Art N Roll était à Lille le jeudi 25 avril pour rencontrer Vincent Peignart-Mancini et Etienne Sarthou, chanteur et batteur du groupe AqME. Le quatuor met fin à sa carrière cette année, il vient de sortir un ultime album avec le label at(h)ome intitulé « Requiem« .
Art N Roll : Vous avez annoncé en novembre dernier que vous arrêtiez le groupe, mais pas avant d’avoir sorti un nouvel album et de vous lancer dans une dernière tournée. On peut dire que vous l’art de faire les choses à votre manière. Comment vous sentez-vous maintenant que l’album est sorti, que la tournée d’adieu est lancée ?
Vincent Peignart-Mancini : On se sent avec un poids en moins qui est la sortie de l’album et le début de la tournée. On est dans nos petites habitudes. Je fais cette tournée comme si derrière il y allait avoir encore un album et encore une tournée. Je ne peux pas non plus m’empêcher de penser au 5 octobre et à la fin du groupe, c’est beaucoup d’émotions en dent de scie.
Etienne Sarthou : C’est particulier de dire que ça va être la fin et ensuite de prendre le temps de s’arrêter. C’est plus facile de dire stop et de s’arrêter direct. Ça traîne un peu, ce n’est pas hyper simple, on a mis du temps à se mettre dans la tournée. Chaque soir j’y pense. C’est plus facile de s’arrêter directement, mais je pense que c’est bien de le faire de cette manière pour les gens qui nous suivent. En offrant un dernier album et une tournée c’est plus respectueux pour les gens et ça leur fait plaisir.
Vincent : On a voulu leur donner ce que nous on estime être le plus important, c’est-à-dire la musique.
ANR : « Requiem », votre dernier album est résolument rock, et dans la continuité du précédent. C’est un album accessible dans lequel on sent que Vincent prend vraiment sa place de chanteur et de frontman. Il y a un énorme travail de fait sur les nuances au chant, sur la projection des émotions. Est-ce que le fait de savoir que c’était le dernier a permis un certain lâcher prise ou mis plus de pression sur l’écriture ?
Etienne : On était pas sûrs de vouloir faire un album, on avait quelques titres sur lesquels Vincent n’avait absolument pas chanté. On avait 4/5 morceaux qui me paraissaient vraiment biens. Au début on parlait d’un EP d’adieu, mais je trouvais l’idée assez nulle. On n’a jamais fait d’EP on a toujours valorisé les albums comme format. Je trouvais que faire un EP c’était dire « voilà on a fait 5 titres, prenez-les ». Ce n’était pas aller au bout de la démarche artistique et comme la musique a toujours été au cœur de nos préoccupations, on s’est demandé si c’était envisageable de faire un album. Les délais ont été beaucoup plus courts que ce qu’on s’imaginait. Je pense que ça a donné un album spontané et hyper juste dans le sentiment qu’il véhicule. Vincent est arrivé après, mais il a commencé à écrire alors qu’on savait qu’on allait arrêter.
Vincent : Tout tourne autour de ça. Les paroles je les ai écrites sur 5 jours, dans une atmosphère où j’étais replié sur moi. Je ne pensais qu’à ça. J’ai fait des chansons pour dire adieu, pour dire qu’on n’avait pas envie de dire adieu et d’autres pour dire que ça fait mal.
Etienne : On a toujours été dans un processus cathartique dans AqME et là on avait encore plus de choses à dire.
ANR : Sur un titre comme « Un adieu », on voit tout ce que tu arrives à projeter comme nuance. On sent le travail effectué et la progression par rapport à l’album précédent. D’ailleurs pour le précédent album vous disiez avoir enregistré la voix en peu de prises, et que ça vous avez permis de projeter plus d’émotions tout en acceptant de garder quelques défauts. Avez-vous procédé de la même manière pour « Requiem » ?
Vincent : Oui mais on l’a fait de manière différente. On est allé chercher des choses que l’on n’avait pas trouvées dans l’album précédent. On voulait des choses très jolies, des trucs très élégants, moins dans l’émotion brute. On a eu des prises magiques au niveau de l’émotion mais on cherchait quelque chose de plus embellie. Comme le début de « Paradis » ou le début de « Sans oublier ». On voulait de l’émotion et un truc très joli.
Etienne : Je trouve que l’album est la suite logique du précédent. J’écris des morceaux qui expriment l’état dans lequel je suis quand je le fais, puis j’oublie complètement cet état puisque je ne sais plus quand j’ai écrit les morceaux. Je ne me pose pas la question de véhiculer telle ou telle chose. Il en sort une émotion et après c’est Vincent qui va appuyer l’émotion avec son texte et sa voix. Pour moi les trois derniers albums forment une vraie cohésion et une progression.
