L’ultime escale de l’onirique épopée mariligérienne est entamée (et entachée) par une perverse déception. En effet, les prometteurs millennials de Spiritbox investissent la Mainstage 1 pour une trentaine de minutes à 11 heures 05, pile-poil au créneau m’étant alloué pour l’interview de Niko de Tagada Jones. Du chapiteau presse l’on ne peut malheureusement discerner de leur deuxième show français (le premier des canadiens ayant eu lieu à Villeurbanne fin mai) qu’un vague et lointain vrombissement. Peu importe. Il faut dans l’immédiat (et avec plaisir) converser avec l’adorable chanteur briochin, dont le populaire combo rock-punk investira la Mainstage 2 cet aprèm’. J’avais pourtant attendu la venue de la (très probablement) fascinante Courtney LaPlante des mois durant… Ce second dimanche est également entamé (et entaché) par des menaces écrites de représailles (physiques) sur ma personne émanant d’une furibarde Angie Angy, suite à réduction involontaire de son quota de sommeil par ma faute (voir l’interview de Tagada Jones). Remontée au VIP pour une conversation dominicale anisée avec Céline de chez ANR. Puis mirer le concert du trio Bokassa à 12 heures 15. Les trois potaches protégés de Lars Ulrich se produisent quelques heures avant leurs maitres, les maîtres du soir : Metallica. Bokassa revendique non sans brin de malice jouer du « stoner punk ». Néologisme oxymorique. Autre facétie, les norvégiens ne sont pas programmés dans la Valley, la tente dédiée à la musique stoner, mais sur l’immense et généraliste Mainstage 1. Si la Valley est l’UDF du stoner (voir « Lionel dans la Valley »), Bokassa sont trois ministres centristes débauchés par Mitterrand. Des giscardiens certainement, vu le nom du groupe. T-shirt Baroness noir sur le dos, le chanteur-guitariste Jørn Kaarstad partage crânement son enthousiasme de futur spectateur : « Nous sommes le groupe Bokassa et nous voulons voir Comeback Kid et Metallica ce soir, ouais !!! ». Le bassiste Bård Linga et le batteur Olaf Dawkes ouvragent aux chœurs, ce dernier me faisant penser à un lointain cousin norvégien de Luana Dametto, la frêle et brune batteuse des brésiliennes de Crypta (ressemblance physique, nonobstant milliers de bornes séparant Trondheim de São Paolo). Les ingénieux trublions achèveront leur gentil barouf non sans avoir assené le punchy « Mouthbreathers Inc. », puis le poppy « Vultures » enchaîné sans transition sur le formidable et halluciné « Immortal Space Pirate (The Stoner Anthem) », une tranche de bravoure de plus de sept minutes (du moins sur leur « Divide & Conquer » de 2017 puisqu’ici drastiquement ratiboisée : modeste cylindrée, les trois astucieux gusses ne disposaient que d’une plage de trente fois soixante secondes). Impeccable. Vitaminé.
Un autre triumvirat juvénile, post-adolescent même, prend le relai de Bokassa Mainstage 2 à 12 heures 50 : les néo-zélandais d’Alien Weaponry pour leur deuxième passage en deux éditions successives. Précédés d’une réputation assez hype. J’admets ne pas m’être délecté plus que cela du visionnage de leur concert filmé à Auckland, diffusé pour l’événement caritatif European Metal Festival Alliance (EMFA) des 7, 8 et 9 août 2020 ; tout comme je ne me tape pas le postérieur par terre à la vue de leurs hakas rituéliques ou à l’écoute de leurs chants en maori… mais… ce midi, je m’avoue plutôt convaincu par le néo-thrash metal des trois damoiseaux des antipodes. Venus au monde il y a entre dix-neuf et vingt-et-un printemps australs, Henry de Jong (batterie), Lewis de Jong (chant – guitare) et Tūranga Morgan-Edmonds (basse) ont notablement progressé en l’espace de deux ans. Et progresseront probablement encore. Ils sont même désarçonnant de maturité. Une formation (dans toutes les acceptions du terme) à suivre… Moules-parties traditionnels et cheveux longs rigoristes en revanche, pour les espagnols d’Angelus Apatrida à 13 heures 25. Mais on ne s’en lasse pas. Ils jouent du trashdanstonfroc, un genre musical très spécifique. Guillermo Izquierdo vient s’ajouter à la (longue) liste des chanteurs ayant cette édition demandé à la foule de former un circle pit. D’un air vachement convaincu en plus. Il l’inquisitionne quelques minutes après, sur un ton furibond à la Mille Petrozza : « Combien de gens ont fait les dix jours de Hellfest ?!? » ; des dizaines de mimines émergent en réponse. Je ne connaissais pas Angelus Apatrida, je peux maintenant affirmer que je connais. Et que j’aime bien. Tout comme pour Alien Weaponry, à propos desquels j’ai tout à l’heure changé d’avis, le Hellfest (le live) permet d’affiner ses avis.
