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Chronique de Lexicon Devil : La vie aussi brève qu’intense de Darby Crash et the Germs

dimanche/31/03/2024
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Auteur : Brendan Mullen

Titre : Lexicon Devil : La vie aussi brève qu’intense de Darby Crash et the Germs

Éditeur : Camion Blanc

Sortie le : 29 décembre 2023

Note : 17/20

La méthode d’exposition varie d’un travail à l’autre. Le choix de celui qui fut un temps le manageur des Germs (feu Brendan Mullen, épaulé dans sa titanesque tâche par l’ex-batteur du groupe Don Bolles et le journaliste « sociologue de l’apocalypse » feu Adam Parfrey) pour son Lexicon Devil : La vie aussi brève qu’intense de Darby Crash et the Germs (originellement publié en 2002, ici traduit en français par la valkyrie terminologique Angélique Merklen) est le témoignage-péplum. Soit un collage ininterrompu de citations glanées au fil de 108 interviews (de ceux que l’auteur nomme « les protagonistes », et qui sont listés en pages 485-495), chronologiquement emboîtées (et parfois augmentées d’extraits presse ou autres écrits tel le journal intime de Trudie Plunger, « la punk préférée de L.A. ») sans aucune autre forme de récit, d’analyse ou d’extrapolation. La crème de la contre-culture US témoigne sur 546 pages ordonnées en une ribambelle de chapitres nains : Jello Biafra, Belinda Carlisle, Cherie Currie, Kid Congo Power, feu Kim Fowley, Pleasant Gehman, Matt Groening, Joan Jett, Jack Nitzsche, Penelope Spheeris, Sandy West… Le sujet de cette débauche d’oralité ? La courte et (en définitive) assez triste existence de Darby Crash, le lysergique et suicidaire brailleur des Germs, des punks californiens du crépuscule des années 70. Ou plutôt l’histoire du chanteur et de son groupe, les deux étant imbriquées dès le collège.

La présence de Pat Smear (né Georg Ruthenberg) est remarquée, cardinale. Il déboulera préadolescent page 36. On se remémore que Kurt Cobain l’avait recruté par admiration pour ces losers devenus légendes, Smear devenant fin 1993 le Germ le plus célèbre de l’histoire du rock, en lieu et place de leur défunt chanteur-compositeur-interprète overdosé treize années auparavant. Le guitariste des Foo Fighters ayant enterré à deux reprises un charismatique et dépressif leader…

Défunt chanteur qui eut une vie. Brève et intense. Compacte. Laquelle commence dans la résidentielle Bockton Avenue par une maldonne : une voisine croyant avoir affaire à sa sœur Faith lui brise d’un jet de pierre une incisive. La trajectoire de cette tête brûlée est rectiligne, à 99 % prévisible : la découverte d’Alice Cooper, d’Iggy et (surtout) de Bowie période Ziggy, ce dernier devenant son « guide » (au sens quasiment hitlérien du terme) ; une adolescence stupéfiante à l’Uni High (adjectif adéquat) et son lénifiant « Programme Scolaire Innovateur » (IPS) inspiré de méthodes scientologiques (à la source de l’obsession de Darby pour les lexiques : « un baratin hippie à la sauce scientologie » selon Smear) dont ce trublion machiavélique et nietzschéen se fera (bien entendu) dégager ; les premières armes au sein de la mouvance glitter de Los Angeles (le concert des Tubes au Santa Monica Civic, l’espionnage de Queen de passage au Beverly Hilton) ; la découverte des Sex Pistols et des Damned ; le collage d’affiche afin de faire connaître the Germs, groupe punk mixte ; la protection maternelle de Joan Jett herself (la vraisemblable productrice de leur second LP). Le reste coule de source (ne racontons pas tout afin de conserver de bonnes relations avec l’éditeur…).

