Black Metal. Loin de se sentir floué, le public entonne sa première grosse réponse de la Temple en acclamant les Suédois. Normal pour un set bien intense, parsemé de légers effluves de Watain.
« Madness Redeemer » résume bien toute la force du groupe, avec sa palette aussi agressive que mélodique. Fraîchement arrivé dans la bande et habitué aux multiples remplacements, le chanteur mercenaire RSDX assure une prestation excellente et puissante.
Subrosa
Avec beaucoup de mauvaise foi, on pourrait résumer Subrosa en un groupe à chanteuse avec des violons dedans. Un postulat qui évoque les niaiseries symphoniques finlandaises et hollandaises, une tête d’affiche du Wacken qui aurait ses chances à l’Eurovision, une horreur pour fans d’AMV et de My Little Pony…
Sauf que Subrosa n’a jamais versé dans ces travers et interprète une version personnelle et subtile du Doom/Stoner. La formation m’avait passablement impressionné en avril au Roadburn et je comptais bien avoir ma dose de rab. Comme souvent pour les groupes jouant aux deux évènements, le son est malheureusement moins bon au Hellfest (difficile de mieux sonner en chapiteau que dans une vraie salle).
En attaquant d’abord avec « Black Majesty », Subrosa dévoile son talent pour mettre les violons en avant au bon moment. Ils fonctionnent tour à tour comme des nappes ou des leads, par-dessus une rythmique bien calée. Une utilisation qui mérite malheureusement un meilleur son que ce à quoi on a alors droit.
Le set n’en reste pas moins hypnotique et lancinant, avec des passages si délicats qu’on entend souvent Exhumed gronder au loin, sous l’Altar. Avec quarante minutes de scène et des chansons dépassant presque toujours les dix minutes, Subrosa se concentre sur son excellent dernier album, « For This We Fought the Battle of Ages ». Le tout s’achève sur le redoutable « Despair is a Siren », sûrement leur titre le plus réussi.
Dødheimsgard
Le goût musical n’est à l’évidence pas quelque chose de rationnel et d’objectif, sinon il suffirait de mettre des notes de 0 à 10 à chaque groupe en guise de live report ou de chronique. Dødheimsgard est un cas d’école : l’exécution est bonne, les Norvégiens offrent de sacrés riffs et des ambiances aussi variées que travaillées, et pourtant ça ne fonctionne pas à ses pleines capacités.
Déjà, les musiciens se lancent directement après ses balances finales, de quoi filer quelques secondes de doute avant d’être sûr que le concert ait vraiment commencé. Fallait peut-être s’y prendre plus tôt, vu que malgré tout le son n’est même pas top, bien qu’il s’améliore par la suite (le principe des balances, c’est pas justement d’éviter de trop devoir rebidouiller la console en plein concert ?).
Avec Dødheimsgard, le Black Metal laisse la place à des moments planants, puis le bourrin revient. Cette schizophrénie est dans la nature du groupe, son ADN lui commande de partir dans tous les sens. Personnellement, ça me décontenance plus qu’autre chose, cette folie ne parvient pas à se transcender. « 21 st Century Devil », tiré de « Supervillain Outcast », illustre bien le propos : je ne vois rien à reprocher à la chanson mais je ne rentre pas pour autant complètement dedans.
Powerwolf
Il paraît qu’au Hellfest nous sommes tous frères, rassemblés par une même passion qui dépasse nos divergences qui ne seraient que d’insignifiants chipotages. Quel est donc le plus petit dénominateur commun ? Le groupe qui unit le fan de Sidilarsen à celui qui demande à être remboursé s’il a encore toutes ses dents à la fin du set de Cryptopsy ? En tout cas, ce n’est pas Powerwolf.
Traîné par des potes, à qui la bande teutonne sert de tête de Turc officielle, dans mon unique incursion sur les scènes plein air, je vois la foule se dresser entre Powerwolf et moi. Un mur d’incompréhension totale, bâti sur une interprétation ontologiquement divergente de ce que devrait être le Metal. Il est si haut que si Trump le prenait comme modèle, son ombre irait jusqu’à San Francisco.
