HOT on the rocks!

Hellfest samedi 25 juin 2022 – « Contre mauvaises fortunes… »

mercredi/31/08/2022
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8 heures 10, le gargantuesque (35 000 places) camping dort encore (il s’est pieuté il y a peu en fait…), l’air est désagréablement épais cette pénultième matinée, empli d’une tiédeur humide consécutive à la vilaine flotte de la veille (voir « Requiem pour la soirée »). Claque alors dans le ciel clissonnais, de façon inattendue, voire surréaliste, une caisse claire familière, un swing de batterie unique, rejoint au bout de trois secondes par quatre caoutchouteuses notes de basse, un basse-batterie d’une unicité familière… telle qu’il ne faut guère quatre secondes de plus pour identifier le trippant « Rocket Queen »… Mon brulot préféré de Guns’n’Roses est présentement répété au petit matin, sur la scène d’un site désert, vidé depuis environ quatre heures. Si le son de la guitare qui rejoint ce basse-batterie est celui de la Les Paul de Slash, le toucher indique néanmoins que ce n’est pas lui qui joue cette inopinée balance, un roadie très certainement… Un réveille-matin inouï ! Ce second samedi se confirme empli de plaisantes promesses. C’est qu’aujourd’hui entrent en (six) scènes mes artistes de prédilection, ceux de toujours et de maintenant. Je quitte un Green Camp encore vaporeux armé de la motivation d’un scout à son Jamboree initiatique, chevillé de la ferveur d’un Georges Marchais à son premier déplacement au Kremlin, traversant pimpant et guilleret un site qui peu à peu s’anime, doucettement aimanté vers la Temple.

Temple retrouvant 45 minutes durant ses atours d’antan (en dépit du fait que l’armada trve n’a globalement pas plébiscité cette édition, préférant fort probablement des événements plus confidentiels, à l’image du Tyrant Fest), grâce à une formation bretonne créé en 2007 qui peaufine tant fond que forme : Les chants de Nihil. Les corpse paints ne sont véritablement pas légion, mais une assemblée de fidèles et de connaisseurs a répondu présente pour 11 heures 05. La gaieté de retrouver l’esthète François Blanc (Angellore, Abduction) aux abords de celle-ci. Instrumentaux, son, lumières, cœurs, textes, gestuelle, nihil n’est laissé au hasard par le quatuor compatriote. L’ingé-son lève un pouce satisfait à destination de son adjoint. L’assistance communiant avec Jerry, Youen et Mist sur (entre autres) « Ma doctrine, ta vanité », leur hymne chanté à l’unisson. Un des imposants membres de la sécu, très certainement d’origine peul (j’avais conversé avec un autre membre de l’équipe l’avant-veille), s’aventure lentement à l’orée de la tente et opine naturellement du chef aux rythmes syncopés des Chants de Nihil : la musique est définitivement un cri qui vient de l’intérieur, comme le chantonnait un stéphanois… Ovation. Un thème synthétique martial est diffusé en outro, la foule se dispersant à 11 heures 33 pile. Je trottine direction Mainstage 1 voir la fin de Dirty Honey, des américains dont le logo bâché derrière eux n’a vraisemblablement pas pour vocation de dissimuler leurs influences musicales : une bouche entrouverte sur d’arrondies quenottes (sans langue qui en sort). Le quintet n’est pas sans évoquer la vaguelette stonienne – facienne d’outre-Atlantique et d’outre-Manche seconde moitié des années 1980 (Georgia Satellites, The Dogs D’Amour, Quireboys, Black Crowes). Lancers de plectres et de baguettes à l’ancienne. Pico-halte à l’Altar afin de me confronter pour 11 heures 40 au post metal experimental des bolognais de Nero di Marte (« Noir de Mars »). Bonjour tristesse. Les quatre transalpins pratiquent une musique torturée, stridente et bigrement technique. Extrême de qualité.

