Rarement j’avais attendu un concert au Glazart avec une telle impatience tant les trois groupes annoncés me font frétiller du tympan et me donnent l’envie d’oublier tout instinct de survie pour me jeter dans la fosse tel un macaque convulsif victime du Parkinson. Dès lors, muni de mon billet acheté à l’avance (une fois n’est pas coutume), de ma cartouchière et d’une bonne provision de liquide prêt à être converti en breuvages alcoolisés, j’affronte, avec un de mes meilleurs amis, la foule morose qui se comprime dans le PC3 et me jette des regards mi-effrayés mi-réprobateurs, pour atteindre enfin cette salle dont d’aucuns tendraient à se plaindre mais qui, ce soir, me paraît le Jardin d’Eden de la brutalité de bon ton.
Après avoir ingurgité la bière apéritive traditionnelle à la porte du Glazart et salué potes et connaissances, nous faisons notre entrée dans le sanctuaire avec cette première remarque qu’au moins, on ne risque pas de périr étouffés. Je suis effectivement quelque peu surpris du nombre relativement restreint de présents malgré l’affiche alléchante et me demande si la grippe H1N1 a fait des ravages dans la capitale. Après avoir vérifié qu’aucun plan d’alerte n’avait été activé par la Direction Générale de la Santé, je renonce à m’expliquer le phénomène et décide de boire le premier
whisky de la soirée tout en déplorant le merchandising décidément moyen voire médiocre.
Aux trois monstres sacrés qui doivent embraser la salle ont été ajoutés deux groupes de farfadets en devenir dont jusqu’à présent j’avais ignoré l’existence: Karnak, des Italiens spécialisés dans le death à mi-chemin entre le technique et le brutal qui, à priori, officient depuis plus de dix ans et un autre groupe, dont personne ne peut se rappeler le nom en dépit de tous les efforts mémoriels de cerveaux pourtant encore sobres. Pour résumer, ces deux groupes ne vont pas faire monter la mayonnaise mais plutôt le taux d’alcoolémie tellement leur prestation va pousser à la consommation aux
deux bars du Glazart. Note pour plus tard: quand on gère une salle de concert, les bénéfices de la Licence IV s’accroissent proportionnellement à la faiblesse des croûtes en première partie. Ce théorème va se retrouver amplement démontré.
En ce qui concerne Karnak, on ne peut pas écrire que le groupe était fondamentalement mauvais. Il m’a même donné envie de l’écouter sur CD pour comprendre réellement ce qu’il voulait faire passer. Il n’en demeure pas moins que leur ingénieur du son devrait être condamné au supplice de l’estrapade, mes nerfs auditifs ayant transmis à mon cerveau une sorte d’amalgame non identifiable qui tenait de la mélasse et du gloubi-boulga légèrement toxique. La prestation étant de surcroît insipide, je me siffle deux whiskys en attendant que ça passe.
Le groupe, dont le nom semblait enveloppé d’un mystère digne du Triangle des Bermudes, s’appelle Truth Corroded. Je ne sais pas si la vérité est vraiment corrodée mais leur créativité s’est probablement dissoute, dès le départ, dans le vinaigre de la banalité. Ce groupe australien incarne le concept du death glumol: c’est mou, c’est banal, c’est convenu, ce serait affligeant si l’envie de bailler n’était irrépressible. Pour le coup, whisky supplémentaire et déconnexion mentale
des rengaines fastidieuses de ces saltimbanques qui resteront frappés à jamais par la malédiction de l’amnésie sélective.
Enfin, on se dit que la boucherie ouvre ses portes avec l’arrivée sur scène de Vital Remains. Premiers accords; premiers doutes. Si l’ingénieur du son de Karnak doit être condamné à l’estrapade, il n’existe probablement pas de supplice assez douloureux pour celui de Vital Remains. La voix de Scott Wily a autant de puissance que celle de Carrie Ingalls dans La Petite Maison dans la Prairie et les instruments produisent un gruau que n’auraient point dédaigné les habitants de
Walnut Grove. En tout cas, « Where is Your God now » aurait dû être rebaptisée « Where is My Sound Balance now ».
Le son s’améliore par la suite mais c’est la setlist qui ne fait point rêver: Let the Killing Begin, Dechristianize, Icons of Evil… En d’autres termes, on en tire la déduction logique et froidement implacable que Brian Weber et Alberto Allende, arrivés au sein du groupe en 2011, n’ont guère eu le temps de répéter convenablement le premier album, Forever Underground, pourtant légendaire par ses aspects inquiétants et malsains. La pique relativement sadique du concert a consisté à jouer l’intro de Forever Underground pendant une trentaine de secondes et de stopper brutalement sous
prétexte que le temps de jet étant compté, il fallait donc maintenant songer à vaquer. J’ai été pris d’une bouffée de haine qui, par contre-coup, m’a fait considérer le concert comme un avortement de ce qu’il aurait dû être en se réduisant à une suite de litanies dépourvues de saveur, évoquant du Déicide qui serait passé au presse-purée. Comme quoi on ne brûle bien que ce que l’on a adoré.
Place à Malevolent Creation déjà vu en festival l’année dernière, ce qui m’avait valu un traitement curatif au Synthol. Au bout de deux minutes, je me demande, avec appréhension, si j’ai bien fait de ne pas avoir gardé la trousse à pharmacie dans le treillis. C’est haineux; c’est violent; c’est enragé; c’est du bien velu; ça ne se mesure plus en décibels mais en hectopascals. Le son est incomparablement meilleur dès le départ et l’ensemble de la discographie est survolée avec
prouesse. Je me déchaîne en particulier sur « Slaughter of Innocence », cette perle ténébreuse de l’album « Retribution », exécuté avec la furie d’un Chuck Norris carburant à l’adrénaline pure et décidé à exécuter des Critters à mains nues. Plus le concert avance, plus on se laisse emporter par une sorte de onzième commandement propre au groupe: « Tes vertèbres cervicales tu te luxeras ». Une excellente prestation qui m’a laissé pantelant avec une troublante demi-érection.
Enfin, Krisiun nous balance son death qui a la particularité de plonger les auditeurs dans la même transe que le touriste américain suant contemplant les tétés turgescents des danseuses callipyges et emplumées du Carnaval de Rio. Manifestement ravis de l’accueil enthousiaste des spectateurs, le groupe sort l’artillerie lourde voire l’arsenal thermonucléaire global et libère tous les dieux de l’enfer, alternant ses hymnes traditionnels comme Vicious Wrath ou Combustion Inferno avec ses derniers morceaux de bravoure comme The Will To Potency ou Descending Abomination, tout aussi jouissifs. Si cette alternance donne la sensation d’un tempo plus lent, elle n’ôte rien à ce qu’il faut appeler de la maestria et un talent tout particulier pour unir les présents dans cette communion extatique et cette violence barbare et fraternelle qui constituent l’essence même des concerts exceptionnels. L’orgasme final secoue la horde lorsqu’au bout d’une heure passée à la vitesse d’une minute, Krisiun entame Black Force Domain telle une ultime couronne de lauriers accordée aux adeptes gladiateurs déchaînés. Le cyclone qui emporte la fosse est tel que la tornade de force 5 de
Twister ressemble, en comparaison, à une douce brise printanière caressant une mijaurée palpitante des romans de Barbara Cartland.
Le bilan de la soirée est ainsi très positif. Malgré une bonne crise d’ennui et une déception qu’il faut bien qualifier d’atroce, la raclée tant attendue a été infligée et c’est, le corps brisé et les tympans bourdonnants, qu’on en redemande encore et encore.
By Madiane De Souza.