La fadeur des riffs et le kitsch des samples d’orgues piquent sévèrement, puis un mec en corpsepaint t’explique qu’en gros il faut se battre pour l’amitié et l’honneur du metal. Je suis sûr que si un fan échappait à la sécurité et parvenait à monter sur scène, le chanteur lui ferait un câlin au lieu de lui balancer une beigne. Eurk !
Cela dit, l’interprétation est aussi pro que bien reçue par le public. Malgré tout le mal que je pense de lui, le chant reste juste et puissant (heureusement qu’il assure vu la frilosité du reste).
Cryptopsy
Pour cause d’interview avec Marduk, j’avais fait une croix sur mon running order à l’heure de Cryptopsy. Les Suédois m’ont cependant posé un gros lapin, probablement à cause d’une lan d’Hearts of Iron, d’une panne de Panzer ou d’une rediffusion surprise de Cross of Iron de Sam Peckinpah. Un peu vexé, j’ai erré dans le festival jusqu’à ce que le hurlement d’un goret que l’on châtre vienne me chatouiller les oreilles. Comme si je suivais le fumet d’un cochon de lait rôti au sirop d’érable, je me suis retrouvé sous l’Altar en plein concert de Cryptopsy.
Ça bombarde sec avec une set-list axée, sans surprise, sur le légendaire None so Vile. Certains autres albums ayant été vertement reçus par le public, pas sûr que Cryptopsy s’amuse à trop les incorporer dans ses lives. En tout cas, on n’a là rien que du solide death metal brutal et technique, j’en prends plein la gueule.
Irène Frachon serait fière, Olivier Pinard mérite sa petite citation au palmarès des bassistes de metal extrême assez courageux pour jouer sans médiator. On l’entend particulièrement bien, chose malheureusement rare dans le brutal death.
Electric Wizard
Tête d’affiche légitime de la Valley, Electric Wizard est bien entendu très attendu par les fans. Un spectacle son et lumière, avec supplément olfactif parfum « plantation jamaïcaine ». Le public arrête de rouler quand la bande à Jus Oborn prend possession des lieux et entame l’excellent Witchcult Today. L’album du même sera d’ailleurs au cœur d’un concert de haut vol.
En dehors d’une voix parfois un retrait, le son reste très bon. Niveau films, on a le droit à la ration réglementaire de soft porn satanistes et SM des années 70s. Ça, pour foutre des vidéos de vierges effarouchées fouettées par des prêtresses de Lavey, les Anglais sont toujours partants.
Le groupe enchaine sur Black Mass, Satanic Rites of Drugula et Incense For The Damned. La magie noire opère et les films laissent place à des effets psychédéliques réussis. Les tout derniers avaient même de quoi faire pâlir Jan Coenen. Le concert se termine en beauté sur The Chosen Few et Funeralopolis. Grandiose.
Marduk
Quels que fussent les soucis ayant empêché Marduk de se rendre à mon interview, les Suédois les ont réglés et débarquent à l’heure sur la scène Temple. La voix riche et puissante de Mortuus impressionne à chaque fois, il émane un charisme guerrier qui s’adapte parfaitement à n’importe quel morceau d’une discographie qui s’étale sur 27 années.
Les maîtres du black metal brutal et martial entament The Blond Beast et sa batterie étrangement dansante pour une chanson sur Reinhard Heydrich. Malgré des rumeurs persistantes comme quoi les Suédois allaient se concentre sur leur album Heaven Shall Burn… When We Are Gathered, qui a soufflé ses vingt bougies l’an passé, le set couvre toute la discographie du groupe. De Materialized in Stone à Throne of Rats, aucune période n’est oubliée.
Le clou du concert survient par un détour sur l’album World Funeral, le dernier avant l’arrivée de Mortuus dans la bande. Marduk joue coup sur coup Cloven Hoof et To the Death’s Head True et Mortuus assure comme si tout avait été composé pour lui. Histoire de conclure sur un message de paix et d’espoir, Marduk termine sur un succulent Panzer Division Marduk et tatane le public à grands coups de chenilles de Königstiger.
C’est maintenant l’heure de renter au camping et de fuir avant le début des infâmes Alestorm.
Samedi
Monarque
« Nous sommes Monarque du Québec, on fait du black metal tabarnak ! » Si ça, c’est pas une bonne manière de motiver la foule un samedi midi… L’affluence correcte, en dépit de l’heure et de la queue pour rentrer dans le fest, prouve que le groupe était justement assez attendu.
