Hellfest – Vendredi 28 juin 2024 – « Encore ! »

vendredi/19/07/2024
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Cette deuxième fournée commence à 7 heures au gargantuesque Camping Corner sur un constat amusé : il règne ici un calme olympien. On y entend à 10 heures et demie chanter les oiseaux.

J’avais eu le plaisir de voir, et d’entendre, Eleni Nota aux fûts derrière Nervosa en mars 2022 à Savigny-Le-Temple. La juvénile batteuse grecque officie désormais chez les Espagnols d’Ankor. À 11 heures 38, tandis qu’est diffusé un instrumental de flamenco, l’on voit sur les écrans les quatre musiciens quitter les coulisses et rejoindre la scène. La batteuse menue regagne son tabouret à 11 heures 41, puis marque le tempo de sa pédale. La chanteuse Jessie Williams et les deux instrumentistes mobiles prennent dans les secondes suivantes possession de la Mainstage 2. « Good Morning Hellfest!!! », nous lance-t-elle avant de gronder leur tubesque « Darkbeat » de 2023 (1 091 142 écoutes sur Spotify, 948 k vues sur YouTube), une ritournelle au rythme metalcore typique, puis de chanter l’entraînant refrain de sa voix claire. Il y a quelque chose de Carla Harvey dans sa voix puissante, alternant growl et aigu doucereux. Nota me semble ici davantage à sa place que dans son précédent groupe, son jeu de batterie lourd et précis y prend toute sa dimension. Une petite abeille s’est posée sur la main de mon ami Matthieu à proximité de son bracelet Hellfest. Bucolique. Après le plus léger et tout aussi récent « Stereo » joué en deuxième, la chanteuse demande un circle pit. Elle l’obtient alors qu’il est encore tôt et que la fosse, à l’image du site, n’est remplie qu’à un tiers. Bien joué ! Durant une des pauses, un énergumène hilare beugle « Encore ! ». « Prisoner », autre tube des Catalans, est restitué en avant-dernier avec implication et engagement. Chouette batteuse, chanteuse efficace. Nouveau circle pit. Applaudissements. Sur le flanc droit de l’imposante estrade, Marc « Busi » Busqué Plaza, le dégingandé six-cordiste de Crisix (des habitués du Hellfest) observe ses compatriotes de son regard bienveillant. Cette performance vitaminée et rafraîchissante d’une trentaine de minutes s’achève en apothéose sur le récent (juin 2024) et endiablé « Embers ». « Merciiiiii beaucoup, je t’aime Hellfest !!! », déclare Jessie à 12 heures 07. Soit précisément trois minutes avant la fin du créneau imparti. La communion matinale ne s’arrêtera pas là. Le remix techno de « Désenchantée » de qui-on-sait est alors diffusé à la surprise générale. Débarrassé de ses instruments, le groupe entier se trémousse sur les planches au même rythme que des festivaliers amusés. Génial.

Japon (suite). J’ai dégrossi la discographie de LOVEBITES (soit quatre albums studio, le dernier, Judgement Day, paru en février 2023) au cours de ma patiente préparation à cette édition, et je m’étais dit que les rythmiques de Painkiller de Judas Priest avaient apparemment influencé ces cinq musiciennes, à l’instar du sous-genre musical qu’elles pratiquent depuis 2016. Les lignes qui suivent démontrent que ces Tokyoïtes diaphanes méritent bien davantage que ce simple constat. À 12 heures 16 retentit l’hymne powermetal « The Hammer of Wrath ». Asami, la sculpturale chanteuse, déboule, impériale dans sa robe blanche de noces, sur une explosion instrumentale. Classieux. À son invite, une marée de doigts-du-metal se lève instantanément. Car même les néophytes l’ont d’emblée pigé, la Mainstage 1 est présentement le théâtre d’une célébration à la gloire du metal immortel. Les jeunes femmes sont comme à l’accoutumée vêtues de magnifiques tenues blanches. On dirait des mariées célébrant leur hyménée avec le genre naguère Roi en ces espaces. Leurs cousines suissesses de Burning Witches ont opté pour le noir, elles pour la blancheur. Fami, la petite bassiste, disparaît presque derrière sa cinq-cordes. En tout cas, elle tricote sévère, pied gauche sur le retour. « We are LOVEBITES. And we play. Heaaaaaaaaaaavy Metaaaaaaaaaaaal!!! », affirme Asami à l’interlude. Ou comment enfoncer une porte ouverte. Le son est massif et impeccable, les rythmiques appliquées et implacables, les jeunes femmes romantiques et assurées. Miyako, la guitariste, s’avère une sacrée technicienne, assenant, impassible, chacune de ses interventions. Son minois impavide ne trahit aucune émotion. Duel de guitares avec l’ultra féminine et plus bronzée (elle doit venir du sud de l’archipel) Midori Tatematsu (également culturiste de renom, puisqu’elle a notamment terminé 4e en body fitness lors du dernier Japan Open Championships). Derrière elles, la manga alike Haruna assure des parties de batteries renversantes. La gracieuse chanteuse demande un circle pit à 12 heures 33. Demande refusée. Cela ne la perturbe aucunement, ses parties chantées le sont avec professionnalisme et générosité. Des milliers de festivaliers ne s’y trompent pas et mirent avec intérêt le dénouement de cette prestation originale et carrée à travers leurs lunettes de soleil. Qui s’achève sur l’épique « Holy War ».

