Interview avec Karl Sanders de Nile

mardi/20/08/2024
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Située en Caroline du Sud, Greenville est la bourgade natale du révérend Jesse Jackson ainsi que de Rudolph Anderson, le seul mort de la crise des missiles de Cuba. Mais pas que. Les fans de death, et autres connaisseurs du metal du début des années quatre-vingt-dix le savent pertinemment. Tandis qu’alors, plus au Sud, des fous-furieux tout droit sortis du Bayou repoussaient les limites du brutal et du gore, et que bien plus loin au Nord-Est, une blonde jeunesse filait les foies à toute la paisible social-démocratie, le Sud-Carolinien Karl Sanders pris la singulière et géniale décision d’infuser de l’Égypte antique à son death metal technique. Ainsi naquit Nile en 1993. De Maître Gym à Maiden, en passant par Jinjer (dans la récente vidéo de « Someone’s Daughter », leur dernier simple, Tati est grimée en Cléopâtre), l’ancienne Égypte a toujours inspiré les musiciens. Mais, de l’originel Amongst the Catacombs of Nephren-Ka de 1998 à Vile Nilotic Rites de 2019, aucun autre groupe de metal extrême que Nile n’a autant lié et mêlé ses thématiques (ainsi que ses sonorités) à la patrie de Ramsès II. A l’occasion de la publication chez Napalm Records le 23 août 2024 de The Underworld Awaits Us All, leur dixième déferlante, ou plus précisément « déluge » studio, ANR a eu l’opportunité de converser le dernier soir de juillet avec l’opiniâtre Sanders. Le presque albinos du groupe démontra, si besoin était, que l’on peut être un authentique intellectuel et pratiquer du death metal…

 

Art’n’Roll : As-tu vu Gojira à la cérémonie des JO vendredi dernier ?

Karl Sanders (Guitare, Vocaux, Synthétiseur) : Non ! J’étais occupé à travailler (Rire)

ANR : Quel bilan tires-tu de votre cinquième passage au Hellfest, le samedi 29 juin ?

KS : Je n’y étais pas, le groupe a joué sans moi. Je suis resté en Belgique, à l’hôpital, j’étais malade comme un chien. Je n’ai pas été en mesure de voyager, j’ai loupé ce concert, c’était vraiment terrible. Il m’a fallu près d’un mois pour récupérer, je me sens mieux à présent. Seuls trois membres du groupe ont joué ce soir-là, je n’ai pas eu à leur donner d’instructions car ils savent parfaitement quoi faire.

ANR : Vous publiez le 23 août prochain votre dixième album studio, The Underworld Awaits Us All,  que signifie cet intitulé ?

KS : Je crois que cet intitulé signifie… Que… Chacun… Va mourir. Nous tous. Chaque personne, qui vit, qui va vivre, va mourir. Que se passe-t-il après ? Je ne sais pas, tu ne sais pas, et personne n’est jamais revenu afin de nous le raconter. Où nous rendons-nous quand nous mourrons ? Mais, quel que soit cet endroit, nous tous les fans de metal (Sourire) serons tous ensemble !

ANR : Pourquoi les fans de metal spécialement ?

KS : Well… Car je pense que les fans de metal ont des liens entre eux. Cela tu peux le constater quand tu vas dans des concerts de metal, ou des metalfests, tu vois des gens de toutes horizons, avec différentes existences, en provenance de différentes parties de la planète Terre, qui possèdent tous la même chose en commun, celle qui nous lie, à savoir l’amour… Du metal ! J’évoque ici… La communauté… De ceux qui aiment le metal !