Grimage en règle et son agréable, les conditions sont idéales pour se frotter à ce représentant d’une scène québécoise en pleine expansion. Monarque parvient à produire un black metal rapide, épique et mélodique qui ne tombe jamais dans le niais. Les leads sont puissants et entraînants, comme illustré dans l’Appel de la Nuit et ses osties de riffs.
Monkey 3
Pas franchement réputé pour être le pays du rock’n’roll, la Suisse a décidé de se rattraper en pondant Monkey 3. Leur musique s’inscrit dans le renouveau psychédélique qui frappe le monde germanique, une version soft de ce que feraient par exemple Samsara Blues Experiment ou Electric Moon.
Le groupe de space rock/stoner instrumental nous fait tranquillement décoller avec une intro aux ambiances intergalactiques. Les compos passent nickel et laissent les musiciens exprimer leur virtuosité planante, les solos boostés d’un savant cocktail d’effets envoient le public dans la stratosphère.
Igorrr
Ah, Igorrr… J’ai beau l’avoir rangé dans la catégorie maudite des « groupes que j’ai envie d’aimer mais que décidément, non, ça ne passe », j’avais senti que je devais lui laisser une chance en live. Pour résumer, j’ai toujours trouvé que le génie du groupe pour partir dans tous les sens n’était que le fruit d’un agencement aléatoire de bouts de morceaux inachevés. Bref, c’est cool d’essayer de changer tout le temps, mais si ce n’est jamais vraiment bien, c’est pas la peine.
Sous sa forme de quatuor taillé pour le live (accompagné d’un batteur, de Laure Le Prunenec au chant plutôt lyrique et d’Öxxö Xööx pour le chant extrême), Igorrr était en tout cas très attendu. Non seulement les fans ont été comblés, mais je consens à revoir mon jugement sur le groupe. Sa capacité à dépasser sur scène la folie du studio offre une performance bluffante.
Très efficace rythmiquement (en empruntant aussi bien au Death Metal qu’à la Drum and Bass ou au dubstep), couplé à des ambiances d’un coup andalouses, puis baroques, Igorrr nous propulse à travers une gigantesque médiathèque en fusion. Le charisme des chanteurs ajoute à la performance, tandis qu’Igorrr reste fatalement un peu coincé derrière son portable.
Pour la suite, je suis attendu pour interviewer Einar de Wardruna, ce qui aurait pour effet de m’empêche à avoir à trancher entre Bongripper et Nails. Je frôle la Valley sur le chemin, le temps de glaner un petit riff de Bongripper (ce qui équivaut à au moins deux chansons de Nails).
Mars Red Sky
Je reviens à la Valley pour la découvrir prise d’assaut. Canicule aidant, les gens squattent toutes les places à l’ombre. Certains dorment carrément, un cas d’habitude réservé au dernier jour du fest. Par chance, tous peuvent profitent d’un très bon concert des bordelais de Mars Red Sky.
Leur stoner psychédélique planant se mêle à la torpeur imposée par la chaleur. Malgré un son un peu limite, la musique prend le public et l’emmènent dans des paysages extraterrestres, peuplés de raies mantas volantes et autres charmantes hallucinations. Le chant est légèrement sous mixé, mais il n’est de toute façon pas la grande force live du groupe.
J’hésite ensuite à tenter ma chance avec Turisas, mais je me souviens de leur précédent passage au Hellfest où j’avais dû subir un set entier de niaiseries sautillantes sans être gratifié de leur tant attendue reprise de Rasputin de Boney M. On ne m’y reprendra pas.
Chelsea Wolfe
De quoi a peur Chelsea Wolfe ? Visiblement ni du noir ni de corser ses sets en fonction du public. Au Roadburn comme au Hellfest, sa musique s’affirme avec plus de puissance et de distorsion qu’en album. Personne ne s’en plaint d’ailleurs.
Les ballades sludge s’enchaînent, dominées par des sonorités abrasives adoucies par la voix de Chelsea Wolfe. Tout en délicatesse et en delay, elle nous amène dans son monde de sirène amère. Carrion Flowers, Iron Moon et Survive, tirés de l’album Abyss, marquent un set réussi et au très bon son.
