A une époque où l’on vous ressasse que les instruments de musique, notamment la guitare électrique, seraient hors-jeu en raison notamment des avancées technologiques, il est apparu primordial de rencontrer Ludovic Egraz, l’initiateur du projet instrumental collectif United Guitars, regroupant la crème de de la crème de la six-cordes en France. C’est un lundi soir d’automne qu’Art’n’Roll s’est rendu au Studio 180, un local d’enregistrement établi dans le Nord-Est de Paris, afin d’en savoir plus…
Art’N’Roll : Alors, présentez-vous, s’il vous plaît !
Pierre Danel (United Guitars) : Pierre Danel, guitariste du groupe Kadinja (NDA : Djent Metal progressif), musicien de session, ingénieur-son aussi.
Ludovic Egraz (United Guitars) : Ludovic Egraz, je suis à l’origine de ce projet. Je suis guitariste et je suis journaliste, rédacteur en chef du magazine Guitar Xtreme.
Jean Fontanille (United Guitars) : Jean Fontanille, guitariste, je fais des albums de guitare, j’ai pas mal œuvré dans la pédagogie notamment en ligne sur Internet. Je suis accompagnateur aussi…
ANR : Tu as travaillé pour qui ?
JF : Christophe, pour te citer un des plus connus…
ANR : Pouvez-vous présenter à nos lecteurs le projet « United Guitars », qui n’est pas commun, qui n’est pas banal…
LE : L’idée était de faire un album collaboratif, ce qui veut dire un travail mis en commun entre vingt-trois guitaristes, quinze d’entre eux ont composé des morceaux, d’autres intervenant dessus. Il s’agissait de mélanger les sensibilités, dans un esprit de partage et d’interaction.
ANR : L’idée est venue comment précisément ?
LE : Adolescent, j’étais avant tout branché musique instrumentale, il y avait un producteur aux Etats-Unis qui s’appelle Mike Varney, et qui animait une rubrique dans le magazine Guitar Player intitulée « Spotlight ». Il a révélé tout un tas de guitaristes, de Malmsteen à Shawn Lane en passant par Joey Tafolla, je crois que Guthrie Govan a été révélé…
PD : Guthrie Govan aussi…
LE : … dans Spotlight aussi, donc c’est LE dénicheur de talents de la guitare un peu technique, cela ma passionné, un mec qui produisait énormément de grands guitaristes et qui éditait des compilations, grâce à elles j’ai découvert tous ces talents. Je me suis dit que plus personne ne faisait ce type de compilations, et qu’en France il ne se passe pas grand-chose à propos de la guitare, et j’ai voulu procéder à un état des lieux de la guitare en France en 2019. C’est le projet.
ANR : Le projet est donc de 2019, tout a été goupillé dans l’année ?
LE : Cela s’est fait très vite. C’est une idée que j’avais en tête depuis la fin de l’an dernier : avec Guitar Xtreme Magazine, nous avions réalisé une vidéo intitulée « Xtreme Blues Rock Challenge » avec Axel Bauer et Fabrice Dutour, qui jouent tous les deux dans United Guitars. A la fin de cette journée de travail, ils me disent avoir envie de faire quelque chose de plus concret, une vidéo collective peut-être. J’en parle à ma compagne Olivia Rivasseau qui est la productrice de Mistiroux Productions, et qui me dit qu’un album à part entière soulignerait l’approche professionnelle de l’idée et permettrait d’obtenir des subventions : c’est d’ailleurs elle qui a porté l’aspect administratif de United Guitars. Fin mai elle me donne le feu vert, fin juin nous avons les premières compositions…
ANR : Et j’imagine que pour toi, ce fut facile d’avoir des candidats : tu prends ton portable et…
LE : … Non, car j’avais en tête non pas un amalgame de démonstration de guitares mais un disque avec des bons morceaux, des compositions diversifiées, avec des guitaristes TRES diversifiés venant d’horizons lointains. Par exemple, Pierre qui est là, a fait un titre très Prog-Ambiant, Jean a plutôt réalisé un morceau de Fusion, Julien Bitoun a fait un truc très Rock-Garage, Nym Rhosilir a fait un morceau limite Punk Rock, Yoann Kempst s’approche quant à lui de l’Afrobeat plus décalé, etc… L’auditeur ne va pas s’ennuyer…
ANR : Tu n’as pas répondu à la question qui est : tu as rencontré des gens que tu ne connaissais pas ?
