Hellfest – Samedi 29 juin 2024 – « L’Académie des Neuf »

vendredi/19/07/2024
498 Views

(Jingle au synthé) « L’Académie des Neuf du samedi 29 juin avec : KonventBrutusSkálmöld… (Applaudissements) Mais également aujourd’hui parmi nous : Kvelertak ! Extreme ! Chelsea Wolfe ! (Applaudissements) Sans oublier enfin : Skyclad ! Nile… Et notre invité de la semaine : Metallica !!! (Jingle au synthé) Mais tout de suite nos nouvelles amies de Konvent !!! (Applaudissements) »

Emprunt, et hommage, au regretté divertissement méridien animé par le méridional Jean-Pierre Foucault. Nous ne sommes plus en semaine circa 1983, mais le troisième jour de ce Hellfest 2024. Et de vilains « plocs – plocs » sur le toit de ma tente vers 10 heures viennent m’avertir de l’imminence d’une ondée. Bazar de Grumlot ! Même si je préfère encore ça à la canicule, cette troisième fournée s’annonce d’ores et déjà physique. Cette désagréable pluie n’est pas parvenue à diminuer la longueur des files d’attente devant le Sanctuary. Ni d’empêcher les plus motivés de rejoindre la Valley.

À 11 heures 40 vrombit une sorte de fuzz lugubre suivi d’un chant féminin à connotation religieuse. Les trois instrumentistes mobiles de Konvent investissent l’estrade sous des vivats, se positionnent devant leurs amplis orange, accordent leurs outils et initient la cérémonie à 11 heures 43. Deux minutes plus tard, elles sont rejointes par Rikke, la blonde vocaliste vêtue d’une longue tunique noire. C’est lourd et lent, c’est du doom death danois. « Hellfest! We’re Konvent from Denmark! » La France est attentive. Rikke enchaîne aux borborygmes les vociférations. Les festivaliers en ponchos plastiques se prêtent progressivement au jeu obscur. Des occiputs remuent en cadence. Lentement. Très lentement. De plus en plus lentement à l’approche du dénouement de chaque ritournelle. Tiens, Pouniiie s’est fait un chignon, et photographie les treize premières minutes du set avant de se diriger, me semble-t-il, vers la Mainstage 1. Le doom se marie particulièrement bien à la grisaille du ciel. « Hellfest It Was Our First Time In France! You’re Amazing! », congratule Rikke avant d’entamer « Puritan Masochism », leur morceau de bravoure. J’adore. À l’instar du photographe et chroniqueur Moland Fengkov que je croise aux abords des barrières et qui vient de les immortaliser, à 12 heures 07, la foule prend congé. « Elles étaient bonnes, les sorcières », remarque un mariolle.

« @⁨Romain GRAËFFLY⁩ c’est la guerre pour Brutus, un monde de fou », me prévient précautionneusement Pouniiie sur notre WhatsApp. Effectivement. La Valley de même que ses alentours dégobillent de monde. Les trois Belges achèvent à 16 heures 05 « War », leur premier extrait. Ils ont fait fermer le pit photo. « Liar », leur autre standard, est sans transition attaqué pied au plancher. Que d’émotions dans la voix en papier émeri de Stefanie Mannaerts. La basse de Peter Mulders me semble mixée en avant, conférant de la rondeur à ces complaintes écorchées vives. J’ai rarement vu une telle affluence à la Valley. Au milieu de cette foule compacte, une jeune métalleuse connaît les paroles de « Liar » par cœur et communie à distance avec la batteuse néerlandophone. Elle se nomme Jessica et vient de Bordeaux. Roulements de caisse claire introduisant « Justice de Julia II », le tout aussi prenant troisième morceau. Il n’y a aucun temps mort, la batteuse-chanteuse se contentant d’un presque timide « Merci » entre chaque chanson. Quel engagement physique et vocal ! Un régal ! La pression sonore redescend quelques instants au mitan du concert, Stefanie donnant toute sa mesure de multi-instrumentiste. La pop indie de ces jeunes musiciens recueille un franc succès. Avec des moments de délicatesse quelque peu en décalage avec les incessantes allées et venues des badauds. « Thank You So Much Hellfest We Love You! », remercie la poétesse tout en effectuant en simultané un break de batterie. Bon sang, c’est beau ! « My Friend This Is The End », implore leur chanson « Victoria », jouée en avant-dernier au cours de ces trois-quarts d’heure de sensibilité à fleur de peau. Je prends à cet instant congé des artistes d’outre-Quiévrain, afin de rallier la Temple pour 16 heures 50.

