Emmanuel Jessua, le chanteur-guitariste du groupe Hypno5e, est un jeune artiste prolifique et habité : Art’n’Roll l’a rencontré au sol-sous du Black Dog à Paris, un soir d’octobre, afin de parler de beaucoup de choses, et surtout de « A distant (dark) source » qui sort le 22 novembre 2019, probablement un des albums de l’année…
Art’N’Roll : Salut ! Alors le début sera basique : peux-tu présenter le groupe Hypno5e, et te présenter en tant que son chanteur ?
Emmanuel Jessua (chant/ guitare) : Hypno5e existe depuis 2003 et sort son cinquième album, « A distant (dark) source » chez Pelagic Records. Je suis Emmanuel, je compose, je suis le chanteur et guitariste.
ANR : Quand tu dis que tu composes, car force est de constater que les cinq compositions qui forment « A distant (dark) source » sont vachement alambiquées, tu composes tout toi-même ou vous êtes à plusieurs ?
EM : Nous composons de manière particulière : j’arrive en studio avec tout un tas de thèmes disparates, et Jonathan Maurois le guitariste les retravaille avec moi, il arrange et compose aussi par-dessus en retour. Le gros de la composition est de moi, nous restructurons ensemble.
ANR : Est-ce un parti pris de créer des compositions aussi longues ?
EM : Non, c’est naturel. Si au bout de cinq minutes seulement on a dit ce qu’on avait à dire, on arrête le processus de composition, le morceau est fini. Nous aimons prendre le temps de faire les choses, et nous ne nous interdisons pas de le prendre. Ce n’est pas un parti pris, c’est un plaisir de prendre le temps.
ANR : Le temps pour l’auditeur de les écouter, parce qu’on est à dix minutes en moyenne par morceau ? Ou le temps pour Hypno5e de les réaliser ? En bref, le process dure combien de temps chez vous ?
EM : Cela dépend. Le temps de la composition est assez rapide car nous composons en même temps que l’on enregistre, sur le vif. Trois ou quatre sessions, en gros deux-trois mois de travail pour l’album en lui-même.
ANR : Vous attaquez morceau après morceau jusqu’à l’achever, ou vous faites l’ébauche de l’un et revenez à un autre, etc… ?
EM : Lorsqu’on commence à saturer sur un morceau, on passe à un autre, et ainsi de suite.
ANR : Quand tu entames la création d’un morceau, tu as déjà son thème en tête ?
EM : Son thème ?
ANR : La thématique, une idée des paroles ?
EM : Je sais, ou plutôt, j’ai une idée de ce que je veux en termes de coloration musicale, le thème est global à l’album de toutes façons. Les paroles sont écrites après la réalisation musicale des morceaux. Je préfère attendre d’avoir le morceau complet avant d’écrire dessus.
ANR : Alors justement, c’est quoi le thème cette fois-ci ?
EM : Le thème de cet album se déroule sur une nuit. L’idée m’est venue lorsque j’étais en Bolivie, dans une région très aride…
ANR : … Celle où tu as grandi ?
EM : Pas loin, à cinq ou six heures de route, de pistes, ce n’est pas si loin à vol d’oiseau d’où j’ai grandi. J’y allais régulièrement petit. C’est cette région que j’ai filmé dans « Alba » notre précédent album doublé d’un film…
ANR : Nous y viendrons tout à l’heure…
EM : J’ai appris qu’un lac recouvrait cette immense zone désertique, il y a un peu plus de dix mille ans, un lac d’eau salée, une mer interne, et la terre desséchée porte encore la marque de cet ancien fond sous-marin. Il se dit que la nuit, il est encore possible d’y entendre un ruissellement, comme si l’eau disparue revenait au crépuscule, et j’ai imaginé que l’on pouvait également entendre les spectres des gens qui y ont vécu. Le thème du disque s’articule autour d’un homme passant une nuit dans cet endroit avec l’espoir d’entendre ces revenants, des mémoires, et cela s’achève au jour levant.
ANR : Tu connais la période estimée de l’asséchement de ce lac ?
EM : Ce grand lac salin s’est asséché y a quinze mille ans. Il a laissé derrière lui trois lacs, dont le lac Poopó qui est en train de se vider. La marque du temps, c’est le thème de ce disque.