Une brise agréable balaie à présent le site en l’intégralité de ses composantes, notamment les cinq colossales files d’attente devant le Sanctuary. Les 13 heures vont sonner, l’heure pour votre serviteur de rejoindre le VIP afin d’interviewer Charcoal ; ce sera une causette entre passionnés, uniquement interrompue par l’arrivée en ce cénacle du Professeur Karila, en ces lieux tel un poisson dans l’eau. En terrasse, je rencontre fortuitement la discrète Marine des Fallen Lillies qui jouent demain matin à la Warzone. Elle me confie : « On est ensemble depuis onze ans, on faisait du pop rock au début. Nous sommes toutes trentenaires à présent. C’est la deuxième fois que nous jouons au Hellfest, nous avions gagné le tremplin il y a cinq ans. Ils nous ont contactées cette année pour nous demander ce qu’on faisait le 29, et c’est très cool ! »

Dans l’immédiat, cap sur l’Altar. France toujours, afin d’assister à la quatrième participation au Hellfest des Poitevins de Klone. À l’horizon, Reuno de Lofofora semble se défouler sur la Mainstage 2. Sifflets complices de la tente au calice rouge, puis ovation à 15 heures 59. Les Pictons mélancoliques entament leur récital une minute après, sur un rythme lent mené aux toms. La filiation avec certains groupes suédois est à mon sens très nette dès les premières paroles (je pense notamment à Soen), encore plus sur le refrain contemplatif et puissant, soutenu par des lights économes. La tente est pleine comme un coco. Le public français semble avoir répondu en masse à l’appel du 28 juin. Assise par terre à côté de moi, une jeune femme en débardeur parme et bandana vert clair opine doucement de la tête, puis observe une pause afin de se mettre un peu de collyre dans ses yeux bleus. Ovation. Le son est parfait. La voix de Yann Ligner est forte, mesurée et chaleureuse. Elle possède quelque chose du Vedder des débuts. C’est ab initio un franc succès. « Merci pour votre accueil, merci à tous… » glisse-t-il avec émotion à la fin du premier tiers du set. Les six musiciens sont en train de remporter une bataille décisive dans leur (déjà) longue existence. Leurs mélopées profondes sonnent souvent tel un dialogue entre le chanteur et Morgan Berthet le batteur. Comme dans certains morceaux de Tool. Les fines et aériennes guitares de Guillaume Bernard et d’Aldrick Guadagnino ne sont pas en reste, leur rôle étant de créer une trame à la fois éplorée et légère. Un moment de détente intelligente. Un indice ne trompe guère quant à l’impact de cette prestation : contrairement à hier soir, le public ne quittera la tente qu’une fois la totalité des morceaux délivrée. Un titre qui figurera sur leur prochain album est joué live pour la première fois. « On approche de la fin, merci pour votre accueil chaleureux, MERCI À TOUS !!! » « Yonder » et ses paroles éthérées (« We Have to Leave Just You And I / In This Great Blue Yonder, Unreal and Wild ») génèrent une atmosphère intime au sein d’une Altar blindée. Les mains se lèvent à l’unisson à 16 heures 46 tandis que les lumières se rallument. Beau et brillant.

Un rouquin barbu portant une micro-casquette jaune LCL s’assoit à même le bitume en compagnie de sa copine alors que je prends congé de l’Altar pour ce vendredi. À 17 heures 18 tonnent sur la Mainstage 1 les accords mastoc de l’industriel « Replica ». Mon morceau préféré de Fear Factory (découvert circa 1995) résonne dans le ciel bleu de Loire-Atlantique. Et c’est bath ! Direction la tente-presse pour une entrevue de quinze minutes avec Zak de Clawfinger (un mec humain et sage). Sur le chemin de Damas, je croise non pas Saint Paul mais mon camarade Christophe Darras (l’animateur du soloWebzine poil à gratter « Darras on the Loose »). Une picoseconde plus tard, la percutante Carole Cerdan (de chez Vecteur Magazine) se rappelle à mon souvenir en me tapant (gentiment) sur l’épaule avant de poursuivre sa route. Les chroniqueurs français sont à pied d’œuvre.

