Shock rock, jeux de mots, bidoche, constituent les trois mamelles des marseillais de Bad Tripes. Mais pas que. Groupe à part sur la scène hexagonale, il a semblé opportun pour ANR de passer faire un petit tour dans cette triperie. Rendez-vous visio avec Hikiko Mori, l’exubérante et chaleureuse chanteuse dudit combo, fut pris pour le début de soirée du dernier mardi d’avril 2022, prolixité et bonne humeur méridionale furent effectivement garanties rubis sur l’onglet.
Art’N’Roll : Chère Madame bonjour ! Quelle serait la question que tu ne veux pas que je te pose ?
Hikiko Mori (chant) : (NDA : Moue) Il n’y a pas de question qui m’effraie ou qui me semble taboue en fait…
ANR : Quelle serait la plus pénible sinon ?
HM : On demande à chaque musicienne (NDA : Voix gnangnan) « Qu’est-ce que ça fait d’être une femme dans un groupe d’hommes ?!? »… Et puis même cette question-là, j’y réponds sans soucis…
ANR : Vous tournez un clip ces jours-ci ?
HM : Pas exactement. Nous sommes en phase de préparation avec des jeunes réalisateurs que nous trouvons très talentueux, tellement jeunes que certains d’entre nous pourraient en être les parents, ça fout le vertige, enfin pas à moi ! Dune productions, ils sont sur Marseille. Sinon, nous avons enregistré notre quatrième album durant le confinement de 2021. Les pistes sont prêtes, les visuels sont quasi-finis, et comme nous sommes un groupe très théâtral, nous voulons qu’il y ait un clip de lancement pour ce disque. Nous voulons surprendre les gens et que ceux-ci se disent « Ils ont pété un câble ?!? » (Rires)
ANR : Quelles seraient les influences de Bad Tripes ?
HM : Aucun de nous n’écoute la même chose. Pour ma part je n’écoute quasiment plus de metal. Le seul point commun entre mon guitariste, que j’appelle « Le Hibou », et moi étant que nous aimons bien l’indus comme Rammstein et Marilyn Manson, un souvenir de l’adolescence. J’étais alors le cliché de la petite metalleuse qui s’habillait en noir et n’avait pas d’amis, qui portait des t-shirts XXL parce que les t-shirts pour filles ça n’existait pas alors ! Je portais des djellabahs Korn ou des djellabahs Black Sabbath, des boubous Motörhead ou des boubous Pantera ! J’écoutais de tout sans distinction, sauf le BM ou le death… Ensuite, j’ai découvert les Tétines noires à l’âge de treize / quatorze ans…
ANR : J’allais y venir…
HM : C’est le groupe qui m’a donné envie de faire de la musique, un coup de foudre, le début d’une véritable histoire d’amour, une obsession… C’était il y a vingt ans !
ANR : Je ne veux pas être désagréable avec toi, mais les Tétines noires c’était il y a plutôt trente ans…
HM : Justement ! Je les ai découverts alors qu’ils avaient disparu depuis des années déjà ! Trouver des disques des Tétines noires à cette époque, le début des années 2000, fût une véritable quête arthurienne (Rires) J’ai alors bifurqué, lâché le metal et j’ai commencé à écouter Bauhaus, Siouxsie ou Sisters of Mercy, et toujours grâce aux Tétines noires, je me suis intéressée à toute cette scène française, celle de Boucherie Productions, des Bérus, des VRP, puis j’ai écouté Edith Piaf. C’est pour cela que le chant en français ne m’a jamais posé de problème. En revanche, mon guitariste est branché death mélodique, In Flames, tout cela…
ANR : Et les membres des Tétines noires savent que tu es fanatique de leur groupe ?
