Avant le confinement et dans le cadre de sa participation au Mondial du Tatouage, Art N Roll a rencontré l’artiste tatoueur Easy Sacha. Sacha, qui officie dans son shop Mystery Tattoo Club, nous parle de ses débuts, de son parcours et de sa passion pour la musique.
Art N Roll : Pour commencer est-ce que tu pourrais décrire ta relation avec le tatouage avant de devenir artiste tatoueur et ce qui t’attirait dans cet univers ?
Easy Sacha : Le tatouage, j’y suis venu par l’intermédiaire de la musique. Vers 14/15 ans j’ai commencé à écouter du Metal, du Punk Rock et les groupes que j’aimais étaient tatoués. Je dessinais depuis tout petit, et la relation dessin/musique passait aussi bien par les pochettes des groupes que par le tatouage.
Quelles sont les pochettes qui t’ont marqué ?
Sacha : Les pochettes de Maiden forcément, les pochettes de Megadeth aussi. Les pochettes de Metallica n’étaient pas celles qui me plaisaient, mais maintenant j’aime bien le côté graphique de « Kill ’em All ». Il n’a rien à voir avec l’univers de l’époque. Les illustrations étaient souvent plus kitsch avec de la couleur.
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Et toi, tu dessinais quoi ?
Sacha : Je reproduisais un peu de tout, des bandes dessinées, des comics. J’ai commencé à dessiner dès que j’ai su tenir un crayon. Au lycée des potes me filaient leurs classeurs, leurs vestes en jean, leurs perfectos pour que je dessine dessus. C’étaient des commandes. Je dessine rarement pour moi, je dessine surtout pour les autres.
J’ai voulu faire des études dans le milieu artistique mais c’était un peu compliqué. Le fameux conseiller d’orientation m’a remis dans le droit chemin et m’a orienté vers le technique. Ça ne me plaisait pas trop mais j’ai fait du dessin technique. J’ai fait quelques boulots après mais j’ai vite eu envie de faire autre chose et je suis passé au tatouage quand j’ai eu 23 ans. Je tatoue depuis 1997.
Comment as-tu fait tes premières armes ?
Sacha : J’ai acheté ma machine et j’ai commencé à tatouer des copains. J’ai fait 2/3 tatouages sur des pieds de porc pour voir comment réagissait la machine. J’ai vu que ce que je faisais était mieux que des tatouages que des potes avaient, faits par des tatoueurs pros. Mes potes ont vu ce que je faisais et m’ont dit de les tatouer. A l’époque j’étais à Cherbourg, 2 mois plus tard je suis venu à Paris pour tatouer des copains et des copains de copains. Je faisais aussi des tatouages au henné dans des soirées un peu techno. J’ai rencontré une équipe qui avait un shop qui s’appelait Tribal Act. Ils m’ont demandé de venir faire des tatouages au henné le samedi. Eux ne faisaient que du piercing, scarification et implants. Ils avaient de la demande pour du tatouage qu’ils orientaient vers des shops ou que je récupérais chez moi. Au bout d’un moment on a convenu que ce serait plus pratique si je venais m’installer chez eux. J’ai été le premier tatoueur chez Tribal Act. Pendant 1 an je me faisais tatouer chez Tin Tin, on a appris à se connaître et à s’apprécier. Quand il a ouvert sa boutique à Pigalle il m’a fait savoir qu’il aimerait bien que je vienne bosser avec lui. Et je suis resté 9 ans.
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Quand tu as rejoint Tin Tin tu avais déjà ce tropisme pour le tatouage japonais ?
Sacha : Oui. J’aimais et j’aime toujours toutes les formes de tatouage. J’aime autant le côté collection d’une œuvre d’art que le côté symbolique. J’adorais aussi bien faire du polynésien, que du japonais, que du bio mécanique, que du portrait. Je voulais toucher à tout. Pendant très longtemps c’est ce qui a été mon style. Les gens venaient me voir parce que je savais faire tous les styles.
Quel a été le déclic pour te concentrer sur le traditionnel japonais ?
Sacha : J’étais arrivé à 2 ans et demi de délais pour avoir des rendez-vous. Je me suis dit qu’il fallait trouver une solution, annoncer 2 ans et demi pour les clients c’est compliqué. J’avais tendance à rediriger les clients vers d’autres tatoueurs et je me suis dit qu’à force de les rediriger j’allais perdre ma clientèle. J’ai donc fait un choix. Le japonais c’est ce qui m’attirait le plus dans tout ce que j’ai pu faire. Ça me permet de me concentrer sur un style et de me l’approprier encore plus. Mais ce n’était pas un choix artistique.
