Groupe : Zeal & Ardor
Album : Stranger Fruit
Date de sortie : 8 juin 2018 (Une édition ”deluxe » vinyle 180g / violet pochette en triptyque sera également disponible)
Voici donc « Stranger Fruit », le deuxième album de Zeal & Ardor. Dès l’intro, une complainte inarticulée suivie de paroles susurrées pendant que la musique va crescendo, on retrouve l’essence du genre créé par Manuel Gagneux, le Black Black Metal. Une mélopée qu’aurait pu chanter les esclaves dans les champs de coton (ou même de caoutchouc, de canne à sucre, de toutes les exploitations des 3 ou 4 siècles qu’a duré le « commerce » triangulaire), soutenue par l’artillerie lourde du Black Metal. Zeal & Ardor est donc de retour avec ce son si original mixant deux styles radicalement opposés.
« Stranger Fruit » confirme-t-il le pari de « Devil is fine » ? En tous cas, les moyens techniques ont été améliorés, ce qui n’était pas compliqué, le 1er album avait été enregistré à l’arrache chez Manuel Gagneux, avec lui comme seul musicien. Cette fois-ci, il s’est associé au producteur autrichien Zebo Adam et a fait appel à Kurt Ballou pour le mixage. Le tout donne une ampleur et une puissance dévastatrices à ce fruit plus qu’étrange.
Quelques moments de paix viennent rafraichir les oreilles et les âmes entre deux déferlements de vagues de fureur saturées et de revanche, comme « The Hermit », très cinématographique, qui évoque l’ambiance autour du feu, dans la forêt tropicale au son du chant des oiseaux nocturnes). Il est suivi d’une course effrénée avec « Row row », titre presque dansant, surtout si tu aimes danser en rond avec les poings en avant.
Cet album est plein de hargne, de revanche comme le Black Metal a pu être une revanche sur le christianisme. Les titres parlent d’histoires troublées, de fuite, d’affrontement : « Don’t You Dare », « You Ain’t Coming Back » (mon titre préféré, déchirant), « Ship on Fire » (vu en concert, et sur CD, il est toujours aussi puissant), « We Can’t Be Found ».
« Stranger Fruit », le morceau qui donne son nom à l’album, est une allusion directe à la chanson de Billie Holliday sur les noirs lynchés et pendus aux arbres jusque dans les années 60. L’ambiance y est hypnotique et angoissante, un peu comme si les Strange fruits de Nina Simone revenaient à la vie pour hanter leurs bourreaux.
« Don’t you dare » emprunte quant à lui à l’ambiance western. Dans tout l’album, de la même façon, Gagneux introduit de petits détails qui nous transportent dans une Amérique couverte des cicatrices laissées par l’esclavage et l’exploitation des Africains. L’album reprend le thème de « Devil is Fine » et l’amplifie, en en gardant des échos, de petites touches sonores apportant une cohérence entre les deux. Ainsi « The Fool » et « Solve », variations sur le thème des Sacrilegium 2 et 3.
« Solve », « Coagula » (oui, autre allusion, cette fois aux alchimistes) et « Built on Ashes » fonctionnent comme une suite de conclusions sur le mode du rappel de l’album précédent, d’une incantation de clôture de rite et d’un constat du mal fait, mais qui permet de s’ouvrir à ce qui va suivre. Le pire ou le meilleur peuvent arriver, de toutes façons, tout le monde meurt seul, mais une fois qu’on le sait, tout est plus facile, plus léger.
A écouter, évidemment !
Single Gravedigger’s chant
Interview de Manuel Gagneux en 2017 et en 2018
Live report 2017