Motocultor – Jeudi 15 août 2024 – « Degemer mat ! »

mardi/27/08/2024
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15 heures 31 : retentissent deux minutes d’intro du graisseux « Im the Wolf » d’Howlin’ Wolf (1954). « Motocultor ! Nous sommes DeWolff !!! Are You Ready For Some Rock’n’Roll?!? » Et c’est sur les premiers accords de « Night Train », tout droit sorti de leur récent Love, Death & in Between (paru en février 2023), qu’est étrennée cette édition 2024 du Motocultor. Ça chauffe, les voix des Bataves se situent (étonnamment) entre celles de James Brown et d’Ike & Tina. Le public jubile d’ores et déjà. Connus sous nos latitudes des seuls initiés stoners et rock vintage, les frères Pablo et Luka van de Poel et leur ami Robin Piso semblent être, avec plus d’une dizaine d’albums conçus depuis 2008 (ces prodiges étaient alors très jeunes adolescents), prophètes en leur contrée garnie de barrages. D’ailleurs, le patronyme « DeWolff » n’est pas rare au pays natal de Dave et de Within Temptation, et signifie « du loup ». Il a été choisi par nos trois petits génies en référence à Winston Wolfe (le « nettoyeur » de Pulp Fiction, interprété par Harvey Keitel). Dans l’immédiat, les frelots van de Poel creusent dans une veine inattendue Stax / Motown. Leur deuxième morceau joué cette après-midi, « Treasure City Moonchild », emprunte beaucoup aux deux premiers (et immarcescibles) albums de deux autres frères musiciens : j’ai nommé les Black Crowes. Ou des Allman Brothers, c’est comme vous voulez. Alternant entre rock blues couillu à la Humble Pie et soul de la seconde moitié des années soixante, les trois Limbourgeois essuient les plâtres du fest sous un ciel désespérément gris depuis ce matin 10 heures. C’est la frange la moins metal (la plus avancée en âge également) qui soupire unanimement de regret à l’annonce par Pablo de leur (déjà) dernier voyage dans le temps, « Rosita ». Les mains communient vers le ciel à 16 heures 08. Une festivalière se plie littéralement en deux afin de pouvoir traverser la foule sans gêner la vue des autres. C’est officiel : je ne suis plus à Paris. L’atypique trio néerlandais quitte la Dave Mustage à 16 heures 21.

Uada. J’apprécie sur disque leur black metal intelligent, généralement qualifié de « mélodique », et indéniablement empreint de caractère. C’est sur « Snakes & Vultures », le premier morceau entamé à 16 heures 21 par les originaires de Portland dos à l’assistance, au cours d’une longue introduction martiale, associée à une bande sonore mêlant bruit de pluie, gémissements de suppliciées et aboiements de loups, que je pénètre pour la première fois de mon existence dans le Débir d’un lieu de concert, selon mon opinion le Saint des saints d’un festival : le pit photo ! Après m’être fait gentiment vanner et bizuter par le chevronné (et toujours truculent) Lionel Båålberith (alias « le Louchebem des Batignolles »), je shoote présentement vaille que vaille, néophyte. Pas de Pouniiie pour me conseiller à la manœuvre photographique, pas de Ask ni de V. Mamy pour me rassurer. Je ferai tout tout seul pour une fois. Je suis esseulé quatre jours durant. Je sors de ma zone de confort, faisant de mon mieux afin que personne ne soit déçu à l’arrivée, à commencer par toi qui me lis. Un peu comme la fois où, en septembre 1978, ma mère me laissa aux portes de la maternelle communale Henri Sellier. « T’es nouveau, je ne te connais pas, toi, t’étais pas là l’année dernière ?!? », me questionne Gwena, sur un ton maternel et adorable… Gwena qui est, non pas la maîtresse de première année, mais la bienveillante tutrice du pit, en charge des photographes novices.

Henri Sellier était un bâtisseur féru d’aménagement, d’hygiène et d’amélioration du cadre de vie. Ça tombe bien, cette quinzième édition du Motocultor baigne, entre autres, dans ces thématiques. Yann Le Baraillec et les siens semblent avoir (finalement) réagi aux critiques récurrentes, notamment par la création d’une tribune et d’un camping VIP-presse-PMR (le Camping 2, élégamment dominé par le Moulinsaresque château de Kerampuilh), d’un mur de bière Drinkee (« pour réduire les files d’attente dans les bars »), par la disposition côte à côte des deux scènes en plein air (pour info ou rappel, il y a en quatre : la Dave Mustage, la Supositor Stage, la Massey Ferguscène, la Bruce Dickinscène, les deux dernières étant sous chapiteau), par l’augmentation du nombre d’agents de sécurité et (surtout) par celui des lieux d’aisance. Mieux que cela. « Degemer mat » (« bienvenue ») semble être le maître mot de cette quinzième mouture du « petit frère du Hellfest » (selon l’expression d’un article du quotidien national du soir de 2017), la deuxième organisée au sein du chef-lieu du Poher à l’extrémité est du Finistère. L’accueil est humain, fraternel, chaleureux, que ce soit celui des bénévoles, de la sécu (la fouille est effectuée avec délicatesse et sourires, ce qui ne fut malheureusement pas toujours le cas cette année à l’entrée du site du « grand-frère » de Clisson) ou des commerçants de Carhaix-Plouguer. D’ailleurs, ces dernières lignes sont écrites devant un café au lait en terrasse de l’agréable bar-tabac le Longchamp situé bali (« avenue ») Victor Hugo. Le nom de ce gentil troquet me rappelant (si besoin est) l’invraisemblable et surannée gabegie organisationnelle du concert d’AC/DC auquel j’ai assisté mardi 13 août, Gérard Drouot Productions ayant visiblement, outre la rentabilité facile, privilégié le superficiel (l’appli, les bracelets, le « cashless », les babioles et le merch’) au fondamental (la sécurité notamment…).