Alcest
Onirique, aérienne, féérique, éthérée… On connaît par cœur les épithètes dédiées à la musique d’Alcest. Si une large harde de trolls rôde dans la forêt du Black Metal, le groupe de Neige fait office de délicate sarabande de faunes et de sylvains. Loin de rechigner devant une petite pause de tendresse sursaturée entre deux charges d’Oskorei, je rejoins un public déjà fébrile. Ça tape dans les mains, manque plus que les briquets (j’en ai finalement vu au moins deux).
Le son et la prestation sont excellents, ceux que le style ne rebute pas hochent la tête pour comme des iris sous la brise. « L’Oiseau de Proie », tiré de leur dernier album « Kodama », incarne bien la palette d’Alcest : chant clair léger, hurlements Black Metal, calme et blast.
Neige demande qui était là lors de leur précédent passage au Hellfest en 2012 et je suis loin d’être le seul à lever la main. Les fans sont décidément fidèles.
Primus
Primus est typiquement le genre de groupe pour lequel je me dis que si je les loupe au Hellfest, je ne les entendrai jamais ailleurs. Malheureusement la Valley est pleine à craquer, elle a déjà explosé et des vagues de festivaliers débordent de partout. Même avec ma grande taille, je suis contraint de choisir entre mater l’écran géant par les côtés mais avoir un son de merde, ou me foutre dans l’alignement de la scène et ne rien voir du tout.
J’ai donc fini par abandonner, non sans avoir profité de Mr Krinkle, un bref voyage dans le monde grotesque de Primus. Les Claypool n’en reste pas moins le bassiste le plus inventif du rock, avec sa dégaine de semi-clodo excentrique qui te met la misère.
Wardruna
Sur une suggestion de mes amis, je me suis rendu bien en avance dans les premiers rangs pour Wardruna. Une bonne initiative vu l’affluence finale. La participation des Norvégiens à la BO de la série Vikings les a propulsé bien au-delà des cercles Black et Pagan qui les avaient adopté dès leurs débuts. Un succès amplement mérité étant donnée la qualité de leur musique.
Chose inédite pour moi, Wardruna va réussir un concert non seulement exceptionnel, mais surtout meilleur que quand je les avais vus il y a trois ans en salle. Le public est à fond et acclame le groupe avant même qu’il ne monte sur scène ou ne laisse retentir la moindre intro.
Einar et un compère s’avancent, équipés de deux énormes cors en bronze. Le grondement primordial et sacré des vénérables instruments annonce un voyage dans les brumes et l’antiquité nordiques. Pas de guitare ni de saturation chez Wardruna, rien qu’une interprétation sincère et sérieuse d’un folklore évanoui.
Tous plus ou moins en tunique anthracites, entourés de braseros, les musiciens transmettent une atmosphère qui dépasse largement leur petit groupe. Nous étions des milliers mais nous nous sentions aussi à l’aise que si nous n’étions qu’une dizaine, assis autour d’un feu à écouter religieusement Einar nous conter l’histoire de son peuple.
Nous touchons à cette mythologie surexploitée par les autres groupes. Cette antiquité perdue devenait enfin palpable grâce à un vaste arsenal d’instruments traditionnels et un chant parfait. Algir et Fehu furent immenses, le concert extrêmement solennel et puissant, tout juste entrecoupé des acclamations du public.
La meilleure prestation du festival s’achève sur l’habituel et sublime « Helvegen », me laissant trop comblé pour rester plus longtemps et attendre Deafheaven. Rien ne pouvait passer après ça.
Dimanche
WelicoRuss
Midi se lève sur le Hellfest et il fait toujours une chaleur à crever. Quoi de mieux qu’un groupe russe pour se rafraîchir ? WelicoRuss évoque les steppes gelées et ses guerriers païens. Ils semblent pourtant immunisés aux insolations vu qu’ils jouent en armure, peaux de bêtes et corpse paint.
Le chant est nickel et, comme dans de nombreux groupes de Black Pagan, le synthé fait tout le travail au-dessus de riffs pas très inspirés. Problème, il n’y en a pas sur scène et tout est donc samplé. Oui, personne ne joue de l’instrument principal, de quoi se dire autant écouter l’album chez soi. Le charme des langues slaves et le charisme du groupe incitent quand même à rester un peu en profiter.