ANR : Le concept de « communauté metal » est très intéressant… Dans un monde qui met l’accent sur les différences et dans lequel faire partie d’une communauté est devenu prépondérant… Je suis présentement à Paris et je parle avec toi en Caroline du Sud, je te pose des questions sur ce sujet qui nous rassemble, et évoque avec toi Gojra qui joué devant le monde entier la semaine dernière…

KS : (Rires) Le metal unit les gens. Si vous écoutez du metal, vous n’aurez pas envie de vous entretuer ! C’est une bonne chose ! (NDA : Doigt pointé vers l’écran) Le metal devrait être représenté aux Nations-Unies (Rires)

ANR : Elles seraient bien plus pacifiques…

KS : Ce serait bien mieux, yeah ! On irait tous voir Cannibal Corpse, et on serait tous heureux, on remuerait nos têtes nos poings de metal levés en l’air, et l’on boirait une bière ensemble…

ANR : Nile a été créé en 1993, à ce moment-là je devais probablement écouter Metallica ou Slayer, quelque part non loin de Paris… Quelle serait la recette pour qu’un groupe de death metal puisse être encore et toujours créatif plus de trente ans après ?

KS : Hummmmm… Je ne connais pas la recette, nous jouons avec le cœur. Nous faisons en sorte de donner le meilleur de nous-mêmes quand nous écrivons des chansons, les enregistrons, les jouons. Nous nous contentons de donner ce que nous avons à donner. Nous restons simples. Nous jouons du death metal brutal et rapide, c’est ce pour quoi nous existons. Si j’avais à frapper à ta porte (Rires) je t’apporterais une bouteille de vin et du death metal ! C’est ce que je peux apporter !

ANR : Cool. Votre disque a été enregistré dans ton propre studio, le « Serpent Headed Studios » à Greenville… Pourquoi ce nom ?

KS : C’est comme la chanson « Serpent Headed Mask », qui figure sur l’album Amongst the Catacombs of Nephren-Ka… C’est tout simplement une partie de ma maison, c’est cette pièce que tu vois, et également la pièce derrière pour les guitares… C’est uniquement deux pièces de ma maison ! Mais… Je leur ai donné un nom : le « Serpent Headed Studios » !

ANR : C’est votre premier album publié chez Napalm Records, pourquoi ce choix ? Pourquoi un label européen ?

KS : Pourquoi pas ! Nous avons constaté que les gens de Napalm étaient agréables et compétents, qu’ils allaient nous traiter avec considération. Nous apprécions les filles et les garçons qui travaillent dur.

ANR : Une tournée européenne est prévue pour septembre, pas de date française…

KS : Nous avons prévu cinq semaines de tournée. Mais cinq semaines n’est pas encore assez pour pouvoir jouer là où nous devons jouer en Europe. Par conséquent, il y aura une « part deux » (Sourire) Nous reviendrons, et il y aura une seconde partie de cette tournée, qui couvrira cette fois la zone scandinave, celle du bloc de l’Est (Sic) Donc nous nous devons d’organiser au minimum deux tournés…

ANR : Vous vous êtes produits douze fois à Paris, la première fois le 14 juin 1999 au Gibus…

KS : (Rires) Le Gibus !!! Yes !!!

ANR : Il y a beaucoup de concerts de black et de death dans cette salle, qui a été un haut-lieu du punk à Paris… Les Damned par exemple ont joué au Gibus !

KS : Cool !!!

ANR : Écoute, j’ai évoqué ce lieu avec Dave Vanian, qui s’en souvient lui-aussi…

KS : Cool !!!

ANR : Et toi ? Te souviens-tu de ce premier concert au Gibus ?

KS : Comment ne pas s’en souvenir ?!? Je m’en souviendrais toute mon existence, parce que c’est un endroit contraire à la raison… Afin d’y organiser un concert de metal !!! C’est un club de petite taille (Rires) Trop petit (Rires) Mais les groupes parviennent à y organiser des concerts de metal ! Il y fait trop chaud ! Tu ne peux pas respirer ! Il n’y a pas d’espace entre le groupe et le public, c’est tellement exigu que tu as le public qui se retrouve sur scène, c’est trop petit (Rires) Il n’y a pas non plus de ventilation ou de lieu où tu puisses t’isoler l’espace d’un instant. Ceci dit, les concerts que nous avons faits là-bas étaient formidables ! Inoubliables et sans limites !

