Art N Roll a rencontré Kemar, chanteur du groupe No One is Innocent pour discuter de leur nouvel album « Frankenstein ».
Art N Roll : Si tu le veux bien, j’aimerais commencer cette interview par un retour sur ton année 2017, qui a été riche d’actualités. On pourrait commencer par l’ouverture pour les Insus au Stade de France ? Qu’est-ce que l’on ressent quand on entre dans une arène aussi grande, devant un public qui n’est pas le sien, qu’il faut séduire.
Kemar : On joue à une heure super, un quart d’heure après avoir commencé c’est nuit noire, et là c’est magique. Tu es sur le toit du monde. On est face à des gens, qui n’écoutent pas forcément ce type de musique, mais ils nous font un bon accueil parce qu’ils sont séduits par l’énergie que l’on dégage. Ils ont été sensibles à ce que l’on a raconté, en étant humble, juste, pas prétentieux. On avait des étoiles dans les yeux.
On fait complètement abstraction des gradins, pour se focaliser sur la foule.
Equipe technique super, Aubert qui vient nous voir dans les loges, c’est vraiment des moments chouettes dans une carrière.
ANR : Comment vous-êtes vous retrouvés là ?
Kemar : J’avais croisé Aubert dans un festival en Ardèche. Il m’avait dit « je vous aime beaucoup, vous êtes un bon groupe de rock, c’est dommage qu’on ne vous ait pas invités à tourner avec nous ». Ensuite il me regarde dans les yeux et me dit « Stade de France l’année prochaine ça vous dit ? ». J’allais pas lui dire « bah non j’ai piscine » (rires).
Et il a tenu parole !
ANR : C’est intéressant que ce soit lui qui soit venu vous chercher
Kemar : C’était vraiment direct. Ça a servi qu’on se croise sur un festival et je pense qu’il voulait un groupe qui parle aux gens.
ANR : Comment tu adaptes ta setlist pour ce type de public ?
Kemar : Disons que tu vas plus jouer « Silencio » que « Propaganda », c’est normal. Quand tu joues dans un festival tu adaptes aussi ta setlist par rapport au public. C’était une setlist axée rock n roll power, mais ça n’empêche qu’il y avait du message aussi.
ANR : Ce n’était pas non plus votre premier Stade de France, vous aviez déjà ouvert pour AC/DC.
Kemar : C’est vrai, mais tu vois AC/DC c’était magique. On s’est formé en écoutant ce groupe, mais l’accueil était plus réservé, plus dur. Les mecs viennent une heure avant de jouer, l’un enfile son short, l’autre sa casquette et c’est parti. On les a vus passer avec les voitures de golf (rires). On était content de faire partie de ces soirées et de pouvoir dire qu’on a ouvert pour un groupe qui nous a donné envie de faire de la musique. Et puis, rejoindre les gradins pour voir le concert avec nos potes.
ANR : En 2017 vous avez également fait une mini tournée électorale avec Tagada Jones. Quelle était l’histoire derrière ce projet ?
Kemar : C’est Niko qui me branche et qui me dit qu’il aimerait qu’on fasse des dates ensemble, et qui se pose la question de la période des élections présidentielles pour dire des choses. On partage les mêmes idées, un même amour de la musique et du rapport avec les gens. Ce n’est pas tout à fait le même style, mais quand les gens viennent nous voir ils s’y retrouvent. C’est un moment hyper émouvant, on se lie d’amitié comme deux groupes frères. Niko, c’est quelqu’un que je respecte énormément pour tout ce qu’il fait. Et avec les autres, quand il a fallu se quitter, on s’est rendu compte que ça faisait vraiment chier. Ce n’est pas par hasard si on remet le couvert à l’automne.
ANR : « Propaganda » est un album avec une forte portée politique, comment perçois-tu la résonnance de ce que tu as écrit avec les évènements qui se sont passés depuis.
Kemar : Quand il y a eu les évènements de Charlie on s’est dit que si on n’écrivait pas là-dessus ce serait une faute professionnelle. On ne pouvait pas non plus se permettre d’écrire un sous-titre. Il fallait que le texte soit à la hauteur de la musique et vice versa. Pour « Frankenstein » il y avait des thèmes qui nous venaient, des revenants, les alliés russes qui se partagent le Moyen-Orient… « Propaganda » c’était un album de réaction émotionnelle, « Frankenstein » c’est un album où on se pose pour réflechir.