Est-ce que pour peaufiner ce style tu as suivi des formations spécifiques ? Tu es allé au Japon ?
Sacha : Non, je suis peut-être un des seuls « spécialistes Japon » à ne jamais être allé là-bas. Je devais y aller avec Tin Tin en 2001 et des concours de circonstances ont fait que ça n’a pas été possible. L’année suivante Tin Tin n’y est pas allé et la vie a suivi son cours. J’ai toujours cette envie d’y aller, mais avec ma compagne on a eu d’autres envies de voyages.
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Tous les codes de ce style tu les as appris en étudiant des livres, des œuvres ?
Sacha : Oui absolument. Après je ne suis pas quelqu’un qui cherche à connaître tous les codes et toute l’histoire. Je faisais un japonais européanisé, plus moderne. Je trouvais que ça vieillissait un peu mal. Je voulais quelque chose d’intemporel. Quand tu regardes l’évolution du tatouage tu vois qu’il y a des modes qui sont marquées dans le temps. Je voulais quelque chose de classique, traditionnel, qui vieillisse mieux. Comme sur les estampes, il y a des aplats de couleurs, des lignes franches et non des milliers de dégradés. Il n’y a pas trop de détails, c’est très graphique et très lisible. J’ai laissé de côté mon style de dessin pour aller vers du tatouage plus traditionnel.
Ta journée classique ressemble à quoi ?
Sacha : Quand je démarrais chez Tin Tin, je sortais tous les soirs. Je me couchais très très tard pour me lever très très tard. J’arrivais à la boutique juste avant mon rdv et souvent je préparais le dessin avec le client sur place. Ça pouvait prendre 2 à 4h et je commençais à tatouer en fin d’après-midi. Je suis parti au Canada, j’ai fait pas mal de conventions là-bas et eux avaient une autre méthode. Ils faisaient leurs dessins le matin, faisaient quelques consultations avec le client pour voir si ça allait mais ne travaillaient pas avec lui. J’ai fait ça là-bas et j’ai trouvé ça vraiment mieux. J’ai gardé cette approche en rentrant. Je dessinais tous les matins et tatouais les après-midis. Maintenant, avec des enfants c’est un peu plus compliqué. Ma journée type c’est je prépare les enfants, je les emmène à l’école et à la crèche, je dessine, je tatoue, je récupère les enfants et m’en occupe. Le soir soit j’ai un concert ou une répète, soit j’ai des dessins à préparer pour le lendemain. Parfois je peux rentrer de répète et me mettre à dessiner 1h ou 2. Ça fait des journées bien remplies !
Tu as la particularité de faire que des grosses pièces, cela veut dire que tu passes du temps avec tes clients. Comment se passe cette relation tatoueur/client pour toi ?
Sacha : Ça fait très longtemps que je ne fais quasiment que des grosses pièces. Il y a des gens qui reviennent me voir depuis 15 ans. Parfois ils deviennent des potes. A force tu connais leurs vies, tu connais un peu tout.
En moyenne tu passes combien de temps sur un tatouage ?
Sacha : Je prends une journée par client, je fais de sessions de 4 à 6h et avec les pauses ça prend la journée.
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Quel est l’intérêt pour toi de participer au Mondial du Tatouage ?
Sacha : C’est une des plus belles conventions au monde. C’est aussi par loyauté envers Tin Tin que je vois beaucoup moins. Pour moi c’est l’occasion de voir tous mes potes qui sont à l’étranger. Les gens que j’ai pu rencontrer au fil des années. Si tu restes tout le temps dans ton shop tu ne rencontres personne. C’est par le biais de ces conventions que tu fais vivre la scène du tatouage. Je ne suis pas fan de travailler en convention, je préfère presque y être en visiteur. Le dimanche je ne tatoue pas, je fais le tour des copains, je visite, je discute. C’est un super événement !
Tu t’es spécialisé dans un style, mais est-ce qu’il y a des projets qui te feraient rêver ?
Sacha : Non, je n’ai pas grand-chose dans le tatouage qui me fait rêver. Peut-être de voyager un peu plus. Quand la proposition de Tin Tin est venue j’avais commencé à poser les bases pour être en guest un peu partout. Je n’avais pas envisagé de me poser. Finalement je suis resté 9 ans là-bas. J’ai ensuite eu le choix entre rester et partir et finalement je suis resté monter un shop à Paris. Ce qui me fait rêver c’est plus la musique. Depuis que je suis dans Deliverance j’ai envie que ça fonctionne.
