HOT on the rocks!

Arch Enemy – « Deceivers »

samedi/13/08/2022
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Arrivée en 2014 en provenance de The Agonist (qui peinent encore à se remettre de cette défection) en remplacement de l’historique Angela Gossow (dont les partisans peinent toujours à se remettre de cette retraite), la canadienne Alissa White-Gluz aura réussi en trois étapes, l’ultime ces jours-ci, à quasi-phagocyter l’image et à influer de façon déterminante sur la carrière des suédois d’Arch Enemy, groupe pourtant formé en 1995 (soit dix-neuf ans avant l’arrivée de cette troisième chanteuse) par l’ex-guitariste de Carcass, le vénérable Michael Amott. Avec « War Eternal » en guise de premier acte, la juvénile et bosseuse « growleuse » avait scrupuleusement adopté ses marques (en même temps que Jeff Loomis, le second guitariste nouvellement intronisé) au sein d’un disque à la production ainsi qu’aux idées cohérentes, donnant vie à une poignée de néo-classiques du combo (« War Eternal », « As the Pages Burn ») ainsi qu’à une pépite sonique pour le moins mémorable de venin (« Never Forgive, Never Forget »). S’ensuivirent deux ou trois razzias mondiales (264 dates pour les exercices 2014 à 2016 sans compter celles de début 2017), avant la parution de « Will to Power » en septembre 2017, confirmant cette parfaite entente entre Amott et sa protégée sur douze joyaux, tournant définitivement le dos au melodeath des débuts ; des résidus de ce genre subsistant en filigrane dans les parties de chants « growlées » de la belle bleue ainsi que dans la batterie de Daniel Erlandsson. En quatre éminents simples et presque autant de nouveaux standards au répertoire (« The World is Yours », « The Eagle Flies Alone », « The Race » et « Reason to Believe », ce dernier laissant entrevoir si ce n’est la suite du moins des marges d’évolution), Amott avait mis en valeur sa chanteuse, dans des réalisations vidéos de très bonne facture signées Patric Ullaeus.

L’album, qui n’avait de nietzschéen que le nom, avait consacré le statut de groupe superstar des quatre Chewbacca et de leur redoutable valkyrie bleutée, mais élevé la prochaine marche que Némésis devait gravir. Quelques tournées intersidérales (quel stakhanovisme, me permettant de voir un groupe trois fois en moins de six mois en trois scènes différentes), puis la parution d’une compilation meublante de reprises (toutes périodes confondues, illustrant bien sûr l’évolution du chant et du son, mais aussi des orientations artistiques, par une cover de « Shout » de Tears for Fears détonnant avec les reprises usuelles des temps jadis, de Judas Priest, de Maiden ou de Megadeth)… Et cinq années se sont écoulées. Jamais gap entre deux albums studio d’Arch Enemy n’aura été si long. Un quinquennat. Et ce, avant qu’Amott & Co ne tease un nouveau morceau le 21 octobre 2021, « Deceiver, Deceiver ». Puis un second, « House of Mirrors », le 9 décembre. Et un troisième « Handshake With Hell », le 4 février 2022. Et « Sunset over the Empire », le 20 mai. Puis, enfin, le cinquième « In The Eye Of The Storm » le 14 juillet. Je ne sais pas vous, mais moi je n’associais pas ce parcimonieux compte-gouttes à un bienfaisant présage. Pas même et non plus à une antique torture chinoise. Non. Plutôt à une fastidieuse attente à la « Use Your Illusion ». Susceptible de trahir quelque manque de confiance en soi ou pis un problème à bord, la sortie de l’album prévue pour le 29 juillet ayant été d’ailleurs décalée. La libération aura finalement eu lieu, à Paris comme dans le reste du Monde libre, le 12 août 2022. Cinq des douze pistes (onze chansons et un instru) de cet onzième opus ayant déjà été dévoilées l’effet de surprise s’en trouve notablement atténué.

D’ailleurs il n’y aura pas trop de surprise. En tous cas globalement. Pour ce qui relève de l’approche musicale, « Deceivers » entérine les options de « Will to Power ». A tous points de vue. La pochette est belle. Encore plus belle. Ou esthétique si votre conception de la beauté diffère. Rien à voir avec celles de l’époque Gossow. Pas de têtes de morts donc, ou de logos anarchisants. Le visage de la chanteuse est le seul de ceux des membres à apparaître (une première), sous la délicate forme d’un masque de verre. Diaphane comme jamais. Altière voire aristocratique. Une princesse du Nord de l’Italie. Triste. Vraisemblablement déçue. Peinée, en larmes, peut-être maltraitée. Une sorte de démon à la droite de celle-ci, ayant à peine ôté un masque type vénitien, laissant apparaître une peau crue d’albâtre et visqueuse. Les deux visages apparaissant lumineux, dorés, constituant quelque peu contraste avec la sombre pyramide en fond ainsi que l’agressif serpent à deux têtes en bas ; lesquels font rappel, de façon discrète presque subliminale, des visuels des deux précédents disques. Du changement dans la continuité, donc.

L’on navigue désormais dans un heavy metal rappelant (parfois) Judas Priest, au chant souvent « growlé ». « Handshake With Hell » illustre cette tendance. Il respire un metal « bubble-gum », aux intonations et au refrain rock’n’roll, renforcé par le chant à dominante clair d’Alissa. Ce sera un des temps forts des concerts à venir (après un passage le 9 à Tel-Aviv, ils ont joué hier au Knotfest finlandais, ils triompheront demain à l’Alcatraz belge). A l’image de ce morceau, la production est pour l’essentiel moins lourde que sur « Will to Power ». Plus acérée en fait, du latin « acer » qui peut aussi dire « affilée », « mordante », « pénétrante », « vive » ou encore « subtile ». Arch Enemy 2022 quoi. Le chant d’Alissa, mais aussi les duels de guitare (à la Judas) entre Amott et Loomis demeurent la marque de fabrique de l’ennemi juré. La fluidité est maîtresse-mot. Fluidité et technicité, à l’image des guitares de « The Watcher ». « Deceivers » reprend souvent diverses recettes à ses deux heureux prédécesseurs, les assemblant différemment : par exemple, le rythme de « Deceiver, Deceiver » fait écho à « The Race », son refrain à « As the Pages Burns », et son solo à « The World is Yours ». Et il en est de même pour de nombreuses nouvelles compositions. Mais la créativité est là. Le riff du mid-tempo « In The Eye Of The Storm » possède quelque chose de Scorpions, avec des vocalises ainsi qu’un son contemporains, un voyage metal entre hier et aujourd’hui. « Poisonned Arrow » sera leur seconde « ballade » (après « Reason to Believe » de 2017), lourde et mélodique à la fois. L’incursion furtive d’un abyssal et odysséen synthé sur « Sunset Over the Empire » est délicieuse. Tout comme l’est cette familière cavalcade rythmique sur « House of Mirrors », ou le sont ces chœurs scandés sur « Spreading Black Wings » au final olympien, divin. Du bidouillage angélique sur l’instrumental « Mourning Star », au zeste de bourrin à l’ancienne sur « One Last Time », en passant par un chorus accrocheur sur « Exiled from Earth », le néophyte comme le vieux fan se régaleront. Diversité bienvenue, production fabuleuse, judicieux arrangements, le tout faisant plus que jamais Arch Enemy maître de ses ambiances, de ses coups d’éclats. L’un des albums de l’année par un des groupes de la décennie. Celui avec la chanteuse aux cheveux bleus.

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