HM : Lorsqu’ils se sont reformés en 2018, j’ai eu la chance de rencontrer Emmanuel Hubaut et de faire ma groupie hystérique lors d’un festival ! Nous sommes en contact sur Facebook, mais je ne leur cours pas non plus après… Néanmoins, si nous avions un jour la possibilité de faire un concert avec eux, je pourrais ensuite me faire écraser par une Twingo vert pomme sans m’en apercevoir !!!
ANR : Donc tu as fait de la spéléologie dans cette scène, si par exemple je te dis « BB Doc »…
HM : Bien sûr ! Et Pierrot Sapu leur chanteur est désormais aumônier dans le Var, à Draguignan… Je suis une agnostique totale, mais je considère que son parcours de vie est héroïque, une très très très belle personne…. En fait, je suis très franchouille dans mes goûts ! Happy Drivers, Jean-Louis Costes…
ANR : Nous allions justement parler de Jean-Louis Costes, la filiation entre lui et Bad Tripes tombant sous le sens ! Juste avant, j’ai lu que vous disiez pratiquer du « shock rock », mais c’est quoi le « shock rock » à la fin ?!?
HM : On a pris ce terme afin de nous définir parce qu’on est nuls avec les étiquettes ! Mon compagnon qui joue dans un groupe d’indus médiéval dit qu’il ne peut pas se coller d’étiquette parce qu’il n’est pas disquaire ! Nous, nous avons du synthé et des samples, donc on nous a collé l’étiquette « metal indus », mais nous ne sommes pas du metal indus, le fan de Rammstein qui va nous écouter va nous détester ! Nous ne pouvons pas non plus être comparés à nos copains de Punish Yourself… Même le mot « metal guinguette » serait réducteur, c’est dire ! « Shock rock » convient davantage, car il désigne quelque chose de théâtral, qui englobe aussi bien Screamin’ Jay Hawkins que le Rocky Horror Picture Show, qui est mon film préféré de l’histoire de l’humanité, qu’Alice Cooper ou Marilyn Manson. Sur scène, nous sommes tous très maquillés, nous voulons conserver une part de fiction, presque de mystère… Si les gens paient une place de concert, il faut qu’ils en aient pour leur argent, et que nous leur donnions quelque chose qui sorte du quotidien ! « Shock » parce que cela choque, je suis souvent à moitié nue sur scène et j’en fais des tonnes ! Certains vont dire que c’est de la provoque facile, moi je vais simplement dire que c’est (NDA : Léger accent marseillais) RIGOLO !
ANR : Selon toi, les deux premiers Mötley Crüe seraient-ils « shock rock » ?
HM : Non, c’est plus du glam. Et puis, comme je t’ai dit je suis nulle en étiquettes ! Le shock rock revêt une dimension plus « gore », tu n’as pas cela dans Mötley Crüe.
ANR : Pour revenir en France, j’ai vu que vous étiez potes avec les centristes punk de Cannibal Penguin…
HM : Le seul véritable complot étant que des pingouins télépathes prennent le contrôle des esprits afin que les humains oublient de joindre les pièces jointes quand ils envoient des mails… De cela, les grands médias n’en parlent pas, alors que Cannibal Penguin, dont je suis une guest, oui ! Yann Kerninon et moi avons un point commun : c’est Jean-Louis Costes. Yann a écrit un livre qui s’intitule « Jean-Louis Costes ou le fou qui est en nous », que je voulais me procurer, et j’ai ajouté Yann sur Facebook dans l’optique de lui envoyer un message afin de le lui gratter… Et à ma grande surprise, c’est lui qui m’a de suite abordée ! En me vouvoyant dans son message, très dandy, et me disant qu’il aimait bien ce que je faisais avec Bad Tripes ! Nous sommes donc devenus copains. Cette attirance pour l’œuvre de Jean-Louis Costes est donc notre point commun avec Kerninon et Cannibal Penguin. J’ai écouté la musique de Costes de façon obsessionnelle à un moment, et j’ai par la suite participé à plusieurs projets et ouvrages collectifs autour de son travail. J’ai également écrit un article dans Le Monde libertaire sur Anne Van der Linden, sa complice.