Un peu de légèreté à présent ! C’est au tour du virevoltant et fantasque Michael Monroe de dominer les débats. Pour la troisième fois ce millésime je me colle aux barrières, celles cette fois de la Mainstage 1, afin de ne laisser passer nulle miette de la démonstration. Une chaleureuse attrape par l’épaule droite me signale illico une communauté de démarche : le professeur Karila, éminent amateur d’hard rock US, partageant par ce geste son bonheur de vivre l’imminence d’un super moment ! La diffusion d’un instrumental type western précède à 12 heures 19 ces pétaradantes réjouissances, rappelant que le (toujours) fringuant Matti Fagerholm (qui a célébré ses soixante balais vendredi dernier alors qu’il ouvrait Outre-Rhin pour son modèle Alice Cooper) conserve son regard bleu baltique rivé à l’ouest. Tel un gang ses quatre musiciens se placent en cercle devant la batterie, leur peroxydé patron déboulant à la cantonade sur l’entame d’un « One Man Gang » tonitruant, son « Rip this Joint » à lui. La voix du félin showman vêtu de rouge sonne plus rauque que sur la version studio de ce joyau rockab’, directement enchaîné sur l’autobiographique « I Live Too Fast to Die Young », son dernier single. S’ensuivront quarante minutes (peu pour une star, de même que sa place trop basse dans le running order) d’entertainment et de larsen délibéré, notamment sur son vitaminé standard « Dead, Jail or Rock’n’Roll » de 1989 (dans le clip duquel apparaît un dénommé Axl Rose… et l’on se dit furtivement qu’une apparition de Michael Monroe cette soirée pendant la grand’ messe de Guns’n’Roses ne pourrait être que brillante initiative… il est toujours permis de rêver !). Le finlandais manque de se ramasser la margoulette en se prenant la santiag dans un câble. Mais parvient en revanche à chanter en équilibre debout jambes écartelées les deux pieds sur deux retours différents (du jamais vu, ne faites pas ça chez vous !). Stupéfiant. Et comme une évidence qualitative : notre homme vit la meilleure partie de sa (longue et sinueuse) carrière. Le premier grand moment de ce samedi. Comme toujours avec Michael Monroe, le rideau ne se baisse nullement à 12 heures 55. L’émacié bagouzé animera à 16 heures une copieuse conférence de presse, finissant celle-ci de façon glamour (et pas « glam », il y a des mots qui peuvent fâcher…) assis les jambes étendues sur le bureau, microphone dans une pogne, éventail rouge dans l’autre. Entretemps, j’aurai moi intercepté le micro itinérant afin de rappeler audit conférencier que « Fingerprint File » (le rugueux funk rock des Stones avec Mick Taylor à la basse) est son morceau préféré des cailloux, avant de lui demander s’il avait prévu d’aller les admirer sur une date de la tournée européenne « Sixty » ; réponse de l’idole-fan : « Je serai à Londres afin d’ouvrir pour Guns’n’Roses le 2 juillet au Tottenham Stadium, et les Stones jouent à Hyde Park le 3 donc probablement, on va voir… Quoi qu’il en soit, tu as raison : « Fingerprint File » sur « It’s Only Rock’n’Roll » est ma chanson favorite des Stones, THANK YOU MAN ! ». De nada.

