A Perfect Circle au Zénith de Paris le 06/12/2018
« Eat the Elephant », tel était le roboratif menu proposé par les cérébraux d’A Perfect Circle ce jeudi tiède de début décembre au Zénith. La dernière fois que les parisiens avaient fait acte d’éléphantophagie, ce fut lors du blocus prussien de l’automne 1870. Poussés par la famine, ils avaient été fâcheusement contraints de boulotter Castor et Pollux, les deux résidents de la ménagerie du Jardin des plantes, abattus par balles dum dum tirées à une portée de dix mètres par un dénommé Devisme. Intitulé du quatrième album attendu depuis quatorze ans, et affublé ici et là du condescendant adjectif de « variété », ce qu’il convenait de vérifier in situ. La plèbe parisienne qui bat le pavé de La Villette a bien changé depuis un siècle et demi. Majoritairement trentenaire, urbaine, discrètement branchée, fortement binoclarde… le profil-type du lecteur des Inrocks ou de l’électeur de Benoit Hamon… lequel battait estrade au Cirque d’hiver le même soir à la même heure (cabale ?). Passage à la boutique afin de constater que le groupe hôte ne lésine aucunement sur le raffinement des produits proposés, cette petite pieuvre en peluche violette est tout simplement ravissante.
Dans l’enceinte, c’est le délicat « Venus as a Boy » de Björk qui est émis en guise de chauffe-salle. Chelsea Wolfe investit la scène à vingt heures pile, sous une lumière bleutée, ainsi que les mirettes d’une demi-assistance polie et concentrée. Les photographes se massent dans un pit (NDA : il y a autant d’anglicismes dans ce Webzine en ces colonnes qu’en Guyenne à l’entame de la Guerre de cent ans !) une fosse volontairement placée trop loin. Hors de portée des objectifs, la chamane enchaîne un court morceau électro sombre suivi d’un deuxième au rythme pachydermique contrastant avec la petitesse du kit de l’instrument du batteur. Un entrelacement entre lumières violacées et orangées se révèle du plus bel effet. Le timbre de voix de la compositrice californienne évoque celui de la fée islandaise diffusée auparavant… ainsi que celui de Fiona Apple. On songe aux lancinants écossais de Mogwai pour le sonique et l’ambiance. Il y a aussi quelque chose de Sonic Youth. Le bassiste joue du synthétiseur en même-temps. Belle maestria, beaux mélanges. Une première partie idéale pour A Perfect Circle.
L’ensemble des spectateurs payants est désormais rassemblé, en dépit du nombre de sièges vides (Benoit Hamon ?). Une voix virile, mi-flic texan mi-Elvis, rappelle au public que les prises de photos par portable sont interdites. Molles protestations, cela maugrée résigné par çà et là. Un mastard en coupe-vent rouge, assurément plus taillé pour jouer les gardes-chiourme dans un stade de Ligue 1 Conforama, parcourt drastiquement les travées afin de donner corps à cette consigne. Les appareils manufacturés troisième millénaire sont clos. Cette injonction n’est finalement pas si abusive ; il est loisible de se remémorer que dans les années 1990 les appareils photos étaient proscrits des concerts, les jetables Kodak passaient la fouille dans les caleçons des messieurs. Un mal pour un bien, les attentions convergeront ainsi sur l’agoraphobe Maynard James Keenan et ses quatre partenaires, non sur le fil d’actualité Facebook ou une énième futilité virtuelle. Légitime, puisqu’A Perfect Circle a soigné son retour sur scène, attendu… tel un nouveau Tool depuis près d’une quinzaine d’années. Et sa scénographie mérite le détour : une douzaine de paravents tamisés produisant une pyramide d’obscurité au centre de laquelle brille le mandala symbole de nos intellos ; un Podium en retrait de la scène sur lequel s’ébat loin des regards le Dandy timide. Déployée en juin dernier sur l’estrade de Clisson lors d’une prestation que beaucoup avaient qualifié « d’en demi-teinte », véridique pour la luminosité mais très contestable quant à l’intensité.
« Eat the Elephant » se taille la part du lion de la Setlist des chansons restituées dans la pénombre, huit des douze en provenance de ce bel Opus. Dépouillé de son dissipant attribut numérique, le spectateur apprécie donc mieux le cristallin « Disillusioned », l’apparenté Coldplay (et mémorable) « So Long and Thanks for all the Fish », les très Tooliens « Delicious » et « TalkTalk », ou encore le semi-electro martial « Hourglass ». Seule ombre, au sens figuré du terme : l’absence de toute reprise. Car A Perfect Circle est passée maîtresse dans cet exercice. Preuve en est avec le tant musculeux qu’hybride « Dog Eat Dog » d’AC/DC, temps fort du dernier Hellfest… ainsi qu’avec toutes les autres covers (« Imagine », « When the Levee Breaks », « People are People », « Ashes to Ashes », ou « What’s Going on » de Marvin Gaye)… La tessiture de Manyard, une des plus étendues de la musique contemporaine, parfois geignarde, se rapproche par instants de celles de Tracy Chapman ou de Michael Stipe. A la fois lumineux et blafard, fort et fragile, démonstratif et réservé, épique et intimiste, humble et autoritaire, chaleureux et froid, A Perfect Circle constitue une contradiction incarnée, un exemple de faille lexicale. Plusieurs nouvelles compositions biglouchent vers Simple Minds ou Cure (la basse de Matt McJunkins sonnant Simon Gallup) ; d’autres… à Tool (soit presque tout ce qui a été composé avant 2004), dont l’hymne juvénile « Judith » délivré en fin de soirée, lequel souleva les acclamations de celles et de ceux qui ont pu / su profiter des fades années 2000. Un des concerts de 2018. Indéniablement. Une soirée parfaite. Perfect.
https://www.facebook.com/aperfectcircle/
Les photos d’APC étant interdites pendant le concert, voici celles de Chelsea Wolfe.
[masterslider id= »28″]