ANR : Sur « AqME » l’originalité venait avec le titre un peu expérimental « M.E.S.S. », sur cet album c’est le titre « Requiem » qui marque par sa différence. Il apparaît comme une réponse à « Ensemble » avec la guitare de Julien, sur laquelle tu as placé un rythme emprunté à Deftones. Vincent tu oses aussi côté voix, comment s’est passée la conception de ce morceau ?
Vincent : C’est un peu la surprise. Djulby avait ce riff-là dans sa besace depuis longtemps. Etienne l’a bossé avec lui en répète.
Etienne : Ah pas du tout.
Vincent : Alors il nous a envoyé le morceau sur WhatsApp, et derrière Etienne a mis le cadre avec sa batterie. La veille pour le lendemain Etienne a demandé à ce que je pose de la voix et de la même manière que pour « Ensemble » ça a fait mouche.
Etienne : On poussait Julien pour qu’il nous envoie des idées dans ce genre-là. On trouvait que dans les 8 morceaux que l’on avait il nous manquait un morceau Indie, bizarre, un genre de morceau que n’aurait pas renié Deftones sur « White Pony ». Il nous envoie ses idées, on trouvait que c’est bien mais assez proche de « Ensemble ». L’idée était de faire un morceau totalement différent. J’ai bossé les idées de batterie en studio et j’ai pu proposer à Julien une autre manière d’aborder le morceau, une autre structure. C’est une manière de travailler de l’électro. J’ai enregistré quelques parties de batterie, puis j’en ai fait des boucles, et selon les passages arrêter/remettre. C’est typiquement le genre de trucs que fait Tame Impala.
ANR : Il y a un autre titre sur lequel l’accord guitare/batterie fonctionne bien c’est sur « Illusion ». Sur la fin du morceau on a des guitares lancinantes et un rythme de batterie quasi militaire.
Etienne : Oui tout à fait. C’est l’avantage de ne pas avoir trop préparé. On savait que ce passage là on allait le faire tourner un long moment. J’ai enregistré plusieurs parties de batterie, des solos, ça ne passait pas. J’ai ensuite fait un montage entre les meilleures parties pour faire un truc cool. Ça nous a donné un cadre, une structure plus lisible sur laquelle on a ajouté des nappes de guitares au fur et à mesure jusqu’à ce qu’on sente qu’on avait le bon nombre de cycles.
Je m’amuse beaucoup en studio en ce moment. Sur des projets perso ou sur les projets des autres. Je propose souvent une relecture des choses et sur cet album on pouvait se lâcher sur pas mal de choses. Autant en profiter, quand le cadre le permet.
ANR : Justement Etienne, je voulais savoir si tes expériences d’enregistrement avec tes projets perso comme Delivrance ou en tant que producteur comme avec Pendrak t’ont apportées plus de confiance ? Est-ce que tu as testé des choses que tu n’avais pas osées auparavant ?
Etienne : Oui clairement. Avec Delivrance on peut tester un milliard de choses en studio. Dans le prochain album il y a des moments vraiment presque électro. Ça me décoince, ça me permet de tester des choses, de voir ce qui me plait. C’est ce que j’aime dans Deftones, s’ils ont envie de faire un morceau d’électro ils le font et ça reste du Deftones. Je n’aime pas rester enfermé dans ma petite boîte.
ANR : La pépite de l’album c’est vraiment le titre « Sans oublier », qui est sûrement un des meilleurs titres de votre carrière. C’est un morceau qui prend l’auditeur aux tripes du début à la fin. On y retrouve un très beau travail au chant, tout en nuance, avec un mélange de fragilité et de force. Vincent, dans le texte on sent une mise à nue, que tu avais amorcée avec « Si Loin ».
Vincent : Oui, tu as bien vu (rires)
ANR : Comment as-tu travaillé sur ce morceau et obtenu une telle intensité sur le deuxième couplet ? Pourquoi avoir choisi ce sujet assez sombre pour cette partie instrumentale ?
Vincent : C’est un cheminement pour sortir des choses qui me hantent. C’est hyper personnel, j’ai besoin de sortir ça sinon ça ne va pas. La musique s’y prêtait, j’avais beaucoup d’espace pour le faire et ça se fait toujours comme ça. Je prends une feuille, je gratte et je projette la chanson comme si j’étais devant plein de gens. Devant une audience prête à m’écouter ou devant un tribunal, je ne sais pas. Pourquoi cette intensité sur ce deuxième couplet, parce que je n’avais pas envie de ralentir, j’avais des choses fortes à exprimer.