ANR : Quinze mille ans… Tu parles de revenants… Cette partie de la Bolivie était-elle déjà peuplée d’êtres humains il y a quinze mille ans ?
EM : Le récit ne se passe pas forcément en Bolivie. Ce lac Bolivien est le point de départ de ma trame. Les lieux sont imaginaires.
ANR : En gros, ce serait une thématique sur le rapport de l’Homme à la Nature…
EM : Sur le fait que les lieux portent les mémoires des hommes.
ANR : Votre style musical est composite. Il n’y a pas que du Metal. Tu écoutais quoi pendant la conception de « A distant (dark) source » ?
EM : Du Metal très sombre, des chansons Latino-Américaines, du classique, et pas mal d’Electro.
ANR : On reprochera toujours aux chroniqueurs d’influencer à tout prix la discussion et de vouloir coller des étiquettes aux interviewés, mais… Tu n’écoutais pas également Amenra à tout hasard ?
EM : Non. J’ai découvert Amenra plus récemment. On m’a déjà posé la question des liens de parenté. C’est un groupe que je connais mais que je n’écoute pas régulièrement.
ANR : Et que regardais-tu au cinéma ?
EM : Le dernier film qui m’a marqué est un film fantastique.
ANR : Ce n’est pas ce qui transparait dans les samples audio des films que vous avez inséré dans votre disque…
EM : Non. Nous sommes plus proches des films d’Andreï Tarkovski pour les ambiances et les paysages.
ANR : Cela t’embête de dévoiler à nos lecteurs les samples que vous avez utilisé ? Cela sonne très années cinquante et soixante…
EM : Non. Il y a Camus, il y a des lectures de Musset aussi, on y trouve également des interviews. Sur les précédents disques nous avons beaucoup utilisé des phrases issues de films de la Nouvelle vague…
ANR : Et si je te dis que j’ai reconnu Guy Piérauld parmi les acteurs samplés…
EM : Oui. Attends… Heu non…
ANR : … Qui est la voix francophone de Bugs Bunny et de Woody Woodpecker… Et qui nous a quitté récemment…
EM : On ne l’a pas fait exprès… (Rires)
ANR : Cela donne une coloration presque humoristique à un de vos morceaux…
EM : Il y a toujours un sample ou deux que l’on insère histoire de détendre l’atmosphère, de toutes façons… C’est celui qui dit : « Cela t’épates ?!? C’est comme ça !!! » ?
ANR : Oui. Je crois (NDA : sur le morceau éponyme « A distant (dark) source »)
EM : Cette voix nous a donc paru adéquate parce que marrante…
ANR : Est-ce que tu récuses le terme « Concept album » ?
EM : Ben non, parce que c’en est un… C’est une dramaturgie…
ANR : Que signifie la pochette de « A distant (dark) source » ?
EM : Elle est issue de textures de photographies que j’ai prises dans cet endroit en Bolivie. La coloration noire en-dessous symbolise cette source, les revenants. Au-dessus, le paysage aride qui se déploie sur la longueur, et l’on distingue les silhouettes des spectres qui rejoignent ce carré au milieu, à l’origine de cette source.
ANR : Et vous allez parvenir à vous produire de manière Live brute avec ce disque ?
EM : Nous ne jouerons pas l’album entier, ça c’est sûr. Nous allons essayer d’en emprunter un maximum sur scène. Nous voulons également rejouer les morceaux des disques précédents, alors cela limite le champ des possibles. Néanmoins, « A distant (dark) source » est un de nos disques que j’ai le plus hâte de jouer en Live.
ANR : Vous allez le jouer aussi en acoustique ?
EM : Je souhaiterais jouer un morceau ou deux de façon différente.
ANR : Vous avez des dates de prévues ?
EM : Oui. A partir de janvier. En France et à l’étranger. On passera au Petit Bain à Paris.
ANR : Vous pensez faire des Fests ?
EM : Oui, on y travaille.
ANR : Revenons à votre disque précédent, sorti en 2018 : « Alba – Les ombres errantes ». J’ai assisté à votre représentation de « Ciné concert » en version acoustique au Café de la Danse à Paris, le 5 mai 2018, quelle était sa thématique ? Le voyage ?