ANR : Aurais-tu voulu vivre en France dans la décennie 1984-1994 ? De Gogol 1er à la fin de la Mano ?
HM : Franchement, pour Bad Tripes c’eut été parfait. Notre premier concert a eu lieu le 9 novembre 2007 en première partie de Jean-Louis Costes justement, avec ses décors sur scène et son mélange odieux Mont-Blanc épinards… Il n’avait pas de première partie et nous en avions profité pour taper l’incruste, à condition de ne toucher à rien des affaires de Jean-Louis Costes, c’était un ordre… Assurer sa première partie nous a permis de nous constituer un début de public. Oui et non sinon, pour répondre à ta question, à réflexion faite, on ne sait pas, si ma tante en avait…
ANR : Si j’avais des roues je serais une voiture…
HM : Il est vrai que lorsque je découvre des archives de concerts des Tétines noires sur la chaîne YouTube crée par Emmanuel Hubaut, je bisque et aurais rêvé d’assister à cela ! Qu’est ce que j’aurais aimé être présente lors de ce bouillonnement artistique ! Je le déplore. Mais Bad Tripes n’aurait certainement pas existé sous cette forme, et je n’aurais pas été la même personne… Chaque époque possède ses avantages et ses inconvénients, celle d’aujourd’hui nous a permis de nous faire connaître, grâce aux réseaux sociaux. Dernière chose, je ne vis pas à Paris mais à Aubagne, et je ne sais même pas à quoi ressemblait la scène rock de Marseille entre 1984 et 1994 !
ANR : Tu n’as jamais pensé à vérifier ?
HM : Sincèrement, je ne m’y suis jamais intéressée. Mon compagnon qui vient de Toulon et qui a lui connu cette période, m’a parlé d’un groupe marseillais qui se nommait Kill the Thrill, mais moi je n’y connais rien du tout ! Et je ne cherche pas les groupes en fonction des villes…
ANR : Justement, avec quels groupes vous sentez-vous une affinité ?
HM : Evidemment Punish Yourself, j’ai fait la stagiaire pour eux, j’ai fait les cafés, j’ai dit « chocolatine » au lieu de dire « pain au chocolat » (Rires) Shaârghot, que j’embrasse très fort au passage, et j’aime aussi bien artistiquement qu’humainement.
ANR : Pourquoi ce pseudo « Hikiko Mori » ?
HM : Parce que depuis toute petite les gens croient que je suis asiatique, alors que je suis moitié espagnole et moitié algérienne, ma Mère est originaire de Constantine. J’ai même eu droit à du racisme anti-asiatique ! Egalement parce que je suis limite asociale (NDA : « Hikikomori » désigne en Japonais un état psychosocial et familial concernant principalement des hommes qui vivent reclus) en dépit du fait que je suis très bavarde ! Je n’ai pas du tout baigné dans la culture maghrébine, ma Mère étant très occidentalisée, mais à force de se faire traiter d’asiatique, et étant très curieuse de nature, je me suis intéressée à la culture manga, Dragonball et Ramna 1/2 comme tous les trentenaires d’aujourd’hui, puis aux travaux du photographe Araki, à ceux du dessinateur Junji Itô, au cinéma japonais, à la cruauté du cinéma japonais, à la littérature, la musique japonaise… Internet m’a permis de me réfugier et en même-temps de me cultiver, Internet ne sert pas uniquement à insulter les autres et à développer des théories du complot ! Quand on a lancé Bad Tripes, je me suis dit qu’il fallait jouer sur le côté asiatique de mon personnage, ce pseudo est donc venu naturellement…
ANR : C’est quoi cette histoire de photos promo avec Nono le Robot ?!?