Etienne : Il est beau ce deuxième couplet, il est intense. C’est l’avant dernier titre enregistré pour l’album. Je l’ai composé pendant que mes enfants me laissaient 5 min de calme. (rires) Avec ma guitare électrique même pas branchée pour ne pas faire de bruit. Je l’ai envoyé comme ça en disant « j’ai un super titre, il est hyper émouvant, il m’arrache le cœur comme « Le vent nous portera » ». Je ne suis pas un énorme fan de Noir Désir mais il y a des morceaux que je trouve incroyables. Quand j’ai réécouté le morceau j’ai trouvé qu’il y avait une vibe de ce morceau mais avec notre façon de faire. On l’a répété une fois en répète et on l’a enregistré la semaine d’après.
Vincent : C’est le dernier morceau joué en répète, et Djulby a dit « Il y a un truc dans ce morceau », alors qu’il ne dit jamais rien.
ANR : Pour moi c’est vraiment un des meilleurs titres de votre carrière, et vue la réaction des fans je ne semble pas être la seule à le penser.
Vincent : Faudrait peut-être qu’on l’essaie en live alors ?
ANR : Justement, c’est ce que j’allais poser comme question. Pourquoi ne pas avoir mis ce titre plus en avant et aura-t-on la chance de l’entendre en live ?
Etienne : On a toujours un débat incessant dans AqME sur ce qui est un single et ce qui ne l’est pas. Chacun de nos fans aura un son de cloche différent. Même entre nous on n’est pas forcément d’accord.
Vincent : Avec le label aussi
Etienne : Parfois il y a quelques évidences comme pour « Avant le jour ». Sur cet album il y a eu des débats, et c’est la maison de disque qui a eu un « crush » sur un morceau, d’ailleurs le clip sort demain.
ANR : Et sur la question de jouer « Sans oublier » en live ?
Etienne : On a décidé de la faire une fois. Faudra pas la rater (rires).
Vincent : Il y a des chances que ce soit au Trianon.
Etienne : Il faut faire attention avec ces morceaux là, ce sont des morceaux magiques que l’on n’a pas joués ensemble.
Vincent : et qui peuvent ne pas l’être en live.
Etienne : Il faudra qu’on le sente en répète. Je trouve que « M.E.S.S. » est un morceau magique que j’aime énormément. Ce sont des morceaux difficiles. Les morceaux que je préfère de Deftones ne sont pas ceux qui passent le mieux en live. Les gens ont parfois plus envie de s’amuser sur scène, même si les morceaux ambiants font toujours partie de nos sets. Il faut qu’on les maîtrise bien pour qu’on sente que l’émotion passe.
Vincent : C’est comme « Si Loin », on a mis du temps à l’avoir dans les doigts. On allonge la fin pour garder cette atmosphère, on avait envie d’aller plus loin et de le partager.
Etienne : Au bout de quelques concerts on a vu qu’on la maitrisait bien et qu’on ne perdait pas l’attention des gens. Sur d’autres morceaux on a senti qu’on perdait cette attention, par exemple on a fait « Ténèbres » et on a senti que ça n’a pas marché alors que c’est un de nos classiques.
ANR : Pour conclure sur « Sans oublier » il y a une chose un peu frustrante avec toi Vincent. Le morceau amène la mise à nue que l’on attendait depuis plusieurs albums. Tu es toujours juste dans la projection de tes émotions, mais dans les textes c’est comme si tu nous ouvrais un peu la porte mais qu’on ne pouvait jamais entrer.
Etienne : C’est bien ça.
Vincent : C’est bien aussi la frustration (rires). Je ne suis pas encore assez grand. J’ai 34 ans, je suis fan d’artistes qui ont des textes avec des mots tellement simples, que je me dis « mais moi aussi je peux écrire ça », sauf que quand j’écris c’est nul. Il faut arriver à un âge où tu peux le faire. Quand j’écoute Lofofora il y a des textes que j’adore, mais je serais incapable de les écrire parce que je ne suis pas assez grand. Ça ne me colle pas. Je suis frustré qu’AqME s’arrête parce qu’on aurait pu aller beaucoup plus loin. Peut-être que je le ferai ailleurs, peut-être tout seul ou peut-être avec Etienne. Je pense que ce sera avec Etienne.
Etienne : Dans chaque album il y a une évolution, il s’est dévoilé un peu plus, il a donné un peu plus de son âme en gardant une forme de pudeur. Je n’ai pas trouvé qu’il y avait cette pudeur dans cet album. Il va chercher des émotions.
ANR : Oui les émotions sont présentes. Par exemple, dans « Enfer » on peut imaginer que tu parles d’une opération parce qu’il est fait mention d’une salle blanche. Mais on ne comprend rien de plus.
Vincent : Oui c’est vrai, il y a juste le tableau en fait.
ANR : Il y a un début de tableau, mais ensuite il manque un lien entre le sens des mots et les émotions que tu projettes.
Vincent : p***** p*****, je ne sais pas, je l’ai fait comme ça (rires).
ANR : Le concert au Trianon avec Thomas et Benjamin est une belle manière pour vous de tirer votre révérence, c’est également un beau cadeau pour les fans.