Sa présence au Hellfest fâcheusement raillée sur les réseaux sociaux (y compris par des personnes de qualité pour lesquelles je conserve toute estime), Epica ouvrait à 17 heures 55 la parenthèse (enchantée) du metal symphonique à chanteuse, en l’occurrence la sublime Simone Simons. Il n’est pas contesté que le triumvirat Chanteuse lyrique + guitariste qui growle façon « Cookie Monster » (« Macaron » dans « 1, rue Sésame ») + reste du groupe qui psalmodie en mode grégorien = singulière et baroque formule made in Tilburg pouvant dérouter. Mais moi j’aime ça. Pas que moi, étant considérée la masse humaine aux abords de la scène principale 2. Un drapeau « Epica Japan » aux couleurs du Japon impérial flotte au-dessus de cet amas de bras, tendus vers une complexe estrade à un étage bordée de deux cobras en fer. C’est celui de Yoshiaki Tsuchiya qui a fait le voyage. Il y a un drapeau grec également. Dans un ordre identique à celui de l’album « Omega » (février 2021), l’instrumental simili bande originale de blockbuster romanesque « Alpha – Anteludium » est restitué par les cinq musiciens, de suite enchaîné sur « Abyss of Time – Countdown to Singularity », sur lequel la voluptueuse Simone fait son apparition. Plus flamboyante que jamais, revêtue d’un ensemble noir à franges métalliques, intégralement sûre d’elle dès la dernière phrase du premier couplet (« Hellfest, let me hear you !!! »). Epaulée dans sa harangue un étage plus haut par Coen Janssen le clavier, laissant de temps à autres son instrument tournicoter sur lui-même (?). Le groupe et sa chanteuse mettent à contribution la plupart des parties non-vocalisées afin d’headbanger à cadence collective, lente, identique à celle des hautes flammes crachées paresseusement par le plancher. C’est une formation soudée qui fait face à ses zélotes, Simone chantonnant dans le vide les vocalises de son guitariste avant d’en entonner la suite. Sur « Sancta Terra », Coen est porté en triomphe par les fans, son synthé arrondi en mains, pendant que sa frontwomen poursuit avec magnificence sa gracieuse danse sur scène. Comme d’autres, Epica ne consacrera nullement son heure règlementaire à nous faire profiter de ses récentes créations, l’album « The Quantum Enigma » de 2014 s’y taillant part léonine (trois extraits : « The Essence of Silence », « Unchain Utopia » et « Victims of Contingency »). L’antienne « Beyond the Matrix » sera jouée en avant-dernier et reprise par une audience sautillante (sur invitation ferme de Simone). « When there’s no future you can’t be occupied… » fredonne Simone au deuxième des cinq couplets, ces mots résonnant telle une évidence : Epica se situe indubitablement aux diamétrales antipodes du punk (à l’instar de Queen il y a cinq décennies) et genres assimilés. Si ce concerto de fin d’après-midi était un quatre heures, ce serait une magnifique et succulente pièce-montée, une confection pâtissière vlams garnie de poires, napée de chantilly et arrosée de kirsch… On slame, on mosh (gentiment), et il y aura même un wall of death sur l’ancien « Consign to Oblivion » (2005). Cœur avec les doigts et ultime « Merci beaucoup Hellfestttttt ! » adressés à 18 heures 55 par la rousse Diva en direction d’une marée de paumes. J’eus apprécié la présence de « Dancing in a Hurricane » et de « The Skeleton Key »… J’attendrai le Zénith parisien de février prochain.

Nul effort afin de déterminer la raison de cet étouffant et braillard embouteillage devant la Mainstage 1 à l’issue d’Epica. « Patience » les fanzouzes, Axl Rose ne sera pas en retard au rendez-vous ce soir et il n’est que 19 heures… L’heure pour Airbourne de remuer un peu tout cela. Effectivement. Un monticule de corps explose brutalement en cadence des crash-barrières jusqu’au premier bar en amont (à plusieurs dizaines de mètres donc) sous la pression des Marshall… Je me préserve de ce tohu-bohu direction sans transition l’Altar, afin d’y découvrir le metal sensible de Draconian. Quelle exquise surprise ! Le cristallin timbre d’Heike Langhans (exceptionnellement réunie sur scène avec Lisa Johansson, l’une étant successeuse et prédécesseuse de l’autre au sein de Draconian, et réciproquement) me fait sacrement penser aux premiers Within Temptation, naguère quand Sharon Den Adel était gothique. Sur la complainte « Sorrow of Sophia » ou le pesant « The Sacrificial Flame », troublantes sont les ressemblances. L’approche instrumentale est globalement plus suédoise que batave. Epurée. Limpide. Vint à 20 heures 20 le tour de Nightwish de prendre possession de la Mainstage 2. Sur coups de toms alignés par Kai Hahto en ouverture du cavalcadant « Noise », poursuivant (et refermant) la parenthèse metal sympho à chanteuse. « Bonsoir Hellfest ! ». C’est ensuite « Planet Hell » (2004), Floor défendant seule les deux parties de chant. C’est une chanteuse objectivement efficace, mais je regrette toutefois Tarja et l’époque plus goth de l’équipe de Tuomas Holopainen, celle de « Once » (2004), pierre-angulaire de tout un genre musical, les finns n’ayant plus jamais retrouvé pareil niveau d’innovation. La caparaçonnée Floor fait contre mauvaise fortune bon cœur, donnant de toute sa voix et de son altière prestance. Le charme sans être rompu agissait jadis davantage. C’est tout. « Dark Chest of Wonders » (2004) une fois délivré, il me faut réinvestir la Temple assister au récital acoustique (attendu depuis l’hiver, et préparé au casque dans les rues glacées de Copenhague, d’où provient la bardesse) « Folkesange » par Myrkur ! Accompagnée par ses vestales musiciennes -choristes, et vêtue d’une robe immaculée, Amalie aligne les astres. Et proclame célébrer le Solstice d’été. Communion pagan furtivement souillée par un indélicat petit larsen laissant de marbre la prêtresse. La divine interprétation d’« House Carpenter » folk US de 1930 (repris en 1962 par Joan Baez) prend dimension incantatoire, emportant l’adhésion mains levées, renforçant conviction d’avoir assisté à instants de pureté. Du répertoire de Myrkur, j’aurais voulu entendre les plus électriques « Ulvinde » (« Louve ») ou « The Serpent », figurant sur « Mareridt » (« cauchemars ») de 2017, mais ils n’étaient pas prévus au rang de cet enchanteur moment.

