Conférence de presse de Wardruna, le 10 décembre 2020 à l’occasion du nouvel album KVITRAVN (22 janvier 2021)
A 17h ce jeudi 10 décembre, sur mon écran d’ordinateur puisque la conférence de presse se tient à distance pour cause de tu-sais-quoi, apparaît Alexander Milas sur fond de plume de corbeau et logo de Wardruna. Alexander Milas, de Twin V, est le producteur du documentaire sur Wardruna (dont tu peux voir le premier épisode ici, si ce n’est pas déjà fait : https://bit.ly/3a2ojJ9 )
L’audience invisible mais internationale est rassemblée pour écouter Einar Selvik et sa musique qui fait réémerger une magie venant de lieux anciens.
Milas fait place à Einar et ses instruments pour une première chanson. Nous avons le droit à une version acoustique, la voix d’Einar simplement accompagnée d’une sorte de lyre. L’expérience est précieuse : ce qui m’attire dans la musique de Wardruna, ce sont ces rythmes profonds marqués par percussions. Mais la magie opère en version épurée et à distance, la voix d’Einar réveille des échos lointains et la lyre marque le tempo d’une façon subtile. Le tout donne des frissons.
(en vrai il était dans un studio hein?)
Einar pose son instrument et s’apprête à répondre aux questions d’Alexander Milas. Il reconnaît qu’il est étrange de jouer ainsi pour les sans-visages, puis nous donne le titre de cette chanson : Munin. Il s’agit d’un des deux cordeaux qui accompagnent Odin. Cette chanson, comme toutes celles de Wardruna, est un chant intemporel. Comme l’explique Einar en réponse à Alexander Milas, cette intemporalité découle du fait qu’il s’inspire de mythes nés du milieu naturel, qui reste inchangé depuis des siècles, éternel dans un sens.
Il évoque le titre du nouvel album, Kvitravn, qui signifie Corbeau blanc. C’est aussi le surnom d’Eivar, mais ce n’est pas l’explication du titre. Il fait plutôt référence à l’animal qui est une figure centrale dans les traditions nordiques. Il représente un pont entre les mondes : entre la nature et les hommes, entre la vie et la mort… Il fait office de messager.
D’autre part, les animaux blancs ont un rôle particulier dans de nombreux pays : lion, daim, oiseaux… Les légendes qui les évoquent annoncent des changements drastiques.
Évidemment, à l’heure actuelle où la pandémie provoque des bouleversements sociaux d’envergure, cette figure du corbeau blanc résonne fortement. Einar parle d’un symbole très fort, mais surtout d’espoir.
Il évoque également la fin d’un cycle après toutes les années de travail sur la tradition animiste et les instruments pour créer la trilogie Runaljod. Il lui a fallu un temps de transition qui n’a pas été sans un petit moment de dépression. Il lui a fallu décider de ce qui viendrait après.
Ce nouvel album, Eivar le décrit comme plus personnel, évoluant dans une sphère plus humaine. Pour autant, il sera peut-être à rattacher à la trilogie. Rien n’est fixé.
Alexander intervient pour décrire le processus de création : ce n’est pas un album qui s’est fait en jammant en studio. Eivar répond en souriant que non, en effet ! Il sort dans la nature et cherche des sons et l’inspiration. Il évoque une façon animiste d’augmenter ses perceptions pour accueillir tout ce qui peut apparaître.
Alexander Milas note que se mettre en chasse de chansons n’est pas une expression pour Einar. Qui répond qu’il ne lit pas la musique, il ne l’écrit pas non plus. Il est intuitif. Son inspiration vient des instruments, de sa recherche au grand air en restant ouvert. Et lorsqu’il revient en studio, il travaille les détails longuement.
L’absence de nature fait aussi partie de l’élaboration lorsqu’il est en studio ou en tournée. Le manque crée une friction qui est propice à la création. Le travail se fait au cours d’un long processus organique et il essaye d’être patient pour laisser les chansons l’emmener là où elles veulent.
La nature est sacrée et nous l’avons oublié depuis longtemps. Il essaye de revenir à une attitude plus déférente, sans que ce soit lié à quelque religion que ce soit.
