Ce n’est pas sur un quai de gare à Dartford que Christian « Horaz » Jakob et Pascal « Vespasian » Vannier se sont par hasard rencontrés jeunots, mais sur le chemin du Wacken 2004. Depuis, le germanique binôme multi-instrumentiste a réalisé six albums sous le nom d’Imperium Dekadenz (blaze hommage au film « Caligula »), le septième à paraître chez Napalm Records ce 20 janvier 2023. Faisant suite à « When We Are Forgotten » de 2019, il s’agit d’une admirable somme de black metal atmo intitulée « Into Sorrow Evermore », complexe, poétique et à la production orfévrée, en somme toute idéale pour la méditation hivernale ainsi que (selon eux) les randos la même saison en forêt… Afin d’en connaître davantage, ANR s’est entretenu par Zoom avec le mélancolique (mais sympathique) Horaz le lundi 9 janvier 2023 à 18 heures 30…
Art’n’Roll : Vous publiez un nouveau disque le 20 janvier prochain, « Into Sorrow Evermore » : quel est ton état d’esprit ?
Horaz (Chant / Guitare / Claviers) : Nous sommes un peu stressés en ce moment, bien sûr (Rires) Nous attendons cette publication. Cela fait maintenant quatre ans que nous travaillons dur sur ce disque, et nous nous ménageons afin de ne pas devenirs maniaques, en vaquant à nos occupations, en veillant l’un sur l’autre, en jouant de la musique… Je ne peux plus écouter ce disque (Rires) J’ai dû l’écouter probablement deux-mille fois ! Je suis satisfait du résultat et je pense que c’est un bon disque. En pareil moment, tu as quelque part l’impression d’être enceint…
ANR : Penses-tu réécouter cet album un jour ?
H : Absolument, absolument ! J’ai réécouté nos anciens albums, donc je réécouterai fatalement celui-ci. La pandémie passée m’a donné le temps de me replonger dans nos anciennes créations, cet ensemble de souvenirs… Tu as à ce propos l’impression de parcourir un album photo, lorsque je revois notamment nos premières photos promotionnelles d’il y a presque vingt ans prises à l’extérieur le week-end, que je me souviens du processus d’écriture de nos premiers morceaux, que j’identifie telle ou telle prise studio, tout cela… Donc bien sûr, et avec plaisir. Mais il faudra du temps, afin que je puisse prendre un peu de recul, et que je le réécoute avec une oreille neuve.
ANR : Comment définirais-tu un disque réussi ?
H : Comme une somme de tout, allant de la musique à l’artwork, en passant par la promotion, si tu es satisfait de tout cela, tu peux considérer que ton disque est réussi… En l’occurrence, nous sommes absolument et plus que jamais satisfaits de notre travail, parce que jusqu’à présent tout se passe correctement, nous avons été capables de gérer tout un ensemble de difficultés. Bien entendu, nous attendons l’avis du public, mais nous sommes personnellement satisfaits. Durant le processus d’écriture, nous avons pris le temps d’écouter nos travaux en buvant des bières, du whisky et autres alcools, en étant contents de l’avancée de ceux-ci, comme une manière de célébrer nos efforts.
ANR : Pour moi c’est un bon album !
H : (Rires) Merci !
ANR : Quelles émotions voulez-vous faire passer ?
H : Notre objectif était d’être encore plus mélancoliques que précédemment. Nous avons publié « When We Are Forgotten » en 2019, puis avons effectué de très bons concerts… Avant que ne débute la pandémie. Puis tout s’est arrêté, nous nous sommes retrouvés chez nous à ne plus pouvoir jouer, ce qui a affecté notre moral. Nous avons ressenti une absence de perspective et de confiance, beaucoup de pessimisme. Nous avons voulu mettre en avant cette mélancolie. Certes, notre musique a toujours été plus ou moins empreinte de mélancolie, mais certainement pas à ce point-là… Nous avions composé une vingtaine de chansons mais n’en avons retenu que huit, celles qui s’enchaînaient le mieux, allaient le mieux ensemble, et qui étaient les plus mélancoliques. Notre prochain objectif sera de faire un album le plus personnel possible.
ANR : Qu’évoque la chanson « November Monument » ?
