Peu importe que Stakhanov n’était pas Brésilien mais Soviétique, car on emploiera bientôt le terme « Nervosiste » en lieu et place de « Stakhanoviste ». Pas moins de cinq prestations parisiennes, dont trois au Klub, et près d’une quarantaine au total ont été délivrées par Nervosa en trois ans pile dans toute la France. Par cinq tournées (dont une avec Destruction et une autre avec Venom Inc.) les Paulistas auront secoué à peu près tous les pays d’Europe continentale et engrangé solide expérience ainsi que dévotion des connaisseurs. Cette troisième halte dans la partie piétonne de Chatelet s’intercale en parfaite diagonale entre le concert donné la veille à Eindhoven et celui le lendemain près de Bordeaux. Ceci afin d’assurer la promotion de leur troisième LP, « Downfall of Mankind », paru le 1er juin dernier (dit le « Chewbacca Album »). Promotion ou pas, aucun souci en définitive, Fernanda Lira et Prika Amaral sont d’authentiques « Road-alcoholic » : tout prétexte leur est bon afin d’arpenter les routes du Monde libre ; seuls les imprimés aux dos des t-shirts de leur Combo permettent d’opérer une datation quant à leurs allées et venues. Egalement la composition des Setlists ; à ce titre, nous avions quitté Nervosa dans la froidure de mi-mars au Petit Bain, à l’issue d’un court Gig encore articulé autour des titres d’« Agony », leur précédent album publié en 2016. Et force est de constater qu’en six mois, le groupe a opéré Tabula Rasa sur ce point.
Il fait chaud ce dominical soir de juillet ; le Klub est une étuve à l’ambiance juvénile. C’est « War Eternal » d’Arch Enemy qui est passé en tour de chauffe : en août 2017 c’était « Seasons in the Abyss » de Slayer… Comme une impression que l’assistance a rajeuni en onze mois… La salle est pleine comme un cartable depuis la fin de la (très bonne) première partie de nos compatriotes de Bloody Alchemy. Prika et Luana, la batteuse officialisée il y a un an déjà, installent elles-mêmes leur matos, à la coule. Court Short noir Nike et T-Shirt de ses complices de Torture Squad, Amaral semble avoir emporté le Brésil dans sa valise. D’ailleurs, et comme en 2017, l’on constate la présence de Sud-américains (des Colombiens a priori). De retour d’une marche de sept kilomètres dans les rues de Paris, Lira règle son pied de micro. Pimpante, maquillée, vêtue d’un t-shirt Rush flambant neuf ainsi que de son sempiternel Camo, les cheveux noirs jais lissés (afin d’éviter les rebiques qui lui font ses « antennes de cafard »), la Diva teste sa râpeuse basse sur les notes de « Wayfarer » (Bonus Track mi-Metal épique mi-Amy Winehouse, jamais jouée Live car trop expérimentale). Les premiers roulements de batterie de Luana Dametto entraînent vivas et bravos d’une partie de l’assistance : c’est à cela que l’on mesure la popularité de cette petite nouvelle de vingt-et-un ans, dont le jeu de batterie Death s’avère être le grand plus de « Downfall of Mankind ». A l’instar de Spinal Tap, Nervosa souffrait de l’instabilité chronique de ses batteuses : a priori c’est fini.
21 heures 42, « Bonsoir Paris », les adorables teignes attaquent double pied au plancher, cloche de batterie et caisse claire les fondations souterraines du Klub. C’est « Horrordome » le premier morceau du dernier disque (dépourvu de son intro studio) qui sonne la charge. Exit donc « Hypocrisy » et son chorus dissonant comme en ouverture des concerts d’antan. Etouffante, la chaleur ne semble pas émolliente : de solides godelureaux chevelus se bousculent d’emblée devant l’estrade riquiqui (trente centimètres de haut seulement). Amaral bourrine ses riffs caverneux en grinçant ostensiblement des dents. S’ensuit « … And Justice for All », version bien plus H/C que sur galette, la blonde guitariste se penche en avant et grimace devant le parterre d’excités. Devant le bar, un Roadie à fort accent US engueule la gentille serveuse sur le thème « Je veux encore plus de bouteilles d’eau et vite !!! », en enserre une dizaine entre ses grosses paluches, les rapatrie à l’avant à tout berzingue comme si la vie des trois bretteuses en dépendait. C’est dire si l’entame de ce récital est bouillante. Fernanda écrira ultérieurement sur sa page Facebook appréhender les chaleurs de Madrid et de Barcelone. A raison, après avoir éprouvé celle complètement étouffante des tréfonds d’une capitale pourtant située au Nord de la Loire. Smartphones aux poings, ça photographie à tout va ici et là, pendant que la brune meneuse hurle comme jamais tous les soirs.