EM : Le passage, revenir sur les lieux du passé. Tourné en Bolivie, ce ne devait être qu’un film. Et je me suis dis qu’il fallait en faire une lecture musicale. En version « Ciné concert », cela a pris tout son sens.
ANR : Ce n’était pas toi le lecteur ?
EM : C’était mon cousin. Il joue dans le film aussi. Je l’ai invité afin qu’il lise les textes en direct.
ANR : Le truc a fait sensation puisque récemment, un magasine papier à gros tirage, dans sa rétrospective des quinze dernières années Metal, vous a décerné le titre de « Concert du mois de mai 2018 », toutes catégories confondues, mieux que les grosses cylindrées et autres grand’ messes pour ce mois-là…
EM : Je ne savais pas…
ANR : Tu donnes l’impression de ne pas t’arrêter de bûcher, de cogiter… Tu as déjà une idée de la suite ?
EM : Oui. Il y aura une suite à cet album : mettre en lumière certaines choses présentes depuis.
ANR : Si on vous qualifie de « Petits frères de Gojira » vous en pensez quoi ?
EM : Je ne suis pas convaincu que ce soit pertinent. Je ne suis pas sûr que l’on pratique le même style, même s’il y a des choses à l’intérieur qui peuvent faire écho. A écouter notre musique, je ne pense pas que cela soit la première référence qui vienne à l’esprit.
ANR : Vous êtes plus complexes…
EM : Après, moi j’adore Gojira. Nous avons eu la chance de nous produire avec eux, et j’espère que l’on se reverra, dans un Festival ou sur une tournée.
ANR : Tu as suivi quelles études ?
EM : J’ai pris des cours de piano au Conservatoire, une année. J’ai commencé une double Licence Lettres et Cinéma. Mais Hypno5e m’a empêché de la finir…
ANR : Tu évoquais Albert Camus à l’instant, tu possèdes une culture littéraire ?
EM : Mes deux parents sont profs. Ils avaient une bibliothèque immense…
ANR : Profs à Montpellier ?
EM : Non. Lycée Français à l’étranger.
ANR : Tu as également parlé de ton cousin. Tu es très « famille » dans ce projet ?
EM : C’est mon Père qui écrit les paroles. Ma Mère travaille elle-aussi avec nous. Il y a une économie de paroles. Idem pour la personne qui fait les visuels. Il n’y a pas besoin d’explications entre nous.
ANR : Penses-tu que tes parents sont pour beaucoup dans ce que tu es devenu ?
EM : Oui. Ce que je suis aujourd’hui, c’est grâce à eux. Le goût des voyages, celui de l’esthétique des choses, la curiosité vis-à-vis du culturel aussi, ils m’ont emmené avec eux à droite à gauche étant petit…
ANR : Musicalement, ce sont eux qui t’ont fait découvrir la musique lourde ?
EM : Non, pas la musique Metal. Ma Mère m’a emmené voir Deep Purple, mon premier concert. Ils étaient plutôt « Rock dur ».
ANR : Deep Purple possède déjà un côté technique… Blackmore créé depuis des années de la musique un peu élitiste, un peu médiévalisante…
EM : Je ne connais pas ce qu’il fait.
ANR : Tu es axé spiritualité ?
EM : Je suis intéressé par ce que la spiritualité peut produire. Tout ce que la liturgie peut véhiculer. Ce que l’Homme peut produire de beau. Tendre vers le beau n’est pas forcement lié à la Religion. Je suis également fasciné par les espaces. Comme c’est le cas en Bolivie. Le syncrétisme, les représentations par les masques, par les églises, par les musiques, par les édifices hispaniques anciens, par la recherche esthétique, les incarnations…
ANR : Tu es branché Paléontologie ? Géologie ?
EM : Moins…
ANR : Quelle est la question que l’on t’a le plus posé aujourd’hui ?
EM : L’origine du concept de ce disque, le lac.
ANR : Si tu avais un mot de la fin ?
EM : Merci pour votre soutien, n’hésitez pas à venir nous voir interpréter notre nouvel album sur scène parce que c’est là que tout cela va prendre, on l’espère, sa force. Restez curieux.
ANR : Merci mec.
EM : Merci à toi.
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