H : Tu ériges un monument lorsque tu souhaites honorer, que tu es fier, que tu veux montrer aux autres la grandeur de quelque chose… Cette chanson est une déclaration d’amour faite au mois de novembre ainsi qu’à sa saison. Tout meurt mais tout renaît également en novembre. On célèbre les saints le 1er novembre, mais c’est aussi le jour du nouvel an dans certaines religions, et je comprends ce sentiment. Tout commence pour moi début novembre, tout devient plus sombre et meilleur, tu disposes de plus de temps à consacrer à toi-même, à te concentrer sur toi-même. Oui vraiment. C’est également l’époque de l’année où j’écoute les nouveautés de la scène black metal underground, je profite pleinement des débuts de cette saison sombre et froide.
ANR : Quel serait ton monument favori ?
H : Oh mon Dieu ! Bonne question… Ahem… Je pense… Si je devais n’en citer qu’un, je dirais le Colisée de Rome, car… C’est amusant puisque… Le public l’apprécie et le trouve joli, en dépit du fait qu’un nombre considérable de chrétiens a été sacrifié en cette enceinte, qu’on a également tué énormément d’animaux… Il y a en outre un lien entre la construction du Colisée de Rome et la destruction ainsi que le pillage du Temple de Jérusalem. Je pense ainsi qu’il s’agit d’un bon exemple, historique, de comment les choses fonctionnent. Un symbole évident du lien qui existe entre la destruction et la construction.
ANR : La musique et l’art d’Imperium Dekadenz sont liés à la Forêt-Noire, peux-tu nous expliquer cela ?
H : Nous avons grandi dans la Forêt-Noire. J’ai personnellement passé quatre-vingt-dix pour cent de mon existence ici. Mon enfance, puis mon instruction scolaire. Le week-end je fais en sorte d’aller dans la Forêt-Noire, de sortir de chez moi. La forêt commence juste en face de ma porte, et j’essaie de m’y évader dès que l’occasion se présente. J’aime également les forêts scandinaves. Cet aspect forestier, sombre, on le retrouve évidemment chez Burzum ou Darkthrone, cette musique du début des années quatre-vingt-dix, qui me ramène toujours à ma propre forêt… Il y a un lien entre l’atmosphère des forêts sombres et la musique que j’aime, cette atmosphère m’a fait écouter puis créer du black metal, car je ne connais aucune autre musique qui ne retranscrive aussi parfaitement ce côté lugubre et dangereux des forêts. Nous faisons du black metal atmosphérique à cause de nos origines forestières.
ANR : Peux-tu dire à nos lecteurs ce qu’est le Schnapswanderung ?
H : Schnapswanderung ! (Rires)
ANR : Bitte !
H : Ja, je suppose que tu as vu cette vidéo que j’ai postée sur notre page Facebook. C’est super ! Il s’agit d’une randonnée dans la forêt où tu peux t’arrêter à des stations, et pour un peu d’argent tu peux y acheter du schnaps, de la bière, du vin, tout ce que tu veux, puis le boire avant de reprendre ta marche (Rires) Tu peux être fin saoul à la fin ! Tu profites de la nature, ainsi que de l’amitié, tu passes du bon temps avec tes amis, tu rencontres des gens… Durant la pandémie, beaucoup d’allemands ont fait du Schnapswanderung, cela leur a permis d’organiser des soirées à l’extérieur tout en marchant, il y avait un paquet de gens sur les circuits (Rires) J’en ai fait récemment, et j’ai constaté qu’il ne restait à peine vingt pour cent du total des randonneurs d’alors (Rires)
ANR : Si Imperium Dekadenz était un livre, quel serait-il ?
H : Ja, bonne question. Il se trouve que j’ai récemment eu cette conversation avec Vespasian et les autres membres du groupe, je leur disais qu’écouter notre prochain album était comme lire « Le Seigneur des anneaux ». A mon sens tous deux regorgent d’émotion, de brutalité, des moments d’amour, des moments de perdition, de mal et de vérité… Il n’était pas d’accord. J’ai lu pas mal de livres et… Tu connais Warhammer 40K ? Je pense que notre groupe serait un mélange entre Warhammer 40K et « Le Seigneur des anneaux », c’est ce que je préfère… Mais Vespasian ne serait, je pense, pas d’accord avec cette réponse ! Il préfère d’autres trucs. Il n’est pas là, donc je ne peux pas répondre à sa place (Rires)
ANR : Quels sont les groupes « frères » d’Imperium Dekadenz ?