Regarde les Hommes Tomber
La veille, j’avais croisé cinq types d’affilée avec le même t-shirt Regarde les Hommes Tomber (plus un ouf qui l’avait en blanc). Sans grande surprise, les Nantais arrivent en terrain conquis et devant une Temple bien remplie. Beaucoup de buzz et de tournées ces dernières années et personne ne s’en est lassé.
Le concert commence avec son brouillon, où le lead est complètement surmixé. Ça s’améliore au fil de la performance et j’ai du mal à ne pas me dire qu’à la base, c’est justement à ça que servent les balances… Ces soucis passés, le concert revient vite à la hauteur de la réputation live du groupe. Les longues plages instrumentales retrouvent leur lourdeur.
Leur approche d’un Post Black/Sludge plus direct et violent que celui d’Amenra fonctionne en tout cas très bien. Alors, devant un parterre de fans déjà conquis, tout roule nickel.
Ghost Bath
Un gros logo bien méchant dégouline sur le backdrop de la mainstage. Une belle découverte Black Metal nous entendrait-elle ? Non, puisque Ghost Bath, c’est vraiment pas très bien. Sorte de Deafheaven émasculé, le groupe dégueule un Black Gaze à la barbe à papa : ça blaste et ça crie sur des riffs ridicules et niais.
Pire, après m’être renseigné, Ghost Bath se serait fait connaître en mentant sur ses origines, prétendant être chinois (???) pour attiser la curiosité des fans. Plus à ça près, ils prétendent aussi faire du Black Metal de qualité. La grogne redescend, je trouve un peu de mansuétude en moi quand un lead infâme et joyeux me force à quitter le chapiteau.
Ufomammut
Le soleil, la bière et le cannabis ont joué au bowling dans la Valley et sont repartis avec leur comptant de strikes. Les trois quarts des festivaliers sont affalés au sol, forçant les courageux encore debout à les enjamber pour trouver un bon spot. Pas sûr que la lourdeur du Stoner/Doom groupe d’Ufomammut va aider grand monde à se relever.
Le trio instrumental italien largue son groove plombé à l’osmium au cours d’un set écrasant et puissant. On headbangue au ralenti avec la tête engluée de poix, au travers d’un marécage de riffs et d’effets. Excellent.
Scour
Aucun de ses groupes n’ayant jamais trouvé grâce à mes yeux, je me contrefous de Phil Anselmo. Avec en tête le mauvais souvenir de son ancienne tentative de se mettre au Black, Viking Crown, j’étais pas trop parti pour aller me jeter au premier rang du concert de Scour. Ceci dit, les festivals restent l’occasion de laisser leur chance à des groupes qu’on aurait a priori snobés.
Pas déçu du tout, je me retrouve devant une prestation réussie de Black Metal intense et brutal. Tout récent, le groupe n’a pour l’instant sorti qu’un seul EP de moins de quinze minutes, mais a assez de munitions en réserve pour mitrailler pendant une heure. Des morceaux comme Dispatched ou Piles déchaînent la Temple. Anselmo assure dans le chant extrême tandis que ses compères, plutôt des vétérans du Death Metal, enchaînent sans soucis les titres. Une très bonne surprise.
Mr Marcaille
J’ignore à quel point c’était prévu et annoncé, je suis en tout cas tombé sur lui complètement par hasard. Entre deux immeubles du Hell Square City, juché à l’étage derrière un grillage, Mr Marcaille a donné plusieurs mini concerts au cours du festoche. Rencontre improbable d’Apocalyptica, Hasil Adkins et Motörhead, l’homme en caleçon assure en même temps la contrebasse (saturée), le chant et la batterie.
Derrière son air de sortir du festival d’Aurillac, Mr Marcaille groove au taquet et varie agréablement son jeu. Entre deux rots, il harangue un public aussi charmé que pris au dépourvu. Ne l’ayant jusqu’alors vu que sur YouTube, c’est une bonne surprise.
Emperor
L’empereur ne se montre plus qu’en festival. Seize ans après la sortie de « Prometheus », plus personne ne croit en un nouvel album ou en une tournée en salles. Loin de lasser les fans, Emperor parvient à survivre sur ces rares scènes grâce à la qualité de ses concerts.
