Auteurs : Alexis Bernier, François Buot
Titre : Alain Pacadis : Itinéraire d’un dandy punk
Editeur : Le mot et le reste
Sortie : 18 octobre 2018
Note : 15,5/20
Comme toute bio de bon aloi, son récit est entamé par une analepse. Glauque, brillante et décalée à la fois, à l’image de son sujet. Feu Alain Pacadis est incinéré au Père Lachaise par un froid sibérien de décembre 1986. Serge Gainsbourg, tout affairé à se morfondre dans sa limousine, réalise avec panique que l’ultime cortège accompagnant son ami est parti sans lui, procession entre autres formée par Jack Lang, Nicoletta, Moustaki, les Rita et quelques dizaines de punks, noctambules et compagnons de route plus ou moins anonymes. Et que la dépouille de cet autre mondain abimé est en train de brûler sans qu’il n’ait été en mesure de déposer ce bouquet d’orchidées en son hommage. En contravention aux usages et aux prescriptions, le commis funéraire accepte exceptionnellement de conduire en catastrophe celui qui se savait dorénavant le prochain, en bas des marches de l’escalier menant au four crématoire, au plus près du brasier mortuaire afin qu’il puisse en toute précipitation y passer une main délivrer son offrande. « Une vraie décente aux enfers ». Plus haut à la surface, dans l’enceinte de l’illustre crématorium, la tante du défunt tente mordicus de dissuader les copines de celui-ci de fracasser un magnum de champagne contre le réceptacle mortuaire. Tandis qu’Hervé Vilard vocifère, outré par le bruit des bottes des premières secondes d’« Holidays in the Sun », un des hymnes diffusés en fond sonore d’une cérémonie à nulle autre semblable ; scandalisé qu’il y raisonne « un chant du IIIe Reich », l’ex-jeune premier poursuivra ses vaines protestations devant ce Gainsbourg frigorifié remonté se recroqueviller sur un des bancs. Une dénommée Anouchka s’emparera finalement de l’urne façon soule, sous les vivats et les bravos d’une partie de l’assistance. Comme pour l’épisode du Chalet du lac dix ans auparavant, beaucoup revendiqueront et / ou prétendront des années après avoir assisté à cet épique épitomé. Car si comme l’écrivent les auteurs « Paca n’a pas raté sa sortie », ces derniers ont quant à eux réussi leur entrée en matière, laquelle dresse et résume comme rarement les denses trois-cent-quarante feuillets qui vont suivre.
« Descente aux enfers », peut-être ; « Itinéraire », indubitablement. Celui d’Alain Pacadis, rejeton de Georges Tartades, un réfugié grec, et de Nicole Hercenberg, une juive à la destinée tristement identique à celles de tant d’autres, est entamé en 1949 dans une pièce unique de neuf mètres carrés sise au 95 de la rue de Charonne dans le onzième. Et s’y terminera d’ailleurs (tragiquement) trente-sept ans plus tard, sans lesdits géniteurs : le premier mort d’épuisement en 1966, la seconde partie volontairement rejoindre son époux en mars 1970. Alain est un jeune homme au physique ingrat (repoussant serait moins convenu, mais plus approprié), ainsi qu’à l’esprit affuté. La Cinémathèque du coin, la recherche archéologique ainsi que la confection de petits soldats de jadis, constitueront les bancs d’essais de sa passion, jalons initiaux de cet « itinéraire » d’à traviole la deuxième moitié du siècle dernier. Car Pacadis sera aux premières loges, pour ne pas écrire à l’avant-garde, de presque tout de ce qui fût la France underground de 1968 à la date de son assassinat supposé. La carcasse en S de ce néo Valentin le Désossé (mais à l’hygiène de vie de Toulouse-Lautrec) se trainera des barricades du quartier latin aux rutilants et guyluxesques spectacles de variétés des années quatre-vingt, passant par les couloirs des arts et métiers, les routes malfamées d’Iran et d’Afghanistan, l’agitation du FHAR. Puis viendront Open Market, Mont-de-Marsan, et bien entendu Palace. Le Palace, l’éphémère (en définitive) cénacle, auquel le patronyme de Pacadis est associé pour toujours. Idem pour ce qui sont des silhouettes bordant cette période : ils sont tous là, de Bizot à Mitterrand, de Mourousi à Zermati, les New-York Dolls, Yves Adrien, Serge July, Jacno, Charles Bukowski et Chantal Goya, un grouillant et truculent tableau digne de ceux des meilleures heures du Paris de la Belle époque. Du Name Dropping à foison donc, mais aucun pygmalion ni même influence revendiquée pour Alain, si ce ne seraient les pères du journalisme gonzo US.
Pour ce qui ressort de leur tâche, les auteurs en résument la teneur dès les premières lignes, prolégomènes à cette nouvelle édition : « Aujourd’hui le contraste est évident. Le scandale s’est banalisé et il n’est plus question de révolte mais de survie en une période de crise particulièrement dure (…) Les discours les plus originaux sont souvent noyés au milieu d’un torrent d’informations, et l’atomisation des sources, en particulier celle venant de l’internet, n’arrange rien. On a du mal à réaliser aujourd’hui le rôle que pouvait jouer un tel personnage, ultime et lointain descendant d’un Jean Lorrain, « dandy de la fange » fin de siècle ». Leur texte, qui alterne entre le subjectif et l’objectif, se lit par suite en une sorte de double lecture : Alexis Bernier et François Buot mettant un point d’honneur à systématiquement et à méticuleusement brosser trames et portraits des phases, lieux et personnages tour à tour traversés, parcourus et côtoyés par Pacadis. Cette remise en contexte permanente fait de leur somme un didactique manuel d’histoire de la contre-culture hexagonale, au risque néanmoins de parfois rebuter celles et ceux qui la connaissent d’avance. Quant à l’intitulé : si « itinéraire » et « dandy » sont adéquats, le mot « punk » pourra peut-être être contesté. Puisque d’une part, Pacadis larguera dès l’année 1978 ce genre musical (et global) pour le Disco puis pour la variété tout court, chaussant sans vergogne et avec astuce les guêtres du chroniqueur mondain. Et que d’autre part, le punk français étant plus que tout autre objet d’une controverse récurrente entre anciens et modernes, le Gaston Lagaffe odorant ne fût qu’une des figures majeures de la première vague, certainement pas des suivantes. D’ailleurs, le terme « punk » ne semblait constituer à ses yeux vitreux qu’une sorte de label momentané, un slogan provo, lui donnant l’occasion de faire montre de son tout son nihilisme calculé, notamment l’espace d’un soir chez Pivot. Opportuniste, malicieux et pourvu d’un indéniable flair, au sens figuré du terme.