H : Tous les groupes de la Forêt-Noire. Je dirais sans hésiter nos amis de Vargsheim, ces trois gars font partie de notre carrière, de nos existences (NDA : Imperium Dekadenz et Vargsheim ont enregistré un split-EP en 2011) des amis formidables ! Pour être honnête, quand on a commencé dans la Forêt-Noire il y a presque vingt ans avec Vespasian, nous n’étions que deux dans notre coin, seuls sur notre planète, personne aux alentours… Désormais, il y a davantage de groupes de black metal originaires de notre région. La scène black metal se porte bien en Allemagne, il y a pas mal de concerts et de festivals, presque chaque week-end. Beaucoup d’étrangers me font comprendre que la scène BM allemande serait sous-estimée. Je ne sais pas d’où cela vient, peut-être du fait qu’il y a trop de paroles en allemand (Rires) Imperium Dekadenz fait en sorte de se produire dès que possible à l’étranger, notamment en Suisse et en Autriche, afin de promouvoir notre scène, et ce, en dépit du fait que nous ne sommes guère riches et que nous devons consacrer notre argent à nous payer de l’essence… C’est du temps et de l’argent mais je souhaiterais me produire plus à l’étranger. Et au passage, j’apprécie la scène française, Alcest par exemple…
ANR : Vous êtes en contact avec Der Weg Einer Freiheit ?
H : Nous avons organisé plusieurs concerts avec eux ainsi qu’une tournée à trois groupes en compagnie des suédois de Shining (NDA : en 2015) Nous avons passé de bons moments dans le bus. Ils sont de Wurtzbourg, comme certains membres de notre groupe, ce qui créé des affinités. Néanmoins, tu ne peux pas tout à fait comparer nos musiques respectives, car Der Weg Einer Freiheit fait une musique plus moderne que la nôtre, leur public est également plus jeune en moyenne que le nôtre. Il y a davantage…
ANR : … D’hurlements…
H : Oui, d’hurlements… Tout en sachant que nous aimons les membres de ce groupe, nous avons de bons rapports avec eux, oui.
ANR : Considères-tu qu’il y existe un lien entre votre musique et la musique classique ?
H : Oui, absolument. Parce que Wagner est une de nos influences, ce que certains auditeurs parviennent à déceler. J’aime beaucoup ce film des années quatre-vingt, « Excalibur », que j’ai découvert quand j’étais encore adolescent et qui m’a énormément impressionné. Il y a beaucoup de compositions de Wagner dans cette œuvre cinématographique. Cela m’a influencé plus tard. Tout comme je suis influencé par la peinture classique allemande. Si tu écoutes bien notre musique, elle comporte des voyages, différents voyages que tu peux comparer à ceux d’un opéra. Des hauts et des bas.
ANR : Quel est ton artiste non-metal préféré ?
H : Dead Can Dance, que j’écoutais à l’âge de dix ans, bien avant de découvrir la musique metal. Des années plus tard, j’ai fait écouter Dead Can Dance à Vespasian qui ignorait tout de ce groupe : il a tellement accroché qu’il n’a pas pu dormir ce soir-là, et il a passé toute la nuit à écouter et à réécouter Dead Can Dance ! Des publics extrêmement différents voire opposés se rendent aux concerts de Dead Can Dance : des gothiques, des punks, des métalleux, et même des « gens normaux » ! J’aime Dead Can Dance. Je recommande ce groupe à tout le monde.
ANR : Dernière question : de quels albums attends-tu la sortie en 2023 ?
H : De quels albums ?
ANR : Quels albums à sortir en 2023… Je ne sais pas moi : d’Iggy Pop, de Metallica…
H : Pour être honnête, je ne sais pas… Je n’écoute plus du tout Metallica…
ANR : (Rires) C’était un exemple…
H : Ja ja, j’aime leurs anciens trucs, Metallica fût d’ailleurs le premier concert que j’ai vu au début des années quatre-vingt-dix… Pour répondre à ta question, je consulte les chaînes YouTube de black metal et de black metal atmosphérique, afin de me tenir au courant, afin de découvrir de nouvelles choses. Ma copine aime la musique classique, et je suis également l’actualité classique.
ANR : Merci pour ce moment, bis bald !
H : Bis bald, alles gute, merci pour cette interview, prends soin de toi !