LE : C’est vrai que grâce à Guitar Xtreme Magazine je connaissais beaucoup de guitaristes, que j’ai suivi depuis plus d’une décennie, et j’ai eu le temps d’apprécier leurs univers, c’est le cas de Jean et de Pierre entre autres, d’autres plus installés comme Nono ou Axel Bauer qu’effectivement j’ai contacté… Certains n’étant pas dispos, comme Patrick Rondat que j’aurais aimé avoir, un mec qui a pesé…
PD : … Quelqu’un qui a porté le guitaristique en France, ce que nous appelons « Shred »…
JF : … Qui a eu un succès à une certaine époque avec des instrumentaux à la guitare… Après, Ludo est vraiment un personnage central de la guitare en France, à travers son travail et ce qu’il incarne…. Je ne suis pas certain qu’un autre aurait été en mesure de porter un tel projet. Il nous connait tous, il connaît nos histoires, il sait ce qu’on joue et pourquoi on joue, c’est un catalyseur, qui possède sa façon propre de faire.
ANR : C’est donc toi qui as dispatché les artistes entre eux ?
LE : Oui, c’était assez évident pour certain, même s’ils ne se connaissaient pas. Je me suis dit, par exemple, que l’association Manu Livertout avec Nym Rhosilir allait matcher, parce qu’ils se ressemblent beaucoup en termes de personnalités. Après, musicalement, d’autres choses me semblaient évidentes : Pierre joue avec Quentin Godet qui est le guitariste de son groupe, et ils se connaissent par cœur. Dans d’autres cas, certains jouent à contrepied : c’est le cas de Judge Fredd, le guitariste de Cour Supreme et qui joue du Blues Texan, intervient sur le morceau d’Yvan Guillevic, qui est plutôt planant, j’ai voulu le sortir de sa zone de confort et l’amener à se dem… dans autre chose, finalement cela rend un truc intéressant…
ANR : Tu es une sorte de Géopolitologue de la guitare Française, en quelque sorte…
LE, JF, PD : (Rires)
LE : … Gus G., qui est un pur produit du Heavy Metal, je me suis dit qu’avec NeoGeoFanatic cela collerait, parce qu’ils sont tous les deux très « Old School ». Idem pour Rick Graham avec Richard Daudé. Des guitaristes m’ont également demandé de jouer avec untel…
ANR : … Et tu as refusé…
LE : J’ai été forcé de faire des choix… Axel Bauer, qui était très demandé, ne pouvait jouer avec tout le monde. Pareil pour Nono. Youri de Groote m’a demandé de vouloir jouer avec Nono, parce que pour lui cela avait une signification particulière, j’ai accepté…
ANR : Il y a donc une unité de temps : entre mai et septembre. Est-ce qu’il y a une unité de lieu ?
LE : La plupart des participants ne sont pas parisiens. On a loué un gros Airbnb à la Porte de Vincennes pour une durée de quatre jours, et tout le monde habitait là pendant les quatre jours…
PD : … Et on enregistrait là (NDA : au Studio 180, Porte de Pantin) du coup…
LE : Il y avait des gens qui venaient de la Côte-d’Azur, de Bordeaux, de Toulouse, de Nîmes, de Bretagne…
ANR : Qui s’est occupé de la prod’ ?
LE : C’est Arnaud Bascuñana, qui gère le Studio 180, qui a produit le disque. C’est quelqu’un de patient…
JF : Houla oui !
LE : … de pragmatique, qui ne panique jamais, qui sait désamorcer les tensions entre musiciens, ou un problème technique, il trouvait toujours le petit truc, jamais de Stress… Et puis, il a été rapide et très organisé surtout. Quand tu as autant de musiciens qui jouent sur quatre jours, il ne faut pas perdre de temps. Il y a des morceaux qui ont été intégralement réalisés ici. Il y a des maquettes qui ont été refaites de A à Z. Il y avait deux batteurs, qui se sont succédés sur les quatre : deux jours avec Yann Coste, qui est l’ancien batteur de No One Is Innocent, et qui joue dans un duo humoristique de batteurs qui s’appelle Fills Monkey ; puis deux jours avec Morgan Berthet, qui est le batteur de Kadinja (NDA : et de Myrath, et de Klone) La basse a été tenue Non-Stop pendant les quatre jours par François C. Delacoudre (Rires) Ceux qui possèdent de bons Home Studio ont fixé chez eux des guitares rythmiques à l’avance, afin que l’on puisse gagner du temps. 90 % des solos ont été enregistrés ici.
ANR : D’ailleurs, quel est le maximum de solos, c’est-à-dire d’intervenants par morceau ?
LE : Quatre, pour trois morceaux… Après, c’est trois solos en règle générale… C’est un disque très long, nous sommes partis dans l’idée d’un simple, finalement nous avons réalisé un double…
ANR : Ce projet n’est pas commun, n’est pas banal : tu as des exemples de projets similaires en France et à l’étranger ?
LE : Le seul qui me vient à l’esprit en France, est celui de Thibault Abrial, « Guitare Attitude », en quatre volets (NDA : en 1995) La différence est que chaque participant était arrivé avec un produit fini déposé dans un pot commun…
JF : … Cette idée d’échange qui ressort bien dans le titre du projet…
ANR : … C’est la question que j’allais poser : c’est toi qui as eu l’idée du titre ?