ANR : Pour l’avoir vu au Hellfest, le kit de batterie de Monsieur George Kollias est démesuré…

KS : (Rires)

ANR : Probablement le plus démesuré que j’aie pu voir…

KS : Il y a eu des fois où nous avons été contraints d’annuler le concert parce que la batterie ne rentrait pas sur scène ! Je me souviens que ce fut le cas lors de notre dernier passage à Marseille (Rires) No Show ! Cela est arrivé en Autriche, cela est arrivé en Belgique, cela peut arriver ! Qu’est-ce qu’on doit faire ?!? Tu ne peux pas demander à Georges de jouer sur un petit kit, parce qu’il a besoin de l’intégralité de son kit pour jouer les chansons de Nile…

ANR : J’ai vu que vous avez joué en 2012 au Bataclan, un lieu désormais tristement célèbre, et je me suis dit que votre morceau de 2009 « Kafir » (NDA : « infidèle » en arabe) plus le temps passe revêt un aspect macabre, sanglant, puisqu’il s’agit d’un slogan islamiste et qu’il a probablement été prononcé lors du massacre de 2015… Qu’en penses-tu ?

KS : Si tu lis les paroles de cette chanson, tu réalises que nous ne sommes pas des fondamentalistes islamiques, ou des terroristes. Il s’agit d’une chanson metal, qui plus est antireligieuse. Intégralement antireligieuse. En temps normaux, je n’aurais probablement pas répondu à cette question, car je ne veux pas que notre groupe soit suspecté de quelque haine que ce soit. Nous sommes juste un groupe metal, qui chante des chansons metal, et ce, dans la grande tradition des chansons metal qui est souvent antireligieuse. Tu dois en conséquence prendre cette chanson dans un contexte particulier. Nous avons également composé une chanson qui s’intitule « Call to Destruction », qui elle s’en prend à ceux qui appellent à la destruction des pyramides, lesquelles sont considérées comme « profanes » car non construites pour le prophète. Bien entendu, j’espère que personne ne va sérieusement croire que Nile appelle à la destruction des pyramides…

ANR : Parles-tu l’arabe ?

KS : Non !

ANR : Te souviens-tu de l’instant où tu as eu l’idée de t’inspirer de l’Égypte antique ? C’est une décision singulière pour un jeune groupe de metal ?

KS : (Rires) Yeah ! Je suppose moi-aussi. Lorsqu’on a commencé, la plupart des groupes de death metal étaient des… clones… De Suffocation ou de Cannibal Corpse, et jouaient tous la même chose… Je me suis dis : « Est-ce que j’ai envie de faire cela ? Non ! Qu’est ce qui m’intéresse ? ». Tu sais, j’aime l’histoire antique, donc… Tout a commencé de cette réflexion. L’histoire ancienne, Nile…

ANR : En écoutant ton groupe au Hellfest, je me suis dit que votre propos, y compris du point de vue musical, dépassait l’Égypte ancienne : es-tu également branché par la Mésopotamie ?

KS : Sure ! Absolument ! Il y a un paquet de chansons de Nile, tout au long de notre discographie, qui touchent à l’histoire des anciens Sumériens, des Mésopotamiens, de leurs idoles, de leurs religions, c’est à peu de choses près la même époque même si les sumériens étaient là d’abord (Rires) D’ailleurs, les Égyptiens leur ont piqué leurs idées (Rires)

ANR : Cela me fait penser qu’il existe un groupe de black metal atmosphérique très talentueux, qui s’appelle Cult of Fire, qui nous vient de Tchéquie, et qui est uniquement inspiré par Mohenjo-daro vers moins deux-mille-cinq-cent ans avant Jésus Christ et par l’histoire et la culture védique, celle qui engendrera plus tard l’Hindouisme… Les connais-tu ?

KS : Nope !