« Les vallées fertiles », c’était l’intitulé du quatrième épisode du dessin-animé éducatif français « Il était une fois… L’homme » originellement diffusé sur FR3 en 1978, retraçant une période commençant par la fin des glaciations vers – 7 000 ans avant le Christ pour s’achever par l’épopée hébraïque et l’édification du Temple de Salomon en – 950 ans… Justement c’est à la Temple que les tchèques de Cult of Fire vont ressusciter dans un fracas maîtrisé de feu et de (black) métal, un culte religieux datant de l’âge de bronze ancien : le Brahmanisme primitif ou Védisme, religion descendue des plateaux d’Iran pour cause de décadence des cités de Mohenjo-Daro et d’Harappa. Les hymnes constituèrent vecteurs de cette enfouie ferveur… comme d’ailleurs pour le black metal (ça tombe impec’). Les instrumentistes masqués et vêtus de chasubles colorées aux symboles du kvlt oublié s’assoient en tailleur sur d’imposants trônes en forme de cobras royaux surplombant les fidèles, sous des nappes d’orgue et des lumières jaunâtres, dans un décor orné de dizaines de cierges, le tout non sans rappeler le Temple maudit d’Indiana Jones. Ils sont rejoints en ce spectaculaire autel par leur grand-prêtre, ganté de noir, vêtu d’une longue robe pourpre et or, masqué par une sombre cagoule à deux cornes rappelant celles du veau d’or (vivement que Moïse vienne leur botter le cul) reliées entre elles par une fine barre ornée de minuscules têtes de morts. La funeste procession est initiée sur un blast de batterie BM et les accords lugubres de « Závěť Světu », fidèle restitution de la version studio. Amusant anachronisme : le guitariste enserre une guitare Ibanez blanche modèle Steve Vai… qui n’était pas né en 1 900 avant notre ère ! Fermeture de la marche rituelle à 17 heures 15. Original. Intense.
La pression (ainsi que le standing) monte d’un cran non négligeable à 20 heures 40 avec l’arrivée de Black Label Society sur la Mainstage 1. Ce fût pour votre serviteur l’arbitrage conclusif de cet incommensurable millésime, remporté par les américains au détriment des grindeux de Napalm Death secouant l’Altar à analogue horaire (lesquels viennent pourtant de pondre un EP au top, le brujeriesque « Resentment Is Always Seismic – a Final Throw Of Throes »… rattrapage à Mennecy le 17 septembre ou à Paris en 2023 !). Tout comme j’ai passé à l’as de trèfle le canonique doom de Pentagram même heure dans la Valley (arbitrage conclusif toujours). La fin approche. Vêtu d’un seyant kilt en tartan jaune, et éternellement flanqué de ses trois greasers d’instrumentistes, Zakk Wylde demeure (à mes yeux) guitariste le plus attachant, puissant, et représentatif du hard rock – metal contemporain, principalement du fait de sa large palette de jeu. Et de sa dégaine. Il ne manquerait certes à Black Label Society que de véritables chansons, d’originales mélodies à caler sur leurs surpuissants instrumentaux d’essence sabbathienne. « In this River » est une pompe de « The River » de Springsteen. Mais une délicate ballade avant tout, que le blond colosse interprète au piano, dédiée à la mémoire de l’immense Dimebag Darrell son compère guitariste de Pantera. L’on sait désormais que Zakk Wylde et Charlie Benante avaient à cette date donné leur accord pour participer à la réactivation (concept préféré à « reformation ») de Pantera, avec Zakk dans le rôle de son défunt ami. Pense-t-il en cet instant revenir en cette enceinte jouer l’an prochain (ou celui d’après) les compositions de Dime ? Phil Anselmo doit bien avoir casé l’éventualité d’un crochet (uppercut) au Hellfest quelque part