La pandémie, selon lui, confirme le besoin de se sentir lié à la nature. Nous ne pouvons pas continuer dans les excès sans qu’il y ait une réponse.
A la question de savoir si, via ces animaux-symboles, la nature nous parle, Eivar répond que la nature n’a jamais arrêté de nous parler, et que de plus en plus de personnes l’entendent.
Pour certains, la pandémie est un signal d’alerte, pour d’autres une crise après laquelle ils reviendront à la normale.
A propos des personnes participant au nouvel album Kvitravn, il y a comme toujours Lindy Fay Hella et son expression et approche uniques de la musique. Il parle également d’un chœur féminin mené par Kirsten Bråten Berg qui reprend un ancien mode de chant et permet de le faire vivre et de le transmettre.
Alexander l’interroge également sur ses éventuelles fonctions d’éducateur ou d’archéologue. Il répond en se défendant de vouloir prêcher, mais il aime apporter de la nuance dans les termes qui sont employés, comme celui de Viking. Il aimerait se débarrasser des vieux stéréotypes qui y sont collés. La période des anciens Norse-men a été très longue et ne peut se réduire aux clichés des Vikings guerriers qu’ont la plupart des gens.
Il en découle qu’il préfère utiliser le mot « Norse » plutôt que Viking pour décrire la musique de Wardruna.
Einar insiste sur le fait qu’il est important de connaître ses racines, non pas parce qu’elles sont meilleures que d’autres, mais parce qu’il est important de se connaître. Les traditions anciennes peuvent nous apprendre beaucoup de choses, tout comme l’histoire : on apprend de ses erreurs. Et parce qu’elles sont nées de la nature, elles peuvent nous enseigner beaucoup sur notre place dans la nature, notre connexion à elle.
Quand on lui demande s’il voit des similarités entre cette tradition nordique et d’autres traditions dans le monde, il répond par l’affirmative, avec enthousiasme. En remontant suffisamment dans le temps on trouve énormément de similarités, y compris en musicologie, en termes de rythme, de poétique… Ces éléments sont universels et cela explique sûrement pourquoi sa musique parle à tant de gens autour du monde. D’autre part, les gens ont un besoin de profondeur, de connexion. La chance de la tradition nordique a été d’être préservée plus longtemps que d’autres traditions pré-chrétiennes. Il est donc plus facile de retrouver ses traces, ses instruments et d’autres éléments de musique.
Il décrit ensuite les instruments utilisés pour Kvitravn, dont une partie l’entoure d’ailleurs, exposés un peu comme dans un musée. Il parle de nouveaux instruments utilisés pour cet album, comme la réplique d’une lyre allemande, la Trossingen-lyre, mais aussi la Taglharpa ou la Sotharpa. Elles appartiennent à la même famille que les instruments utilisés dans les albums précédents, ils en sont des variations. Il y a également la catégorie des flûtes, en os ou en bois, les cors et puis des bourdons énormes.
Alexander demande s’il existe des indices sur la façon dont on les utilisait. Einar répond par l’affirmative : chaque instrument possède ses particularités et ses restrictions de jeu ou ses sonorités infléchissent forcément la façon dont on en joue. Il cite la corne de chèvre en exemple.
Il précise d’ailleurs que pour éviter d’être influencé, il refuse d’entendre quoi que ce soit d’un instrument avant de l’avoir utilisé, comme un enfant qui découvre un jouet.
Il est temps pour une deuxième chanson, Andvevarljod (Song of the Spirit-weavers) [la vidéo de ce titre a été publiée à l’occasion du solstice d’hiver, NDLR]. En fait, il s’agit plutôt d’une version réduite de la chanson qui est beaucoup plus longue dans l’album.
A nouveau des frissons en entendant la voix d’Einar qui s’élève en évocation puis se fait celle d’un conteur. Les sonorités de son instrument sont plus médiévales que ce à quoi on est habitué avec Wardruna. Dans cette chanson, il est question des Nornes et du fil qu’elles tissent. Ce sont des déités Sami, présentes dans d’autres anciennes traditions nordiques également.