LE : Voilà ! Le nom et le Logo !
JF : Ludo a toujours été comme cela, depuis Guitar Xtreme : il a toujours mis en lumière des gens peu connus à côté d’autres plus connus…
LE : Idem pour les âges : le plus jeune est Quentin Godet, qui a vingt-trois ans, et le plus vieux, cela doit être Axel Bauer…
JF : … Fred Chapellier ?!? Il est vieux (Rires)
LE : … Donc, c’est intergénérationnel aussi…
ANR : En tant que Monsieur Loyal, tu devais être éreinté à la fin des quatre jours…
LE : Pas moi, plutôt Arnaud l’ingé-son, qui devait écouter les prises avec un faible volume tellement il n’en pouvait plus…Le bassiste, François-Charles, qui a joué sur l’intégralité des pistes, il avait…
ANR : … Les doigts en sang…
LE : Ce n’est pas ça, il avait été forcé d’apprendre un nombre considérable de lignes de basses en très peu de temps, dans des styles opposés, du Maiden à l’Afrobeat, c’est un travail schizophrénique !
JF : Ce qui ressort, c’est que chacun a conservé son propre style de jeu, sans compétition avec les partenaires…
PD : … Pas d’ego…
LE : De toutes façons, avec le niveau de virtuosité des participants, et leurs différences de styles, il était impossible pour chacun de jouer sur le même terrain que l’autre… Si tu essaies d’imiter l’autre, tu vas te cramer ! Tu es obligé de te montrer tel que tu es et de rester toi-même…
JF : Ce projet est un peu fou. Tu n’as jamais eu d’événement, y compris l’espace d’un concert, avec autant de guitaristes ! Lorsque j’ai eu Ludo au téléphone et qu’il m’en a parlé pour la première fois, je lui disais « Oui-oui » pour être gentil, tout en ayant la certitude que ce truc ne se fera jamais. Plus tard, lorsqu’il m’a demandé de faire une compo je l’ai faite ? Et c’est lorsque je me suis retrouvé en studio avec les autres, après que Ludo ai réservé les lieux, que j’ai réalisé que ce projet se faisait vraiment, quoi…
LE : C’est Olivia qui a ficelé le projet. Elle a obtenu des subventions afin que nous puissions nous réunir. On a fait une très bonne campagne KissKissBankBank également. Pourtant, nous l’avons engagée en plein été, ce qui est risqué car l’été les gens participent moins à ce type de campagne. Nous sommes arrivés à 191 % de contributions !
JF : Quand j’ai vu ce taux, j’ai halluciné : on te dit que la guitare est morte, et bien non ! Plein de gens voulaient voir ce projet de guitaristes aboutir ! Pourtant certains m’ont dit que ce projet était impossible à mener à terme…
PD : La guitare n’est pas morte. La musique commence justement à prendre de l’ampleur au contraire. Avant, les artistes étaient dépendants du bon-vouloir des Majors. Aujourd’hui, les gens décident et financent ce qu’ils veulent entendre. Tout est à portée de la main, grâce à Spotify par exemple.
LE : Ce qui a changé, est qu’avant nous avions le culte du Guitar-Hero, sur lequel nous jouons un peu avec cet album, maintenant de la guitare est démocratisée, ce n’est qu’un instrument parmi d’autres…
PD : Grâce aux nouvelles technologies, le niveau moyen a beaucoup progressé, les tablatures sur Internet par exemple. Avoir un très bon niveau technique, ce qu’on appelle « Shred » et jouer vite, ne sont plus des choses exceptionnelles, c’est quasiment un standard., c’est un truc qu’on te demande lorsque tu postules pour être guitariste professionnel. Joe Satriani et autres étaient de véritables Rock Stars de la guitare, ce qui n’existera plus désormais….
JF : … Il y a Bonamassa…
PD : … Bonamassa n’est pas qu’un guitariste, il y a tout un groupe derrière, des chants, etc…
ANR : Quand vous voyez sur les réseaux sociaux le nombre de vidéos de gamins de quatre ou cinq ans qui jouent du AC/DC comme des virtuoses…
LE : Après, ils ne sont pas encore musiciens, au sens de créer de la musique…
JF : … C’est le temps qu’ils murissent et qu’ils grandissent…
PD : Pour l’instant, on en est au stade du cerveau d’un enfant qui enregistre et qui rejoue…
JF : Pour revenir au disque : la figure du Guitar Hero a également évolué, dans la mesure où elle touche à d’autres styles qu’aux styles purement techniques, c’est ce qu’on a essayé de démontrer.
ANR : Je vais poser la question convenue de la fin, celle qu’on a dû vous poser le plus : il y aura une suite ?
LE : Oui (Rires) Nous commençons à y réfléchir, même s’il n’y a pas de plan préétabli. Il y aura un volume 2.
https://www.facebook.com/UnitedGuitarsArmy/
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