Tu es donc bassiste chez Deliverance, vous venez de sortir un deuxième album « Holocaust 26: 1-46 », vous êtes annoncés au Hellfest. Comment es-tu arrivé dans le groupe ?
Sacha : Tout partait d’une envie de jouer avec Yann de Mass Hysteria. On était amis depuis très longtemps et à chaque fois qu’on se voyait on se disait que ce serait cool de se faire quelque chose. Alexis, qui était le manager de Mass Hysteria et qui est maintenant le manager de Cult of Luna est batteur. Il a proposé qu’on monte un truc avec lui et Yann. Alexis nous dit qu’il a un pote chaud pour jouer avec nous et c’est Julien Hekking d’AqME. On a commencé à faire quelques répètes, ça matchait bien mais il manquait un chanteur. On a fait quelques bases de morceaux mais ça n’a jamais abouti.
Etienne d’AqME a monté Deliverance entre temps. Il a demandé à Julien s’il ne connaissait pas un bassiste. Julien m’a recommandé, Etienne m’a contacté et ça a bien matché. J’ai trouvé le projet hyper cool mais à la base je n’ai jamais été un fan de black metal pur. Je suis plutôt post-hardcore, sludge, doom. Il a fallu que je m’habitue à la voix. J’ai reçu 2 propositions très intéressantes en même temps. Celle-là et celle de jouer pour Mass Hysteria.
Tu aurais pu être le bassiste de Mass Hysteria ??
Sacha : Eh oui, et j’ai refusé le poste de bassiste chez Mass Hysteria. C’était un cas de conscience. J’en avais vraiment très envie, mais c’était 2 ou 3 mois avant la naissance de ma première fille. C’était compliqué de dire oui, j’avais déjà reçu la liste de toutes les dates de l’année et il y en avait une cinquantaine. J’aurais pu me mettre à mi-temps à la boutique…
… et vivre ton rêve de musicien !
Sacha : Oui, exactement. J’aurais pu jouer avec des potes et dans de super conditions, mais je n’avais pas envie de rater les premiers mois de ma fille. Je n’ai pas pris Deliverance par dépit, le projet me plaisait vraiment. Musicalement, je me sens plus proche de Deliverance que de Mass Hysteria. Je les trouve mortels en concert mais je n’écoute pas leur musique en dehors.
Est-ce que tu vas t’impliquer un peu plus dans le processus de création de Deliverance ? C’est quelque chose qui te plairait ? Là tu es surtout un musicien de scène.
Sacha : Oui je suis plus un prestataire de services (rires). Mais non, ce n’est pas mon envie. Je ne suis pas un grand musicien. Je ne joue jamais des heures chez moi. Je ne suis pas un musicien pur. C’est comme pour le tatouage ou le dessin. Je ne pourrais pas être illustrateur pur. J’aime bien le tatouage pour pouvoir dessiner pour les gens et avec eux. Je ne compose pas, j’aime jouer avec des gens. Je suis carré, je sais jouer des trucs, mais dans le processus de création musical Etienne et Pierre sont bien meilleurs que moi. On en discute, on a des échanges, mais je fais totalement confiance à Etienne.
Sur le dernier album, tu avais joué les morceaux en répète, puis en studio mais qu’as-tu ressenti à l’écoute des morceaux produits par Etienne ? Notamment pour des titres comme « Holocaust for the Oblate » ?
Sacha : Grosse surprise. On a joué les morceaux en répète pendant une petite année avec un côté assez brut, sans arrangements, sans effets et parties électroniques. Je les ai beaucoup écoutés pendant l’été et je me suis habitué à ces versions. Quand j’ai entendu la version sortie du studio ça a été assez déstabilisant. Il a fallu digérer un peu ça. J’ai réécouté plusieurs fois et c’est mortel. Maintenant j’ai hâte de les jouer sur scène. J’ai envie que ça fonctionne et qu’on ait de plus en plus de dates.
Sacha participera au Mondial du Tatouage, qui est reporté aux 16, 17 et 18 octobre 2020. L’album de Deliverance « Holocaust 26:1-46 » est disponible sur le site de Deadlight Records.
Retrouvez-le dans son shop, le Mystery Tattoo Club, 13 rue de la Grange aux belles dans le 10ème.