Alexander Milas relaie les questions des journalistes présents. L’une d’entre elles porte sur la participation d’Einar au jeu vidéo Assassin’s creed Valhalla. Il a débuté le travail il y a 2 ans. BMG l’a mis en contact avec Ubisoft, l’éditeur du jeu. Il a apprécié le projet qui était ambitieux avec ce qu’il aime, le travail sur les détails, et surtout un bon équilibre entre les détails historiques crédibles et une fiction qui combleraient les attentes des joueurs. Il a pu créer des titres, des ambiances sonores et participé au travail sur les éléments historiques.
On lui demande comment il effectue ses recherches avant de créer un album. Quelles sont ses sources ?
Il explique que quand il choisit un sujet, il s’efforce de connaître l’état de la science sur ce sujet, pour avoir un socle solide. Il est accompagné par une équipe internationale de spécialistes qui le conseillent en musicologie, archéologie musicale… Mais certains sujets sont plus obscurs, moins connus et on doit avancer malgré tout. Il se tourne alors vers un savoir plus pratique, et utilise sa créativité dans une approche qui est complètement différente de l’approche académique.
A la question de savoir quel est l’impact du climat nordique sur sa musique, il répond que la musique nordique a toujours été façonnée, colorée par son environnement. Elle peut être sombre, mélancolique ou morne, mais on peut trouver de la beauté dans la mélancolie, et la nature en est en grande part la source.
A un journaliste qui souhaite savoir s’il est influencé par des musiques plus modernes, il déclare que tout ce à quoi il est exposé a une influence. Il se sent illimité en termes d’influences. S’il aime quelque chose, un livre, un film, il peut y puiser de l’inspiration.
Wardruna a changé de label récemment, est-ce que ça change quelque chose à son travail ? Est-ce qu’il y a une nouvelle pression ?
Einar explique qu’il protège farouchement sa liberté artistique et ça ne changera pas. Les gens du label le comprennent et savent qu’il est de l’intérêt de tous de travailler ensemble et non pas les uns contre les autres.
A propos de son apparition dans un des épisodes de Vikings, il dit sa joie d’être passé de l’autre côté de la caméra, même si c’était étrange d’entendre le clap et de devoir instantanément chanter sans transition, sans perdre ses moyens.
Il donne une anecdote de tournage pendant lequel il a demandé sous forme de boutade, sa propre caravane, il a été étonné de s’en voir octroyer une pour lui seul !
Il lui est demandé dans quel genre il se classerait. Est-ce qu’il se sent proche du travail d’un groupe comme Dead Can Dance ?
Il comprend le parallèle, en effet il existe des similarités. Quand il s’agit de définir sa musique, ou de mettre une étiquette, c’est plutôt le rôle des journalistes selon lui. On pourrait dire que Wardruna a créé son propre genre mais il n’a pas de nom pour le définir.
Il décrit ensuite le logo de Wardruna qui est une combinaison de runes, à plusieurs niveaux de compréhension. Ces runes forment un mot, Wardruna : « gardien des runes/de la connaissance/des secrets ». Ce signe, évoque à la fois un alphabet, le secret, le savoir ésotérique, une chanson magique mais aussi la faculté de créer des sons.
Une autre question aborde le langage ancien utilisé par Wardruna. Einar explique que quand il a commencé, le langage était un élément qui manquait. Il a toujours utilisé son propre dialecte ou celui que son grand-père aurait pu parler. Il l’a mêlé avec l’ancien langage nordique, le norrois et même le proto-norrois. C’est un processus toujours en mouvement, qu’il utilise de façon légère, joueuse. Il n’est pas allé à l’école pour l’apprendre mais l’a appris tout seul, en étant aidé de temps en temps par des philologues.
En guise de conclusion, il ajoute qu’il a créé ses chansons et qu’elles l’ont enrichi et rendu heureux. Il ne pense jamais à celui ou celle qui écoutera ses morceaux, mais les paroles sont suffisamment ouvertes pour lui laisser de la place.
Enfin, il a hâte d’être à nouveau en tournée et de revoir tout le monde.
Merci à Einar Selvik, Alexander Milas et à Roger de Replica pour nous avoir conviés à cette heure passée entre les mondes !