« – ANR : Le 19 juin 2016, vous avez joué au Hellfest 2016. Y reviendrez-vous un jour ? – SR : J’espère. C’était un sacré concert. Super festival également, et j’ai pu voir mon groupe préféré sur scène ce jour-là, Bad Religion. C’est pour moi le meilleur groupe de l’histoire de l’univers ! » Espérance compréhensible et confidence inattendue que Snæbjörn Ragnarsson, le barbu à lunettes et quatre-cordiste des folkeux de Skálmöld, nous avait livrées en août dernier à l’occasion de la promotion d’Ýdalir, sixième album du sextet. L’espoir faisant vivre, les Islandais sont parmi nous cette édition ! Entrée cérémonieuse des insulaires à 16 heures 48 ; enchaînée sur le très « Skyclad » et celtisant « Miðgarðsormur ». La voix de Björgvin Sigurðsson fricote par moments avec un death à la Amon Amarth. Le son n’est malheureusement pas des plus clairs et fiables. Guitares criardes mêlées à des hymnes d’essence antédiluvienne. Comme hier soir, un métalleux est drapé dans le drapeau finlandais. Celui-ci se nomme Jussi et nous vient de Turku. Il est venu au Hellfest en compagnie de sa copine afin d’assister au concert de leurs compatriotes Korpiklaani. Sur la pelouse centrale, les gens sont à deux doigts de se battre pour se faire servir une pinte : « C’est formidable pour la seule fois de l’année, t’es un Dieu ! », analyse avec humour Davy, un mec du coin œuvrant en tant que désoiffeur, qui ajoute avec sincérité : « Tout ça, c’est grâce à vous, les gars, merci d’être venus ! » Pendant ce temps, les roulements apocalyptiques de Jón Geir Jóhannsson semblent ravir la Temple. Qui scande. Parfait. Fin à 17 heures 42.

De l’Islande à la Norvège, il n’y a pas un mais plusieurs pas. Car Kvelertak se produit ici et maintenant à la Valley. Voix de perdu, breaks assassins, riffs cran d’arrêt, solis épileptiques, chœurs de voyous, postures de blousons noirs, basse-batterie implacable. Nous sommes quelque part entre les Hives et Carcass. Il y a encore plus de populace que tout à l’heure. Madre! Assise en tailleur non loin de moi, une jeune femme tatouée à cheveux roses porte une veste à patchs Turbojugend. Bon sang mais c’était bien sûr : il y a une parenté évidente entre Turbonegro et les cinq fous furieux de Stavanger ! À ceci près que l’afficionada se prénomme Mira. Et que « Läpäl Kännis » cousu dans son dos (et de ceux des amis qui l’accompagnent) désigne non pas le Chapitre d’Oslo mais celui d’Helsinki. Le lancinant « Blodtørst », éructé par un Ivar Nikolaisen aux longs cheveux collés sur son front, recueille l’adhésion générale. Puis vient l’héroïque « Endling ». Des dizaines de personnes slamment en même temps, les videurs sont affairés. Démoniaque. L’intro du presque-Who et cataclysmique « Mjød » enfonce le clou à 18 heures 26. « Thank You So Fucking Much Hellfeeeeeeeest!!! ». Rock’n’roll.