Un sentiment plus canaille connaît son apogée à 22 heures 12 à l’entame d’« It’s So Easy », directement enchaîné à « Mr. Brownstone » comme aux temps bénis des Vincennes 1992 et Bercy 1993, uniquement séparés par un « Hellfest ! » crié avec conviction par Axl Rose. Adolescente félicité de le retrouver, lui, ainsi que Slash et Duff en des lieux familiers. Tous trois réunis après trois décennies. Le son est bon. Mais un schmilblick coince de façon évidente une fois la dernière phrase de la seconde chanson prononcée. Une désagréable impression. Confirmée à l’introduction hideuse de « Welcome to the Jungle ». Tant la voix du chanteur que la guitare de sa légende de guitariste se noient en direct ! « Il a vraiment une voix de merde ! » pouffe mon frère qui vient de me rejoindre accompagné de ma belle-Sœur, après m’avoir demandé s’il me restait de la batterie externe (un des nerfs de la guerre au Hellfest, singulièrement pour les chroniqueurs), « c’est affreux… » je m’entends lui répondre navré. Je sais dire « cauchemar » en danois, mais j’en oublie en cet éprouvant instant sa traduction en californien. On se rassure comme on peut, le pont du morceau n’est pas volontairement saboté par les instrumentistes : ils ne le font pas exprès en fait. Tout espoir est définitivement enterré sous un abominable « Back in Black » braillé par Rose. N’importe quel orchestre de baloche ferait mieux, sans blaguer. Une Bérézina vocale. Guns’n’Roses fera contre mauvaise fortune bon cœur, dévoilant une setlist qu’on aurait volontiers voulu ouïr lors de leurs tournées européennes des années 1990 (ils étaient bien plus audacieux dans le choix des titres en territoire yankee) : « Reckless Life », « Shadow of Your Love », « Rocket Queen », « Coma », « Patience », « You’re Crazy »… Il faut mettre un terme à l’onir ! Orientation vers le VIP se remettre de cette dystopie traumatique. Puis bifurcation à la (paisible) Temple pour 1 heure 10, méditer sur le folk médiéval des allemands d’In Extremo. Moment nocturne intimiste, le chanteur Das letzte Einhorn (« La dernière licorne ») faisant frapper dans leurs mains les conviés au banquet mélodique. Tant de délicatesse, de ferveur et d’authenticité contrastant avec… Force est de constater qu’entre SKÁLD la semaine dernière (superbe), Wardruna avant-hier, Myrkur et In Extremo aujourd’hui, sans oublier Nytt Land demain, les tenants du folk / pagan ont été délicatement placés au Pinacle cette édition. Halte plus tard au Corner, espace de détente à mi-chemin entre le site et le gigantesque campement, faire un peu la fête sur « Les Sunlights des tropiques » de Gilbert Montagné ou encore « Le bal masqué » de La compagnie créole, intemporels hymnes repris avec indicible adoration par une ribambelle de metalleux, certains slamant. Vision d’épouvante pour tout fan des Smiths. Retour à ma Quechua, écouter sur YouTube en solitaire la chanson emblématique de cette mémorable journée : « Fingerprint File » des Rolling Stones…

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