Ishan nous apostrophe, nous rappelle que les deux précédents passages des Norvégiens au Hellfest s’étaient faits en plein air, il nous promet un set plus intimiste sous la Temple et « Alsvartr » résonne dans la foulée. C’est parti pour une setlist centrée sur « Anthems to the Welkin at Dusk », album qui fête ses vingt ans.
Le son se rapproche de l’ambiance du CD et donne un sacré souffle à « Thus Spake the Nightspirit » et « The Loss and Curse of Reverence ». Tout l’âme épique d’Emperor est magnifiée dans ce que je considère comme le second meilleur concert du Hellfest.
La setlist se termine sur d’autres grands morceaux comme « Curse You All Men ! » (un brin chaotique) et « I am the Black Wizards », puis un grandiose « Inno a Satana », qu’Ishan annonce comme une « célébration de la liberté ». Ce concert a surpassé les deux précédents passages des Norvégiens, chassant l’idée cynique qu’ils ne se reformeraient épisodiquement que pour remplir leur portefeuille. La passion est toujours là, sur scène comme dans la fosse.
Hawkwind
Ça sent la fin, je franchis les quelques mètres et les flaques de boue pisseuses qui séparent la Temple et la Valley. Pères fondateurs du Space Rock, les vétérans d’Hawkwind font la fermeture du chapiteau devant une faible affluence. Ils s’en foutent, ils en ont vu d’autres et déroulent un set psychédélique et captivant, malgré un son limite limite.
La guitare m’a semblée plus distordue qu’en album, tandis que les deux synthés s’occupent du reste. Enfin, un vrai synthé et un ordinateur portable (c’est quand même moins ruineux qu’un Moog modulaire à 40 000 balles). En bon concert d’Hawkwind, nous sommes plongés dans cet univers entre SF et psychédélisme, si cher aux années 70. D’ailleurs les types vont jusqu’à sortir de leur arsenal vintage un thérémine et un keytar.
Des titres comme « Steppenwolf » et « The Golden Void » tendent des ponts dans une discographie longue et dense. Je pensais à ce propos mieux connaître le groupe, qui semble éviter les albums « In Search of Space » et « Hall of the Mountain Grill ». Bon, on a quand-même eu « You’d Better Believe It… » Pendant ce temps, l’écran géant diffuse des images de plus en plus délirantes, inspirées à la base du blotter art avant de filer droit dans des kaléidoscopes fleurant bon les tryptamines.
On troque les cornes du diable pour le signe peace and love, certains festivaliers battent des bras au ralenti en mode gros buvard à Woodstock. Enhardi par l’ambiance, un type me demande si je veux de la beuh. Facétieux, je lui réponds si c’est un cadeau ou s’il faut payer. Visiblement on n’a pas le même humour…
Perturbator
Voilà, je touche à la fin du festival et, étrange symbole, je choisis pour cela un concert sans guitare ni distorsion. Fer de lance de la synthwave avec Carpenter Brut, Perturbator prend quand lui le parti de rester seul sur scène, dans un nid de mitrailleuses où les sacs de sable seraient remplacés par des synthés et des ordinateurs.
Masqué par un light show conséquent, James Kent canarde le public avec ses météores rétrofuturistes. Le kick et le snare martèlent la Temple tandis que les séquenceurs nous embarquent dans les bas-fonds cyberpunk d’une course de motos votantes ou d’un combat de rue clandestin.
Le son est excellent, même si c’est évidemment toujours plus facile quand on fait de l’electro. Sans un mot pour le public, les morceaux s’enchaînent. Au bout d’une demi-heure, j’ai ma dose et je quitte les lieux avant la cohue finale.
Conclusion : le Hellfest 2017 fut un bon cru, sans bonne ni mauvaise surprise. Ça file droit, l’orga est rôdée et rare sont les groupes qui m’intéressent que je n’aie pas déjà vus. Avec la canicule, l’expérience aurait pu être pénible si je n’avais pas eu de pass presse/VIP pour mieux me reposer et m’abriter. Wardruna a été exceptionnel, tandis qu’Emperor et Electric Wizard ont assuré des concerts à la hauteur de leur réputation.