J’ai vu Satyricon pour la dernière fois au Meh Suff! 2019, un festival extrême prenant place sur les hauteurs de Zurich. Satyr et Frost avaient joué leur black metal inspiré dans les alpages à la nuit tombée, à la lisière d’une forêt suisse-allemande. Retrouvailles cinq années et une pandémie plus tard à la Temple. « J’ai hâte de revoir la batterie de Frost… Ce n’est pas celle des Stray Cats ! », badinait tout à l’heure le vétéran de la chronique BM Liønel Båålberith. D’ailleurs, lui et moi avons tous deux et sans concertation aucune revêtu un T-shirt de la ténébreuse formation – Now, Diabolical (2006) pour lui et Dark Medieval Times (1993) pour moi. On reconnaît à cela les connaisseurs. À 20 heures 46, la jauge de la Temple est pleine. Les quatre Norvégiens investissent l’estrade sur le martial et grinçant mais cérébral « To Your Brethren in the Dark ». Les abords de la Temple sont difficilement praticables, noirs de populace. Ma belle-sœur nous offre, à mon frère et moi, une pinte acquise auprès du désoiffeur le plus proche. Black’n’roll ! Plan à la batterie introduisant l’entêtant « Now, Diabolical ». Joué en deuxième, cet autre classique est impeccablement restitué. Son refrain est scandé par une large partie du l’assistance, à la demande de Sigurd « Satyr » Wongraven (« C’mon! »). Puis vient « Black Crow on a Tombstone » (mon deuxième morceau préféré des Osloborger, issu de The Age of Nero, 2008), propice à un headbanging en cadence des artistes ténébreux, lesquels forment un bloc tant instrumental qu’humain. Satyr s’accroche à son pied de micro en forme de trident comme si sa vie en dépendait. « Well Done, Guys, Thank You! », lâche-t-il satisfait. Un temps mort succinct propice à un échange entre le chanteur et l’assistance permet de discerner le riff de « Killing in the Name », simultanément égrené à Pétaouchnock par le plus consensuel Tom Morello. Fin du speech de Satyr, et c’est le féroce « Deep Calleth Upon Deep » (mon brulot favori du duo, figurant sur leur disque du même nom paru en 2017). La Temple scande dès la fin du premier couplet. Le sample de la supplique féminine gothisante est diffusé en trame de fond tandis que Satyr tonne le refrain. Kjetil-Vidar « Frost » Haraldstad est monstrueux derrière son char d’assaut. Une armada de doigts se tend en guise de remerciement. L’accueil est (étonnement) plus poli sur le possédé « Repined Bastard Nation » au final impérial. Fabuleux. Acclamation et doigts de nouveau à l’unisson aux premières notes de « The Pentagram Burns ». Satyr empoigne une guitare électrique afin de venir renforcer le mur sonore formé par les vaillants Attila Vörös et Steinar « Azarak » Gundersen. Trois accords lourds ponctuent chaque strophe. Des relents indus. Un tempo malsain. Gardons à l’esprit que ce prolifique combo a été récemment associé à leur compatriote Edvard Munch, tourmenté et blafard, le temps d’une iconoclaste exposition (« Satyricon & Munch », Munchmusset, Oslo, mars-août 2022). Dans mon dos, au niveau de la jonction entre la Temple et l’Altar, un couple de quadras métalleux twiste pour s’amuser, complices. Justement, retour au black’n’roll à 21 heures 23 avec un « Fuel for Hatred » des plus percutants. Nouvelle ovation. Chœurs et mains une fois de plus à l’unisson sur l’hymne trve « Mother North ». « Thank You! It’s the last one! » Satyr parcourt l’estrade, headbanguant de concert avec ses partenaires mobiles, avant d’haranguer héroïquement, une pénultième fois, une Temple incontestablement conquise « Hellfeeeeeeerst! Keep me alive! » Sanglé dans sa veste bleue à patchs ésotériques et cheveux mi-longs, l’artiste fait succinctement part de sa gratitude dans la langue de Landru (« Merci ») avant d’annoncer la charge finale sur le vociférant « K.I.N.G. ». Diabolique. Salut des matamores à 21 heures 39, les lumières rallumées chassant ce qui reste du public à 21 heures 42. Au dehors, le ciel est désormais parme clair. Pour ma part, et à ce stade, ce sera le concert de la journée, et très probablement de cette édition.

