Interview au Hellfest avec Julien Truchan, chanteur du groupe français Benighted. Le groupe défendait son album Necrobreed avant la sortie d’un nouvel EP prévue en octobre prochain.
Art N Roll : Alors ce concert ?
Julien Truchan : Une boucherie ! C’est notre quatrième Hellfest !
Art N Roll : C’est vrai que vous avez connu le Fury fest !
Julien : Oui c’était même notre premier gros concert le Fury Fest. Ça nous a ouvert tellement de portes derrière. Là tous les musiciens ont changé depuis 2014, pour eux c’était leur premier Hellfest. Je les ai cadré, mais pour moi c’était détendu. La foule était massée, il y avait un bordel monstrueux dans la fosse, c’était génial.
Art N Roll : Vous défendez l’album « Necrobreed » sur scène, un dernier album encore plus violent.
Julien : Oui, on essaie (rires). C’est pas intentionnel, mais on va toujours dans ce sens oui.
Art N Roll : Tu prends encore plus de plaisir sur scène ?
Julien : Je ne suis pas assez objectif sur ma propre musique, je ne sais pas si c’est plus ou moins violent qu’avant. Je sens juste quand c’est plus rapide. Les nouveaux morceaux ont l’air très intenses. Je prends un plaisir énorme à les jouer, c’est brutal mais on arrive toujours à faire ressortir un refrain, qui fait que les gens différencient les morceaux.
Art N Roll : Tu mentionnais le nouveau line-up, tu as l’impression que cette nouvelle composition est stable ?
Julien : Oui, mais je ne le dis plus ! (rires) A chaque fois je dis là c’est bon c’est du solide et quelques mois plus tard il y a un départ. C’est très chronophage, ça demande du temps et de l’énergie et comme on a tous des boulots à côté c’est dur de tenir sur la longueur.
Art N Roll : On ne se rend souvent pas compte que vous menez vraiment des doubles vies, avec un boulot plus ou moins alimentaire d’un côté et la musique de l’autre.
Julien : Je suis infirmier en psychiatrie, c’est ça qui me fait manger. J’injecte énormément de musique dans mon métier avec mes patients. Inversement, tout ce que je connais de la psychiatrie je le mets dans ma musique. Notamment pour pouvoir composer des textes qui reflètent la réalité de la maladie et non pas des clichés ou des stéréotypes.
Art N Roll : Dans ta musique les textes semblent prendre une grande importance. Chaque morceau est une petite pièce d’une histoire.
Julien : La folie est un thème tellement pris et repris par des gens qui ne savent pas ce qu’est la maladie mentale. J’essaie de coller à la réalité. D’ailleurs, dans chacun de mes concepts albums le malade mental ne fait que du mal à lui-même. La réalité est que ces personnes sont des êtres vulnérables et dangereux pour eux-mêmes avant de l’être pour les autres.
Art N Roll : Tu peux nous en dire plus sur l’histoire du dernier album ?
Julien : C’est un schizophrène qui délire sur une grossesse extra-abdominale, il est très seul, comme tout malade mental il s’est replié sur lui-même. Il veut donc se construire une famille. Il ramasse des animaux morts au bord de la route et se les coud au ventre. Quand il sent la chaleur de l’infection, et les pulsations il pense que l’animal est redevenu vivant, il le décroche et lui donne une place dans sa maison. Comme ça, ça a l’air dégueulasse (rires). Le concept derrière c’est qu’une partie de la population est en train de s’aseptiser comme ça. Les relations se font derrières nos écrans, sans contacts directs. On peut se débarrasser des gens car on sait qu’on peut en rencontrer 200 ou 300 dans la foulée. Il y a un côté rassurant dans le fait de tout maîtriser derrière son clavier, qui fait que les gens ne savent plus quoi se dire en face en face.
Art N Roll : Il y a donc une lecture sociale dans ton texte :
Julien : Oui, tout à fait. Je le vois surtout avec les jeunes ados, qui peuvent discuter des heures derrière un écran, mais ne savent pas quoi se dire quand ils se voient. Ils se sentent trop à découvert. Ils n’arrivent plus à communiquer normalement.
Si on en revient au personnage de Necrobreed, il ne se reconnait pas dans ses enfants. Ce qui lui manque c’est le contact avec les autres personnes. A la fin du disque, le seul moyen qu’il a trouvé pour être avec ses enfants c’est de mettre le feu à la maison avec lui et sa famille à l’intérieur. Dans les cendres ils se retrouvent tous ensemble.
Art N Roll : Et le choix des langues ? Tu écris en trois langues…
Julien : La majorité des morceaux sont en anglais. J’aime écrire quelques textes en français, parce qu’on est français, ça m’apporte une autre dynamique au chant et c’est un défi d’écriture. Je parle aussi un peu allemand, je trouve que la langue se marie très bien avec notre musique.
Art N Roll : Au-delà de la sonorité il y a aussi une manière de penser qui va différer selon la langue choisie.
Julien : Oui et c’est ça qui est intéressant. D’ailleurs on a des retours de personnes qui nous disent qu’ils n’auraient pas vu une idée écrite de cette manière mais que ça fonctionne bien avec le propos.
Art N Roll : Tu parlais du sentiment d’isolement et de la difficulté parfois à créer des liens, dans ton contexte de musicien avec une vie publique et une vie « civile », est-ce que tu ressens parfois cet isolement ? Est-ce que tu te protèges de relations qui peuvent être artificielles ?
Julien : Oui, ça fait 16 ans que je bosse en psychiatrie, je me connais très bien et je sais très bien quelles sont les personnes sur lesquelles je peux compter dans mon entourage. Je sais aussi quelles sont les personnes que j’aime voir à l’occasion mais avec qui je n’aurais jamais de liens profonds. Je ne me berce pas d’illusions dans des relations passionnelles qui ne mèneront à rien.
Je réfléchis beaucoup, et j’ai souvent le rôle de grand frère. Je sais être sécurisant, je suis toujours là pour les gens qui ont besoin de moi, mais je ne me tournerais pas vers n’importe qui si j’ai besoin de quelqu’un.
Art N Roll : Quels sont les futurs projets pour Benighted ?
Julien : on vient d’enregistrer un EP anniversaire au printemps. 3 nouveaux titres, des reprises et des titres enregistrés live à Lyon. Ça sort en octobre, en novembre on part en tournée avec Cryptopsy et Cytotoxin.
Art N Roll : Une tournée romantique (rires)
Julien : Voilà, que des gens de bon goût (rires). En septembre on tourne un clip pour l’EP.