dans son crâne rasé. Sinon, Black Label Society n’a pas joué « Funeral Bell », et c’est ballot. Metallica aura de son côté réussi la prouesse de transformer la grand’ messe de 23 heures 05 Mainstage 1, à dimension internationale, historique et invraisemblablement démesurée (une équipe de 150 personnes, une infrastructure scénique ad hoc, ainsi que le plus gros cachet de l’histoire du festival) en une appréciable soirée intimiste… Eux et nous. Et c’est tout. Cela fait bizarre d’entendre James Hetfield nous dire, presque nous chuchoter, lors de la pause au mitan de « Fade to Black » : « Hellfest… This song is about suicide », de nous conseiller en tant qu’homme de vécu de veiller sur nos proches, avant de reprendre guitare puis chant « No one but me can save myself but it’s too late… » ponctué de son « Oh yeaaaaaaaah !!! » caractéristique de la dernière partie de leur longue carrière. A l’instar de Guns’n’Roses yersterdays (voir « Contre mauvaises fortunes… ») les quatre de San Francisco étendent une setlist de toute beauté, classieuse, puriste, historisante, recouvrant dans le désordre les trois (grosso modo) périodes de leur magistère metal : les années Burton 1983-1986 (« Whiplash », « Damage, Inc. ») ; les années Newsted 1988-2001 (« Harvester of Sorrow », « Wherever I May Roam ») ; les années Trujillo 2003- ? (« No Leaf Clover », « Dirty Window »). N’étant plus au fait des compositions de Metallica depuis le début de ce siècle, j’en découvre certaines du long de ces nocturnes retrouvailles, et me dis (sans pour autant les apprécier) qu’elles ont eu le mérite de coller aux sonorités metal post 2000, qu’elles ont sans doute séduit gamins et gamines (ainsi qu’autres néophytes) ces années-là… C’est bien. Seize morceaux formèrent donc mon septième concert de Metallica en trente-et-un ans. Des noces de basane. Il est donc possible de grandir puis de murir pour enfin vieillir avec un groupe metal. Black Sabbath, Judas Priest et Iron Maiden avaient montré la voie, Metallica le démontre avec dévouement et panache devant plus de 50 000 personnes réunies quelque part sur la carte de Loire-Atlantique. Derechef à la Temple pour l’ultime concert (le cinquante-et-unième à mon compteur) de ces doubles et démesurées solennités, avec le metal extrême des zurichois Tryptikon. Chant guttural. Diction martiale. Il ne reste plus à cette heure avancée que des braves. Et des bravesses : une jeune femme tout de sombre vêtue headbangue en solitaire ses longs cheveux bleu-vert, son broc de bière posé à terre devant elle. A l’image de cette blackeuse, de la thrasheuse allemande, ou de la sorcière proto-hippie de la Valley (voir « Requiem pour la soirée ») ce sont les femmes qui représentent le plus fidèlement le genre qu’elles écoutent, adulent, et pratiquent. Terminus au camping sous un titanesque feu d’artifice formant voute étoilée sur ma fin de parcours. Astronomique, plus maousse encore que celui de Sydney au 1er janvier, célébrant quinze éditions écoulées. Je viens pour ma part de basculer dans l’année de mes 47 ans, nous sommes désormais le 27 juin 2022. Au jus dudit basculement annuel mes amis, notamment Angie (qui ne veut plus me trouer la peau, mais pas forcément parce que Niko de Tagada Jones a enregistré à son adresse un message vidéo pacificateur…), entonneront la chanson de circonstance dans la pénombre et devant un verre de l’amitié. Finition unique. Merci les amis. Merci Ben Barbaud, merci aux 7 200 bénévoles. A juin 2023.
Mes cinq concerts persos Hellfest 2nde partie :
- Epica
- Jerry Cantrell
- Michael Monroe
- Myrkur
- Stöner