Halte d’une heure et des bananes au VIP afin de regarder (jauger ?) sur écran le concert de Shaka Ponk en compagnie de mes amis Anik et Jean. Verdict unanime : le pari de l’organisation est, comme prévu, gagné. La rengaine festive « Wanna Get Free » fait notamment un tabac sur la scène principale.

Puis je redescends à la Temple.  Il est à présent 22 heures 50. Un roadie beugle dans le micro « Hellfest! Are you ready to go to the nightside?!? From Nottoden: Emperor!!! » Nappes de synthé sur les premières notes d’« Into the Infinity of Thoughts ». S’ensuit un déluge de blast, d’accords plaqués enchaînés, et de propos éructés par Vegard Sverre « Ihsahn » Tveitan, sous une voûte de lumières bleutées et violacées. La Temple retrouve ses atours. L’éploré « In the Wordless Chamber » joué en deuxième position est du même tonneau. Cataclysmique. Une fois de plus, le Hellfest permet de faire découvrir l’espace de quelques instants à un public plus large une musique pourtant conçue pour des initiés (« de niche » dirait-on de nos jours…). L’antre est moins garnie qu’en début de soirée. À défaut d’êtres captivés, les festivaliers sont concernés. Le son est adéquat, clair et grave à la fois. Tranchant. Implacable. Fines lunettes sur le museau, le chanteur scandinave semble satisfait de l’accueil du public (majoritairement) français. Sur le classique « Thus Spake the Nightspirit » (qui figure sur Anthems to the Welkin at Dusk, leur deuxième LP paru en 1997), l’on peut percevoir les limites d’un public qui, dans sa majorité, ne connaît pas les codes d’un sous-genre codifié à l’extrême. Les sujets de sa majesté vont délivrer sans coup férir une démonstration de force et de professionnalisme. À la limite, par instants, d’un certain romantisme. « Thank You So Much ». La voix de l’ombrageux chanteur est aussi rassurante entre les morceaux qu’elle est aigue et agressive au cours desdits morceaux. Les solis de Tomas « Samoth » Thormodsæter Haugen sont quant à eux d’une fluidité déconcertante. De temps à autres, la turbulente formation navigue vers le prog’. Devant moi, un type en battle jacket noire fait frénétiquement trembler ses jambes positionnées en A ; son voisin fait de même, drapé qu’il est dans le drapeau blanc et bleu de la Finlande. À 23 heures 10 est tirée une salve d’artifice au-dessus du site. Emperor achève son récital vespéral sur l’infernal et chaotique « Ye Entrancemperium » de 1997 à 23 heures 50. En définitive, cette soirée de vendredi m’aura permis d’admirer deux joyaux du black metal norvégien des années 1990. Deux porte-flambeaux encore en activité. Rare. Précieux.

Retour au Camping Corner sur les coups de minuit. En même temps qu’une nuée de festivaliers, vraisemblablement peu désireuse de voir Machine Head. Ironie du sort ou pas, la sono de la HellCity diffuse au même moment « Davidian », leur hit de 1994 (et mon morceau préféré des Américains). À chaque jour suffit sa peine ! Il fait doux. Bon allez, « Dobrou noc », comme me dit des fois mon ami Petr.

À une 01 heure 46, Éole vient porter dans ma tente du Green Camp les légendaires rafales de « Cop Killer » en provenance directe de la Warzone, suivies à 2 heures par « Born Dead » (version allongée). Je profite donc peinard du show de Body Count sans bouger de mon duvet. L’aubaine. Le panard. Le maître et régisseur des vents m’avait déjà délivré pareille surprise il y a deux éditions lors du passage nocturne de Gojira. Le tout me parvenant avec un son clair et sympathique, me permettant de bénéficier distinctement en live de la voix rauque du désormais sexagénaire Ice T jusqu’à 2 heures 08. Pour le reste, je vous rassure, il avait été convenu que CLine vous dresse un véritable report de ce gig thrash metal. Merci Éole !

 

Mes trois concerts persos vendredi 28 juin 2024 :

  1. Satyricon
  2. Ankor
  3. LOVEBITES

 

Merci à Angélique Merklen pour la relecture.

Place maintenant au samedi les amis !

Hellfest – Samedi 29 juin 2024 – « L’Académie des Neuf »

 

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