À 18 heures 32, quelques accords de guitares et un test des micros annoncent l’imminence du show d’Extreme sur la Mainstage 1. Leur deuxième au Hellfest. Les quatre virtuoses bostoniens rejoignent la scène sur le vitaminé et vanhalenien « Decadence Dance », la première piste du multi-platiné Pornografitti de 1990. Dont la pochette chamarrée joliment revisitée décore ce soir la scène. L’électro-acoustique « Hole Hearted » issu du même chef-d’œuvre est joué à 19 heures 05. Magnifique air typiquement US. L’harmonieux mélange entre les voix de Nuno Bettencourt et de Gary Cherone n’a pas pris une ride. Nuno non plus. Cerone est d’ailleurs moins fripé que Daniel Auteuil, avec lequel il partageait pourtant quelques faux airs dans les années 1990. À part ça, Pat Badger, le bassiste, a pris de la barbe et forci. Vient ensuite une longue séquence électro-acoustique avec le maître Nuno en solo sur son tabouret. Cela revêt des airs pagiens. Gary Cherone rejoint son vieil ami à 19 heures 15 afin d’entonner de concert le délicat et immortel « More Than Words ». À ce propos, Extreme fut mon deuxième concert ; c’était au Zénith de Paris en novembre 1991, ma mère avait consenti à me payer la place à la FNAC à l’occasion des vacances de la Toussaint. Et finalement peu de choses ont changé. Émouvantes retrouvailles. Nuno reprendra sa légendaire N4 électrique pour deux emprunts amusants auprès de leurs deux principales influences : la trame de « Fat Bottomed Girls » de Queen, puis celle d’« Ain’t Talkin’ ’bout Love » de Van Halen. Magistral et ludique. Le classique « Get the Funk Out » est joué à 19 heures 29. Je me surprends à le chantonner avec bonheur. S’ensuit « RISE », le morceau phare du très punchy dernier album. Sympathique. Fin de la sérénade à 19 heures 40.

Changement total d’univers. Retour à une Valley toujours aussi passante mais très nettement moins engorgée que tantôt. La pythie Chelsea Wolfe y délivre ses visions, quelque part entre Portishead, PJ Harvey période Is This Desire? et un groupe de BM atmo. Incassable. Lancinante. Gothique sans véritablement l’être. À sa façon. Nous sommes à présent aux alentours de 20 heures et la pluie considère que le moment est venu pour elle de revenir. Certaines parties, à la fois pachydermiques et cérébrales, ne sont pas sans me rappeler Tool. Retour au VIP afin de m’abriter. J’y réalise que j’ai présentement le choix entre la pluie qui redouble d’intensité et le direct de France Inter. J’opte pour la drache.

20 heures 40. Emmené par Kevin Ridley, le collectif hippie-punk de Newcastle Skyclad prend ses quartiers à la Temple et libère les esprits. Les inventeurs du folk metal jouent au Hellfest, pour la deuxième fois eux aussi. Musique celtisante sur batterie métallisée, adhésion immédiate d’un public trempé. Chaleur. Ça tape des mains, ça remue de la tête, ça regarde goguenard. À la guitare punk se marient une guitare sèche et le violon mélancolique de Georgina Biddle. Je les ai tous eus aujourd’hui en interview à 13 heures 40 et j’ai oublié de leur poser une question sur le décès récent du chef des Pogues. Tête de linotte. Place à une magnifique ballade irlandaise. Un couple se prend dans les bras à côté de moi. Le son est parfait, basse ronde, solo de guitare inspiré. Les mains des premiers rangs se balancent de droite à gauche et de gauche à droite. Un métalleux vêtu d’un poncho bleu en plastique « Royan Zoo de la Palmyre » m’offre du feu (les briquets se font décidément rares en cette édition…). Hymne à connotation écossaise. L’interaction entre les vétérans du folk metal anglais et l’audience est optimale. Plus de trente-cinq ans de carrière contemplent la Temple tandis que la bannière rouge vif de Nile trône déjà sur l’estrade de l’Altar voisine. Cette belle démonstration d’authenticité prend fin à 21 heures 41. Seul bémol : le caractère un peu répétitif de leurs ritournelles. C’est toutefois entêtant.