HM : (Rires) C’est tout simple ! Ce Nono appartient à un afficionado de Bad Tripes, qui nous a envoyé des photos de concert sublimes, bien plus réussies que celles auxquelles nous avons droit d’habitude, et qui fait par ailleurs des photos de pinups. Je lui ai donc proposé une session photo, et il se trouve que chez lui il y a une superbe collection de produits vintage dont ce Nono le robot d’Ulysse 31 à la véritable échelle ! Une jolie rencontre fortuite.
ANR : Quel est ton personnage de fiction préféré ?
HM : Tomié, de Junji Itô. Une très très belle jeune fille mystérieuse, qui se distingue par un grain de beauté au coin de l’œil, et qui rend les hommes fous au point de vouloir la tuer. Mais Tomié est immortelle, non seulement elle ne meurt pas, mais en plus elle se démultiplie.
ANR : Quel est ton plat préféré ? Les tripes ?
HM : Non. Une pizza au feu de bois, ou les vraies pates à la Carbonara.
ANR : Question « Mick Jagger » : te vois-tu à soixante-dix ans en train de faire ce que tu fais sur scène ?
HM : Je ne sais même pas si je serais vivante demain. Dans l’absolu, oui. Si, contrairement à certains chanteurs français qui chouinent « connard de virus gna gna gna… », l’on vieillit avec classe et que l’on fait les choses avec sincérité, l’âge n’est pas censé être un frein.
ANR : Quel est le mot d’argot marseillais que tu préfères ?
HM : PACHOLE !!!
ANR : J’ai cru que tu allais me dire « le muge », tu vois…
HM : Non, « le muge » c’est davantage le mot de mon guitariste, plus précisément « le vier » ou « nu du vier » !!!
ANR : Très intéressant…
HM : Nous sommes réunis par un humour crétin !
ANR : As-tu une blague marseillaise pour nos lecteurs ?
HM : Il aurait fallu mon guitariste… Ah, ben si, j’en ai une, quoique Raphaël Mezhari l’avait racontée à Brigitte Fontaine…
ANR : Ben vas-y !
HM : C’est la blague de « Mes couilles Mickey ».
ANR : Ça me dit vaguement un truc…
HM : (NDA : Accent marseillais surjoué) Ce sont deux vieux types qui prennent un Pastis sur le vieux port et qui se disent « – C’est beaug la mèreu – Ah oui, franchemeng, c’est beaug la mèreu – Tu as les effluveues de la mèreu, ça donneu envieg d’ouvrireu un restaurang – Ah oui, tieng, un restaurang avé les terasseus après le covideu… »…
ANR : Tu viens d’actualiser la blague…
HM : « – Comment tu veux l’appeler ton restaurang ?!? – « Mes couilles Mickey » – QUOI !?! Mais tu es FADA, tu vas pas l’appeler commeu ça ?!? – Pourquoi pas ?!? Qu’est ce qui te cheuque ?!? – Appelles-le « Chez Bobby », « La Grande Bleue », « Chez le fada », j’en sais rieng moi, « Au ravi », « Chez Pagnol » mais pas « Mes couilles Mickey », t’as craqué !!! – Ben si cong, tu as bieng un restaurang qui marche très bieng et qui s’appelle « Ma queue Donald »…
ANR : Ah oui, effectivement… As-tu un mot de la fin, pour tous tes fans parisi… du Monde entier ?
HM : On sait que l’attente a été longue, entre notre troisième album et notre retour, nous n’avons pas fait quoi que ce soit à destination de notre public durant la période de covid, cela a été un tout petit peu compliqué, et cela continue d’être compliqué pour employer un euphémisme, en tous cas nous sommes en train de vous préparer un quatrième album, quelque chose qui va être très très très très chouette…
ANR : C’est dit. Allez l’OM ?
HM : Le football et la maternité sont les deux choses que je ne comprends pas.
ANR : Je te souhaite une bonne soirée, à très bientôt…
HM : Merci ! A très bientôt, salut !