« HELLO ! » me lance-t-elle, altière et complice, entre deux hommes de main encadrant son entrée empressée au niveau de la caisse. Puis s’engouffre tout aussi promptement dans les coulisses. « Elle fait une date ici cette fois, si elle avait joué à Lille ou j’sais-pas-où j’y serais allé quand-même… » expose un grand Gibus exalté au-dehors, dans la froidure de mars, ajoutant prévoyant : « J’ai amené ce 33 tours pour le lui faire dédicacer après le concert… ». Doro a effectivement fait salle comble hier soir à Strasbourg (La Laiterie). Et elle a pris date ce soir à Vauréal, bourgade francilienne connue pour avoir abrité la dernière demeure de Gérard Philipe, et celle du Forum, salle de spectacles récemment promue « équipement culturel d’intérêt communautaire de l’agglomération de Cergy-Pontoise ». Dans le couloir, au-dessus et tout autour du zinc, les innombrables photos et émargements des groupes et artistes qui s’y sont produit depuis vingt-cinq ans imposent le respect : du batteur de Deep Purple, à Skid Row, en passant par Michael Monroe… Et ce soir Doro s’y produit à guichets fermés. Le ton semble être donné : un concert de Star de proximité. Et sur ce point, l’humble Diva allemande regorge de savoir-faire. Elle s’apprête Backstage, tandis que la sono diffuse « Sharp Dressed Man » de ZZ Top, puis du Alice Cooper et même, tiens, du Pantera… A 19 heures 59, les lumières s’éteignent, un Roadie tonne tel un montreur de foire (comme sur les « Alive » de KISS vous savez…) : « NOW, Please Welcome to the Stage, with her Banddddddddd, DOROOOOOOOO PESCHHHHHHHHH !!! », une note grave (un mi) répétée accompagne l’installation des musiciens façon Ring de Boxe, quatre coups de baguette sur le Charley, et une intro sur-vi-ta-mi-née de « Raise your Fist in the Air » voit la Walkyrie en cuir noir débouler sur scène.
Maîtrise absolue du son et de la gestuelle. La basse donne à cette version Live une assise et une rondeur faisant défaut à celle Studio. Premier solo, elle demande au public de scander. Au refrain, on réalise que c’est en réalité « Lève ton poing vers le ciel », qui est ici et maintenant difficilement chanté dans la langue de Jacques Toubon. Merci de la tocade bleu-blanc-rouge Madame. Pas de répit, et c’est « I Rule the Ruins » qui est enchainé : « Hey Hey Hey Hey !!! » aboie-t-elle avec autorité, mollement suivie par une minorité de spectateurs. Elle déborde de conviction. A certains passages, elle fait penser à feu Johnny Halliday… de par son registre musical, son style vestimentaire… ainsi que de par son charisme. Un réaliste « Bonsoir Vauréal !!! » salue l’assistance au pont, « Comment ça va ??? », suivi d’harangues volontaires criées dans un anglais plus fluide que son français.
Une partie du public tape dans ses mains. A cet instant, on en vient à ressentir un peu de honte, face à l’accueil quelque peu tiédasse fait à une telle meneuse. Visiblement, elle ne reçoit pas à proportion de ce qu’elle donne. Ce « I Rule the Ruins » est débarrassé de cette espèce de Gimmick pompier aux cordes (ou au synthé). Première ovation de la soirée. Ce public n’est pas indifférent, il s’était en fait muré dans la contemplation. Une majorité de fans d’âge mûr, des tout-jeunes, souvent vêtus du Merch au couleur de la Dame, des couples de Metalheads aussi ; cet attelage familial confortant le côté spectacle dominical. Tout ce petit monde ne loupe pas une miette du scénique, des écrans plats étant disposés dans l’enceinte, y compris face au bar boudé. D’ailleurs personne n’est alcoolisé ce soir…
Un concert qui va très vite prendre sa vitesse de croisière, articulé autour du dernier album « Forever Warriors, Forever United » de 2018, plus une compilation de ses succès, augmentés de quelques titres de Warlock (le groupe qui a révélé la native de Düsseldorf circa 1980-1988). Les classiques sont délivrés sans discontinuer, avec énergie et professionnalisme : « Burning the Witches », « Fight for Rock », « The Night of the Warlock » (avec la voix du gros monstre qui rigole en intro et outro…). A intervalles réguliers, la maitresse des lieux s’adresse chaleureusement aux fans, à débit accéléré et fort accent d’Outre-Rhin ; tantôt en anglais, tantôt en allemand, plus rarement en français (un papier A4 sur lequel sont imprimées des phrases-types est posé à ses bottes) : « Merci beaucoup, heureux de vous revoir !!! ». La chaleur monte, et l’assistance a fendu l’armure, scandant désormais poing levé sur « We are the Metalheads ». Sur la ballade symphonique « Fur Immer », Doro parvient à transformer la modeste unité du Val-d’Oise en Stadium.
