Auteur : Bad Tripes
Titre : « La vie la pute »
Label : Autoproduction
Sortie le : 23 janvier 2023
Note : 15,5/20
Une fin d’après-midi de fin octobre ou de début novembre je croise deux vieux de la vieille metal, ceux repérables à leurs cheveux courts blousons en cuir et vestes à patchs badgées, sortant de La terrasse de la Sybille au soleil couchant, me disant venir de Marseille exprès afin d’aller à Rhapsody of Fire ou un truc du genre au Petit Bain ou au Trabendo (Ask m’ayant donné cette chronique à faire la veille au soir, je n’ai pas eu le temps de demander à Franck quels trucs du genre sont passés à Paname fin octobre début novembre, j’ai un doute, on verra je ferai une m-à-j). Autant fin connaisseur de la scène metal du 13 que Clémentine Autain du statut juridique de la SNCF, je tentais une feinte de peintre… « Ah oui, Marseille… Heu… Dagoba… Dagoba… Et Bad Tripes ! ». L’un de mes quinquas interlocuteurs me regarda alors dans les yeux, l’air entendu et satisfait. Et me répondit dans un sourire ridé avant de tourner les talons : « Sophie ». Rejetonne cachée de Catherine Ringer et de Jean-Louis Costes, phocéenne sceptique quant à cette époque fadasse (mais violente) que ni Billie Eilish ni Anna Calvi ne sauront sauver ; et qu’elle devienne vedette ou pas ; Sophie ou plutôt Hikiko Mori restera quoi qu’il en soit un des personnages les plus intéressants et attachants (de la scène française) de 2023 et des environs. Un signe qui ne trompe pas : tous chez Bad Tripes portent des pseudos (Hikiko, Seth, Sir Mac Bass) comme à la grande époque du rock, comme dans le punk, comme dans le black, voire parfois l’indus (leurs potes à la compote parisienne de Shaârghot…), endossés telle une bure lorsqu’on entre en religion. Bad Tripes possède plus d’un tour dans sa pachole, et abats (miam) ses cartes. Attitude. Références carnistes. Carnaval de confettis jusque dans ton lit. Décorum scénique rococo et ses frères : squelette en plastique rose (façon tirette aux arcades de Saint-Palais-sur-Mer en 1985, mais en plus gros quand-même) et microphone-godemichet. Photos suggestives de la chanteuse avec Nono le robot d’Ulysse 31 (que ni elle ni son avocat ne songent visiblement à faire interdire). Mystère peinturluré fluo et scotch noir sur les tétons. Roucasseries, gastondefferries, jeux de mots et blaguounettes à gogo. Sensibilité à fleur de peau dénudée. Leur quatrième rondelle discographique, restitue très fidèlement tout cela. Le nom de celle-ci ? Heu… « La… » « La vie… » « La vie la pute »… Voilà.
Oui, certes, l’intitulé n’est pas des plus gracieux, plus trou de balle que débutantes, s’inscrivant plus ou moins consciemment dans la stricte observance lexicale des Metal Urbain, Gogol 1er voire des Svinkels, comme un dérivé de franchouillardise revendiquée, paillarde et sonore, se vautrant dans la frange de la métisse hispano-constantinoise. En parlant de frange, les étiquettes seront coupées à ras tout comme celle de l’intérieur de ta cagoule par ta mère quand t’entrais en CP ; en effet, les érudits parlent souvent de « shock rock » afin de définir le style musical de Bad Tripes, ce qui pêche plus que vraisemblablement en éloquence : ouep, puisque nous sommes ici bien loin des échasses de Marilyn Manson ou du fleuret d’Alice Cooper… Indubitablement. Ce joyeux charivari musical (et visuel) ne pourra, de toutes façons et en aucune mesure, être estampillé ; aux dires de la chanteuse elle-même, les influences des quatre membres du groupe sont hétérogènes : de BB Doc à In Flames, en passant par Piaf et Rammstein… Néanmoins, les racines soniques du combo sont principalement à chercher du côté des années 2000 (« Schlass et paillettes »). Bad Tripes se révèle tour à tour être une sorte de Superbus cracra aux textes réalistes (« Jusqu’à la lie »), un Eths en plus indie (« La cadavéreuse »), un Treponem Pal d’Aubagne (« Afro Girl ») ; leur hibou de guitariste étant apte à pondre riffs keupons excitants alternés avec rythmes tango à la sauce Guy Marchand (« La madrague des macchabées ») ; tandis qu’Hikiko passe sans crier gare du rap-fusion déprimé (« La vie la pute »), à des harangues et menaces haletantes, cousines éloignées d’un Lofofora (« Les yeux sans visage », « Brûle-moi si tu peux »), en passant par des vindictes aigües (« Apocalypse Now ») ; en définitive un bal des enragées (« Valya »). Une ritournelle comme « La madrague des macchabées » précitée est à elle-seule plus pittoresque, ensoleillée et bien plus jobarde que l’intégrale de Guédiguian. Le tout intégralement chanté dans la langue des tétines noires. La production n’est certes pas de stature internationale, mais à ce qu’on sache les Olivensteins n’ont jamais été produits par Tony Visconti. Tout cela n’augure que du bon en concert. Le président du Conseil Herriot avait usage d’affirmer que « La politique, c’est comme l’andouillette, ça doit sentir un peu la merde, mais pas trop », un siècle après Bad Tripes remet opportunément l’adage au centre du village musical gaulois.