ANR : Les évènements aux Moyen-orient c’est un sujet qui te touche particulièrement ?
Kemar : Oui ça me touche profondément. Je trouve que nous sommes dans une société recroquevillée sur elle-même. On n’a pas d’objectivité sur la merde que l’on fout au Moyen-Orient. Sans être complotiste ou quoi que ce soit, ce n’est pas par hasard que sous le mandat de Hollande il y a eu autant de merde. Est-ce qu’il y a des choses qui se sont produites et qui ont fait réagir des timbrés ? Qui ont provoqué les drames que l’on a connu ? L’effet boomerang n’est pas venu par hasard. On verra sous le quinquennat Macron comment ça va se passer, mais je trouve que nationalement parlant ça a vraiment déconné. On ne met pas assez le doigt sur la responsabilité des politiques. On est trop dans l’émotion.
ANR : En tant que groupe engagé, tu penses que c’est une mission de sensibiliser les gens là-dessus ?
Kemar : Pour nous c’est comme une sorte de thérapie. On a toujours utilisé la musique pour dire des trucs. Si on n’avait pas eu la musique peut-être qu’on dirait les mêmes choses avec des caillasses dehors. Mais on a la chance de le faire avec la musique alors on ne s’en prive pas.
ANR : Est-ce qu’il y a eu un morceau particulièrement difficile à écrire pour toi sur ce nouvel album ?
Kemar : Pas forcément. C’est une bonne question, mais à part un doute sur un refrain, il y a une fluidité sur cet album.
ANR : Que tu n’avais pas forcément connue sur les autres albums.
Kemar : Oui. « Propaganda » était plus dur à écrire à cause de l’osmose que nous avions entre nous à ce moment-là. Alors que pour cet album on sortait de 100 dates, on était archi solides. On savait vraiment où on voulait aller tout en étant hyper exigeant.
ANR : Justement, tu peux nous raconter un peu comment ça se passe entre vous ?
Kemar : Je suis un peu le mec qui est au milieu, qui prend les idées des copains, et je travaille avec 2 personnalités très différentes. Il y Shanka qui part dans délires créatifs fous et Popy qui peut rester une journée sur un riff pour en obtenir le meilleur.
ANR : Sur la partie paroles comment tu fonctionnes ?
Kemar : Je travaille depuis des années avec Emmanuel D’Arriba. On ne se quitte plus depuis « Revolution.com ». Sur chaque album il écrit au moins 6/7 titres avec moi. On a un souci de bien faire qui fait que c’est à la fois jouissif et douloureux. A travers l’écriture tu peux évacuer, mais il y a toujours du challenge.
ANR : Vous venez de tourner votre prochain clip pour le morceau sur Mohammed Ali, pourquoi ce choix de personnalité ?
Kemar : Un destin comme le sien c’est fabuleux, surtout quand tu vois ce qu’est le sport aujourd’hui. C’est bien de rendre hommage à des mecs qui ont marqué l’histoire avec des engagements particuliers.
On a joué live, on a eu aussi envie d’illustrer le côté tribal de la musique et ne pas rentrer dans le cliché du clip dans le gymnase. En plus il va être illustré avec des paroles avec la même typologie que celle utilisée sur les affiches d’Ali.
ANR : tu as l’air très impliqué dans le clip, comme pour tout ce qui est en lien avec l’image du groupe ?
Kemar : Oui, on a une idée de qui on est. Les gens avec qui on travaille ne nous connaisse pas toujours depuis 20 ans, alors on leur apporte ça.
ANR : Vous avez travaillé avec Fred Duquesne (Mass Hysteria) sur cet album, comment ça s’est passé ? Qu’est-ce qu’il vous apporte ?
Kemar : Génial. Il nous apporte son talent de producteur, le doute, les interrogations. C’est un mec qui nous apporte ailleurs par rapport à nos preprod et qui nous sublime. Côté son il a voulu nous donner quelque chose de plus organique, pour qu’on sente mieux le groupe. Je trouve qu’en termes d’équilibre de son batterie/voix/guitare cet album est hyper réussi.
ANR : Vous devez avoir hâte de le défendre sur scène. Vous avez d’ailleurs pas mal de dates de prévues, est-ce qu’on peut s’attendre à un guest de Fred ?
Kemar : Ca va pas non ? qu’il reste dans son studio ! (rires) Fred sait qu’il est invité quand il veut !