ANR : Un groupe très intéressant, peut-être que leur démarche est inspirée par celle de Nile, je ne sais pas…

KS : (Rire)

ANR : Mais je peux voir comme un lien dans l’approche conceptuelle…

KS : Je crois… Que l’histoire de la planète Terre… Nous appartient à tous… Si quelqu‘un à l’autre bout du monde a envie d’écrire sur l’histoire antique, cette histoire lui appartient également… Je suis conscient que les pyramides sont… Localisées dans l’Égypte ancienne… Mais d’un côté… Elles appartiennent à l’intégralité de l’humanité… (NDA : Pointe le doigt en l’air) Nous devons tous nous soucier… De ce qui s’est passé…

ANR : Votre dixième album sortira le 23 août. Ce jour-là, en trente avant Jésus Christ, Octavien qui n’est pas encore l’empereur Auguste fait exécuter le fils de Jules César, Césarion Ptolémée XV…

KS : Je ne savais pas ça, c’est fascinant ! Wow !

ANR : Le 23 août marque également en 1939 la signature du pacte germano-soviétique, ou pacte Molotov-Ribbentrop, un accord de non-agression entre l’URSS et l’Allemagne nazie…

KS : Wow ! Ce n’est pas moi qui ai choisi la date de sortie ! Ce n’est pas moi mais notre label ! Je m’en vais leur demander, voir leurs têtes…

ANR : Bien entendu, et c’est comme pour « Kafir », rien n’a été fait de manière intentionnelle… Cela me permet d’effectuer une transition entre l’antiquité et l’histoire contemporaine, et de te demander si tu es également branché histoire de la Seconde guerre mondiale ?

KS : Well Yeah ! J’aime l’histoire de la Seconde mais aussi de la Première guerre mondiale ! Il y a un paquet de documentaires là-dessus, sur Netflix, et je me suis aperçu en voyageant en Europe que ce ne sont pas les mêmes que chez nous, le contenu est différent. J’ai particulièrement apprécié celui sur les causes de la Première guerre mondiale, et cela m’a littéralement explosé l’esprit ! La Première guerre mondiale est une partie incroyable de l’histoire, laquelle a complétement formé et déterminé tout ce qui est venu par la suite ! Yeah ! Fascinating !

ANR : (NDA : Se retourne et détache un cadre du mur) Tiens, si tu aimes : une photo de mon arrière-grand-père en uniforme à Munich en 1945 devant une Mercedes de dignitaire nazi, une prise de guerre…

KS : Wow (Sourire) C’est incroyable !

ANR : As-tu lu Champollion ?

KS : Champollion ? Le Français qui est allé en Égypte et qui a déchiffré les hiéroglyphes ? Bien sûr !

ANR : Es-tu déjà allé au Père Lachaise ? Puisque le caveau de Champollion se trouve là-bas…

KS : Non, pas à ce jour… Peut-être que la prochaine fois que je viendrai à Paris tu pourras m’y emmener ?

ANR : Quel serait l’endroit le plus atypique dans lequel vous ayez joué ?

KS : Il y a un an, nous avons joué dans un bunker souterrain à Trèves, il y avait un refuge à bombes, nous étions à des dizaines de mètres sous terre et tout était de béton. Cela sonnait affreux ! Quelle idée d’organiser un concert de metal là-dedans ! Mais bon, Here We Go !

ANR : Te considères-tu comme un autodidacte ?

KS : Oui. Je suis allé quelques années au collège, mais je n’ai pas achevé ma scolarité (Sourire) J’étais occupé à jouer du metal ! Donc, la plupart des thèmes que j’évoque dans les chansons de Nile, je suis allé les apprendre par moi-même, des livres ou à la bibliothèque, ou par le biais de documentaires historiques, de chaînes historiques, ou par tout moyen… Je suis un autodidacte.

ANR : Nous sommes à a fin de cette brillante interview, une dernière question : que souhaiterais-tu voir inscrit sur ta tombe ?

KS : Pfiouuuuu ! Je ne sais pas.

ANR : Non ?

KS : Je n’ai pas d’idée. Je n’y pense pas. Je suis occupé à jouer du metal, c’est sur quoi mon cerveau est branché, et le futur arrivera quoi qu’il en soit, et quoi que j’en pense…

ANR : Merci, et passe une bonne fin de journée promotionnelle, ainsi qu’une bonne fin de promo…

KS : Merci Monsieur, ce fut un plaisir de parler avec toi aujourd’hui !

ANR : Merci beaucoup Monsieur Sanders !

 

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