Première pause, applaudissements et les souriantes salutations en anglais de Fernanda, toujours « Very Happy to be Here Tonight ». Déboule « Death », le classique de 2014, rythme Mid-Tempo, saccades joyeuses ; le poing gauche levé, Prika harangue la fosse tout en continuant de jouer de sa Kramer noire de la main droite. Premiers Slams dans l’étriqué sous-sol. Nouvel échange entre Fernanda et le public, dont on constate qu’une bonne partie serait là, non pour savourer la musique, mais plutôt pour se dévergonder (on aurait même entendu un délicat « A poil !!! ») : « Avez-vous écouté notre nouvel album, « Downfall of Mankind » ?!? Ce morceau s’appelle « Bleediiiiiiiiing !!! » ». Suivront le novice « Enslaved ». Puis le terreux « Hostages », rescapé du disque de 2016. Et le virevoltant « Masked Betrayed » déjà ancien de cinq années : une éternité au regard du rythme emprunté par les Brésiliennes, le Thrash Metal Old School coloré des débuts a fait place depuis à un Death plus technique et lugubre. Sur « Never Forget, Never Repeat » justement, le premier simple du dernier jet, les hurlements de Fernanda n’ont jamais été aussi convaincants ; les structures assez basiques des deux premiers LP ont laissé place à une architecture musicale complexe, les trois créatrices se tirant mutuellement vers le haut : l’apport titanesque de Luana à la batterie a visiblement poussé les deux autres à faire montre de tout leur savoir au chant et à la gratte. Une partie de l’audience reprend les paroles (assez simples, elles) du refrain. Avant d’annoncer le récent « Vultures », Fernanda reprend son souffle (mais l’avait-elle égaré ?) en badinant, une des choses qu’elle sait faire le mieux. Devant le minuscule décor, les jeunes vigoureux pogotent et continuent de pousser sévère. L’un d’entre eux investit la scène (et donc l’espace vital des artistes) se prosternant grossièrement devant les Converse bleu de la diablesse Sud-américaine. Laquelle poursuit, imperturbable. Ma brave Dame, lorsqu’on a fait ses premières armes dans les bars Brésiliens avant de tenir des publics en Colombie, au Mexique ou en Serbie, il en faut peut-être un petit peu plus pour être impressionnée ! Le ventilateur se cassera finalement la gueule pendant « Raise your Fist ! ». Puis c’est au tour du micro de Fernanda de lâcher. Sur « Arrogance », on réalise que la batteuse crève de chaud derrière ses futs Gretsch de couleur marron (les mêmes que Charlie Watts) dans cette cave ; pour sûr, car on entend quasiment que sa cloche pendant les ponts. Battant la mesure de son occiput, Prika dégouline quant à elle de sueur, son visage ressemblant de plus en plus à la Miss World sur la couverture de « Live Through This » (de Hole). Grosse ovation de l’assemblée. « Nous arrivons à la fin de notre Show ». Grosse déception de l’assemblée. En retour, Fernanda propose aimablement d’aller au Stand de Merch afin d’acquérir quelques souvenirs. « Fear, Violence and Massacre, « Intolerance Means War » et le bien-nommé « Into Moshpit » fermeront le brulant ban sur les coups de vingt-trois heures moins le quart. Sans peur qu’ils ne la retiennent, Fernanda passe de manière épique le manche de son énorme basse grise sur les menottes à forte testostérone des premiers rangs. Comment s’achève un concert de solide facture. Seuls (petits) regrets : passage à la trappe de plusieurs classiques (« Hypocrisy », « Deep Misery ») ; et absence de titres chantés dans la langue de Max Cavalera (« Cultura do Estupro », « Guerra Santa », « Uranio Em Nos »).
A la manière des Stones, Who ou des Guns (bref, à la manière des grands) les musiciennes saluent comme au théâtre, puis dressent le drapeau bleu-blanc-rouge frappé de leur Logo que le Fan Club Français leur tend (comme en mars). Vraisemblablement exténuée, Luana est la première à quitter l’enceinte ; considérant l’intensité de sa prestation on ne peut aucunement l’en blâmer. Guitare basse dans une main et pédale d’effets dans une autre, Fernanda remonte en toute hâte dans la loge commune, puis en redescend tout aussi promptement, non sans avoir enfilé un T-Shirt sec (noir) et s’être servi son traditionnel verre de vin (rouge) d’après représentation. L’exiguïté des lieux est heureusement propice aux échanges chaleureux. Toujours aussi enjouée, presque hilare, la bassiste-cantatrice se prête aux très appréciés Selfies et autres messages vidéos (dont un à l’adresse de nos amis hispanophones du Nervosa Thrash Chile). Plus effacée, Prika fait de même dans la salle désormais vidée de ses trublions. On lui fait passer le message selon lequel leur afficionado numéro Un mondial, le Coronais Luis Thrashte, risque probablement de ne pouvoir honorer les quatre dates espagnoles ; elle répond qu’elle est déjà avertie de la possible défection de leur admirateur (qui n’aura pas lieu, son employeur le libérera finalement…). On lui confie également le CD Sampler d’une revue Française avec sa chanteuse en couverture (et le simple « Kill the Silence » dedans), ce qui provoque chez elle un humble étonnement. Une leçon de disponibilité, de générosité et de reconnaissance… malgré la fatigue d’une tournée caniculaire ici et ailleurs en Europe. Leur producteur, interviewé en ces colonnes en mai, le débonnaire Martin Furia, avait souligné que Nervosa était l’incarnation même de l’adage selon lequel seul le travail (ainsi qu’une tête bien posée sur les deux épaules) paie. On ajoutera celui, à tournure plus Metal, que c’est en forgeant que l’on devient forgeronne. A ce train-là, nos trois filles auront tôt fait de dépasser Héphaïstos en personne.
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