Vincent : Machine Head a essayé, mais apparemment ils n’y arrivent pas trop (rires)
ANR : De quelle manière seront-ils intégrés à la setlist ? Des morceaux seront chantés à 2 voix ? Certains titres seront interprétés par le line-up original ?
Etienne : On ne sait pas trop.
Vincent : On ne s’interdit rien. On fera au feeling.
Etienne : On a besoin de laisser passer ces concerts là pour y réfléchir. Je pense qu’il y aura un peu de tout ça. Il y aura des morceaux à 4, à 5, à 6. Les line up vont un peu bouger. Il y aura aussi quelques invités en plus. On va essayer d’avoir Reuno de Lofofora. C’est difficile de se projeter, la setlist va être compliquée.
Vincent : On est dans un mood où ça fait des années que l’on joue tous les 4, c’est notre truc privé à nous. Là on va être 6, est-ce que ça ne va pas nous perturber ?
Etienne : Je ne pense pas, les anciens auront envie de bien faire. Ils savent que nous sommes rôdés, eux ont fait une longue pause. (rires).
ANR : Thomas m’a dit en interview qu’il était prêt à mourir sur scène !
Etienne : (rires) ça va probablement se faire (rires)
ANR : Vincent : Est-ce que tu as un peu d’appréhension à te retrouver sur scène avec Thomas ?
Vincent : Je m’entends très bien avec lui. On ne s’est pas souvent vus mais ça fait partie des gens où quand tu les vois la première fois tu sais comment ça va se passer. On ne se verra pas assez longtemps ni de manière trop intense pour qu’il y ait des problèmes. On devrait bien rigoler.
Et par rapport au fait qu’il chante, j’ai fait le Bal des Enragés, ça devrait le faire (rires). En tant que premier fan d’AqME je serai content de voir le line up original. J’aimerais bien qu’il fasse des morceaux d’Epithète, vu qu’il ne les a jamais chantés.
ANR : Est-ce que le concert sera filmé ? Un CD live est-il envisagé ?
Vincent : On y travaille. Les gens sont demandeurs. Ce serait un truc qui pourrait être sympa pour marquer la fin. Il sera en VHS uniquement par contre (rires).
ANR : Pour finir, deux questions un peu plus nostalgiques. Quel est votre ou vos plus beaux souvenirs avec AqME ?:
Vincent : Pas celui de la fin.
Etienne : Maroquinerie 2017.
Vincent : Mes 7 ans avec AqME.
ANR : C’est un peu facile…
Vincent : Non, c’est juste que ça me dévaste et je n’ai pas envie de chercher un souvenir précis dans ces 7 ans de ma vie.
ANR : Si vous deviez tirer une leçon apprise de l’expérience AqME quelle serait-elle ?
Vincent : C’est dur comme question ça !
Etienne : C’est toute ma vie ce projet, mes joies, mes peines. La leçon à tirer c’est la fierté du devoir accompli. D’un point de vue personnel et collectif. On a tous gagné en profondeur, en niveau de musicien. On est devenus de meilleurs musiciens en 20 ans.
Vincent : Oui clairement, nos univers se sont étendus.
Etienne : Je ressens une grande fierté pour ce qu’on a accompli et encore plus pour ce qu’on a accompli après le départ de Thomas. On a continué, on a accepté le changement, on a rencontré quelqu’un totalement différent de notre ancien chanteur, on a vraiment assumé et les gens ont retrouvé le groupe. On a fait 3 albums. C’est un vrai cycle. Je ne voulais pas qu’on s’arrête après 2 albums parce que ça fait un peu erreur de parcours. Je suis content qu’il soit salué comme un de nos meilleurs. Je suis très fier qu’on ait réussi ce changement de chanteur.
Vincent : Jamais dire jamais, on retrouvera le sourire et on ne sait pas de quoi sera fait l’avenir.
ANR : L’avenir c’est un nouvel album des Butcher’s Rodeo non ?
Vincent : Oui si ça se fait un jour. On est carrément en train de faire notre Black Album là. (rires)
ANR : Etienne, on te retrouve au Hellfest avec Freitot, tu as aussi Delivrance et Karras.
Vincent : Je serai au Hellfest pour pousser des caisses. (rires)
Etienne : Oui, Vincent sera notre tour manager pour cette date.
Vincent : En fait il m’a dit « je peux louer ton camion ? » et moi je lui ai dit « viens, je conduis » et ça s’est fait comme ça.
Etienne: Avec Freitot on a un joli concert avec le Hellfest, on a un premier concert avec Karras avec Yann de Mass Hysteria et Diego. On est programmés au Sylak et on en est en train de signer pour sortir un album le plus vite possible. Avec Delivrance on sort un deuxième album. Et j’ai mon studio d’enregistrement qui m’occupe de plus en plus. La musique continue!