Les Étatsuniens de Nile débutent leur set technico-brutal à 21 heures 46 sous des sifflets impatients et un bruit qui s’apparenterait à une sirène de phare (Alexandrie ?). La procession égyptologique débute sous des roulements de tambours antiques et des lumières rouge orangé. Le public se masse au sein de l’Altar tandis qu’au dehors la nuit prend place. Trois accords abyssaux, et je constate que le kit du batteur George Kollias est l’un des plus imposants qu’il m’ait été donné de voir. Déluge de death technique US. La voix du chanteur est growlée, mais intelligible. « We are Nile », balance-t-il bourru à la première pause. Des chants antiques, mésopotamiens ou plus vraisemblablement égyptiens parsèment leurs compositions sans concession. Les guitares sont tranchantes, la batterie monumentale. Rafales de toms, roulements en cascade enchaînés à des blasts, cymbales martiales. Les refrains sont scandés façon péplum par les guitaristes et vocalistes Brian Kingsland et Zach Jeter, et le bassiste Dan Vadim Von. S’ajoute à ceci le sample d’une supplique arabisante, me semble-t-il, des invocations de femme… Les spectateurs sont debout et observent, impassibles, attentifs, curieux en définitive. Je suppose qu’il s’agit du premier concert de death pour nombre d’entre eux. Une composition du nouvel album (The Underworld Awaits Us All, sortie chez Napalm Records prévue pour le 23 août 2024) de ces cinq Champollion est présentée à l’Altar. À ce propos, une interview avec le groupe devrait être organisée sous l’égide de SLH Agency. « Thank you Hellfest! You Fucking Rock! » C’était ni plus ni moins que la cinquième participation des originaires de Greenville depuis l’édition 2006. Acéré.

Metallica, avec qui je célèbre en ce soir du 29 juin 2024 nos noces de Porphyre (trente-trois années se sont écoulées depuis le premier concert), investit la Mainstage 1 à 23 heures 01 sur « Creeping Death » et sous une pluie battante. Le son est très certainement le plus puissant de tout ce cru 2024. En témoignent ces massifs « For Whom The Bell Tolls », « Hit the Lights » puis « Enter Sandman » qui résonnent dans le noir ciel clissonnais, devant un public frigorifié. Depuis au moins la tournée 1999, la valeur ajoutée d’un show des Four Horsemen (à l’instar d’autres monstres sacrés, tels les Stones, Bruce Springsteen ou Aerosmith) réside à mon sens dans les morceaux moins souvent joués, intercalés à dessein entre les classiques et autres scies obligées afin de râvir les connaisseurs… Dès lors, l’intérêt programmatique de cette deuxième venue au Hellfest des légendes et patrons du metal US (à leur demande selon Ben Barbaud) résida principalement en un « Hit the Lights » précité, un splendide « The Day That Never Comes » (un des deux meilleurs morceaux de Death Magnetic de 2008) ainsi qu’une amusante reprise de « L’aventurier » d’Indochine par Robert Trujillo. Lequel est coutumier du genre puisque le facétieux bassiste nous avait déjà gratifié de « Ma gueule » de Johnny (Stade de France, 2019). M’est avis que c’est une idée de sa Française d’épouse… Chloé Trujillo étant programmée mi-juillet en interview pour Art’n’Roll, nous en saurons davantage très bientôt (MAJ : oui c’était bien son idée, elle a laissé le choix à Robert entre ça et deux classiques de Téléphone) Pour le reste, le tour de chant des seigneurs de cette estivale nuitée fut composé d’inévitables classiques, ainsi que de quatre extraits de leur nouvel album (j’ai bien aimé le vibrionnant « Lux Æterna »).

Ainsi s’achève cette Académie des Neuf du samedi 29 juin. Place à présent à Antenne 2 Midi présenté par Noël Mamère !

 

Mes trois concerts persos samedi 29 juin 2024 :

  1. Konvent
  2. Extreme
  3. Brutus

 

Merci à Angélique Merklen pour la relecture.

Place maintenant au dimanche les amis !

Hellfest – Dimanche 30 juin 2024 – « Père et fils »

Leave A Comment