Elle se donne avec la même intensité qu’elle ne le ferait devant 100 000 personnes, par exemple au Wacken (elle y comptabilise neufs passages en vingt-six ans). On en vient à regretter qu’au fil des années cette authentique Star ne soit pas devenue Superstar, la faute (peut-être) à une absence de Hit grand public façon Joan Jett. Au fond, l’imposant responsable du stand de souvenirs lève et agite ses bras une demi-seconde systématiquement avant que sa patronne ne le fasse. Car c’est aussi ça Doro, une équipe et un Teamgeist. Ses quatre musiciens ont leur page personnelle sur son Offizielle Seite, et des toms à l’effigie du placide batteur Johnny Dee sont en vente. C’est d’ailleurs à cet américain qu’est confiée la maison avant le premier rappel, qu’il meuble avec un démonstratif solo de batterie. Façon Mikkey Dee.
Revenue sur scène, après avoir enfilé un t-shirt blanc à l’effigie de son regretté ami Lemmy (période Fast Eddie Clarke et Philty), Doro va comme d’habitude assurer un rappel des plus participatifs. Après une longue tirade-discours, vient « Breaking the Law » reprise du Priest, dont le premier couplet est entonné a cappella, puis repris en chœur par la foule. Enchaînement sur le début de « For Whom the Bells Tolls », elle s’assure successivement si tous les côtés de la salle sont encore là. « Zuper ! » constate-elle satisfaite, attaquant sans transition un endiablé « All we Are », durant lequel elle fait monter à ses côtés et micro en main Sybille, de Witches, sa bonne pote à la compote française. Exultations. Nouveau monologue tonique et vient le Power Slow « Make Time For Love ». Elle demande alors à l’assemblée quels titres celle-ci aimerait entendre jouer. Les réponses fusent de gauche et de droite. « On la jouera lors de notre prochain passage à Paris » (r)assure-t-elle. Suivent, enfin, le pataud mais festif « Metal Tango », puis le Mötorheadien « Evil ».
Les lumières reviennent, mais l’office n’est pas fini : des dizaines de fans se massent aux premiers rangs. Elle se plie à l’exercice de la séance de dédicaces, son Manager ne cachant pas son exaspération. Montre en main, cela durera dix-sept minutes (soit entre une cinquantaine et une centaine d’émargements tracés à cadence effrénée). La préposée au Merchandising offre deux nounours en t-shirt Doro aux enfants d’un ami venus acclamer leur gentille idole. Il n’est plus loin de 22 heures et ils ont école demain (ils remercieront leurs parents un jour…). Au même instant, le Grand Gibus de tout à l’heure exhibe fiérot la bénédiction finalement griffonnée sur son 33 tours. La chanteuse quitte l’estrade, adressant un ultime bisou aux fans encore agglutinés contre les barrières. Il lui faut à présent rejoindre son Tour-bus parqué sur le boulevard de l’Oise, non sans avoir « sacrifié » (un plaisir routinier pour elle) à de nouveaux selfies et d’énièmes dédicaces dans le couloir et Backstage. Elle doit se produire le surlendemain à Manchester, il lui restera encore quarante-cinq soirées de cet acabit avant la fin de sa tournée mondiale (Europe et USA) fixée à Arnheim en terre batave, le 24 novembre prochain. Madame, courage et Bis Bald.