Le point (très) fort de ce livre se niche dans son mode d’exposition : oral, détaillé, vivifiant. C’est également le portrait saisissant, mais peu reluisant de cette Californie white trash des années 1970 : péremptoire, déstructurée, paumée, en bref post-moderne (« à peu près toutes les familles étaient dysfonctionnelles ou monoparentales, traumatisées par la guerre du Viêt-Nam, l’assassinat de John F. Kennedy et les injonctions des Beatles », résume l’érotomane Kim Fowley page 46). Les témoignages de première main nous immergent au sein d’une jeunesse rock’n’roll du milieu des septante (aux antipodes des « artistes de “rock engagé” ennuyeux de la Côte Est – Jonathan Richman, le Velvet Underground, Patti, Television » dixit Smear page 83), puis de l’éphémère car autodestructrice scène punk de Los Angeles (à l’image de ses lieux : le Masque, club douteux fondé en 1977 par… Brendan Mullen ; le Canterbury, un trou à rats keupon circa 1978 ; enfin, le Skinhead Manor fin 1979). Une scène plus inspirée par Londres que par New York, dont Darby Crash fut l’âme décadente. On s’amuse au passage de la détestation récurrente et snobinarde de Ted Nugent, considéré à tort ou à raison par ces jeunes gens comme le symbole honni du hard rock. Drogue, violence puis émergence du très conflictuel hardcore vont accélérer la déliquescence de cette microsociété désaxée, fondant comme neige boueuse au soleil du printemps 1980. Moult photos témoignent d’une singulière atmosphère. Dire qu’à la même époque, à quelques rues de là (à des milliers d’années-lumière, devrais-je écrire), Nikki Sixx portait une tenue scénique à nœud-papillon… d’ailleurs Mötley Crüe fera le 24 avril 1981 son premier show au Starwood, quelques semaines seulement après l’ultime charivari des Germs. Le chapitre « La skate connection » dépeint la naissance d’une autre culture, ou plus précisément le mariage de deux cultures (punk et skate) vers la fin de cette époque charnière. Un certain Mike Muir répondit présent au concert final des Germs (il monta sur scène le tarbouif en sang après s’être fait traiter de hippie par des salopards !). Le lecteur se familiarise avec un combo à la trajectoire éclair (cinq ans, comme la chanson de Bowie…), ramassis de vandales coutumiers des happenings, amants du chaos méconnus hors d’Hollywood (le lieu le plus éloigné où the Germs se sont aventurés étant San Francisco). Une formation de bas de tableau de la deuxième division du rock, armée de beurre de cacahuètes et de théories proto-sectaires (sur le langage, sur le déclin de la civilisation occidentale), dépourvue de classique à léguer à la postérité.

Crash fut un monticule de contradictions : « Pour certains, Darby était un prophète presque mystique, un être céleste, un poète charismatique, un génie ; pour d’autres, c’était un aspirant gourou de l’apocalypse, une commère parfaitement ennuyeuse, un pervers malfaisant, un clodo alcoolique et un goujat malhonnête qui piquait leurs idées musicales et philosophiques à Bowie, Iggy, Nietzsche, Hitler, Manson et L. Ron Hubbard ». Rien que ça. Au jeu des contrastes incarnés, seul Peter Steele me semble éventuellement apte à rivaliser – quoique l’ombrageux Steele n’ait jamais versé, lui, dans la manipulation ni le cynisme putassier, contrairement au sinistre Crash qui, ironie du sort, s’injecta le trépas la nuit précédant l’assassinat de John Lennon.

En tout cas, on en apprendra de bonnes sur le bras droit de Dave Growl (non le moindre intérêt de l’ouvrage) : « Georg était un enfant bizarre, avec une imagination débordante. Il adorait les animaux – il avait quelques oiseaux exotiques, dont le nombre s’accroîtrait au fil du temps » (Will Amato dixit) ; « J’avais treize ans, je me retrouvais au bout du monde dans une communauté de tordus, et je me suis découvert une passion pour Jésus. Le seul contact que j’avais avec le monde extérieur, c’était quelques lettres adressées à Darby et à d’autres amis. Je leur écrivais des choses comme “Jésus vous aime”… » ; « Après avoir vu Bowie en personne sur le parking, Pat Smear était si pressé de nous le raconter qu’il s’est mangé un poteau en courant vers nous » (journal intime de Trudie, 15 avril 77). Réflexion faite, les dégaines punks des fêtards dans le clip d’ « Everlong » des Foo Fighters, choisies par Gondry, ne sont peut-être pas le fait du hasard… Voilà, voilà, je pense vous avoir tout écrit… Pardon ? Ah oui, l’intitulé ! Il fait référence à cela :

 

Merci à Angélique Merklen pour la relecture.

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