Mais revenons au présent. Il est 16 heures 51 et les Ricains encapuchonnés de Uada en sont déjà aux deux tiers de leur messe noire. Imperturbables. De jeunes blackeuses, accrochées à la barrière, ne boudent pas leur plaisir. Les fumigènes sont eux aussi de la partie. La foule de la Suppo (quel blaze, franchement…) a quelque peu perdu de ses couleurs depuis le passage de DeWolff : elle est maintenant intégralement vêtue de noir. Comme elle l’est d’ailleurs traditionnellement dans un vrai metalfest. De plus en plus sombre et menaçant, le ciel breton se met au diapason de la musique et des mélomanes. Les chevelus de Portland, à l’image de nombre de leurs congénères BM, ne communiquent presque pas entre chacune de leurs complaintes. Nous sommes aux alentours de 5 heures du soir, il est l’heure pour moi de sortir ma petite laine (id est : mon hoodie de Myrkur). « Cette année, ils ont mis les moyens, ça se voit partout ! », me confirme, pour ce qui relève de l’organisation, le sympathique Thomas du media All Rock, tandis que les cinq bures à capuches baissées achèvent leur ténébreuse cérémonie à 17 heures 04. Les cinq Brightoniens de Squid leur succèdent à 17 heures 20, avec leur mélange de cuivres, de basse groovy, de bidouillages au clavier, de guitares aigrelettes évoquant par moments Sonic Youth, de harangues de perdu et de rap blanc incisif auxquels succèdent à 18 heures 30 les quatre Denverites thrash metal « Canal historique » d’Havok (sous une impressionnante marée de mimines, qui scandent comme un seul homme). Motocultor, terre de contrastes…

Le respect des identités musicales et des contre-cultures est depuis l’origine la marque de fabrique du Motoc’. Cette authentique diversité s’exprime de façon forte ce jeudi, avec notamment la programmation de Magma (annulé la veille en raison d’une chute de Christian Vander), ainsi que du légendaire Alan Stivell. Le harpiste et conteur est en lui-même un modèle de pluralité culturelle, l’un des premiers Français à rendre hommage à la mémoire du doux artiste kabyle Idir, parti en 2020, avec lequel il avait chanté et adapté la chanson « Isaltiyen » (« Les Celtes ») il y a plusieurs décennies. Le regretté Idir qui avait également chanté « Pourquoi cette pluie ? » À ce propos, le crachin enquiquine le site depuis les coups de 17 heures. Le maître incontesté de la musique bretonne, donc de Kerampuilh, foule la Dave Mustage à 19 heures 08. Énorme accueil de la part de l’assistance. C’est dû à la coquette réputation du bonhomme, mais aussi au fait que le premier morceau joué ce soir est effectivement au diapason du fest : lent, lourd, guitaristiquement précis, presque hard rock. Mon jeune ami Yves me rejoint afin de partager ensemble ces affables instants. Flûtiau et biniou sur le deuxième morceau. Stivell invoque. La pluie a cessé. Ce qui marque l’auditeur est l’actualité de ses sonorités, notamment celles guitaristiques. Certaines se situent à l’orée du hard rock. Les ovations sont de rigueur, en dépit de l’ondée (légère) qui est (subrepticement) revenue. « Tri martolod », son classique intemporel (joué pour la première fois lors de son passage à l’Olympia en 1972), est chanté à 19 heures 54 par Monsieur Alan Stivell, sans sa harpe. Il fait face à une foule pacifique, mouillée et compacte, en presque final (en avant-dernier) de cette belle heure de folklore armoricain. Inestimable. Fin du récital enchanteur sur le plus récent « Bro Gozh ma Zadoù ». Aux premiers rangs, un Gwenn ha Du est brandi. « Bienvenue en Bretagne ! », me dit (en français) Léonel (Roslagadec), un bénévole affecté à l’environnement.

Au docte barde succèdent dans la Bruce Dickinscène à 21 heures 15 les vétérans prog’ d’Ange ! Caricatures, le premier 33 tours des Francs-Comtois, est paru le 5 juin 1972 (enregistré au légendaire Studio Davout, là où Ozzy enregistra The Ultimate Sin, Cure Pornography, et France Gall Les sucettes), alors que mon père était encore sous les drapeaux quelque part dans les Alpes. Ce groupe est un monument. Il est 21 heures 05 et les babas cool délivrent leur message de paix antédiluvien (mais invariablement nécessaire) devant une assemblée habillée de noir (mais pas seulement). Le public est effectivement, cette fois, plus disparate : des stoners à chapeaux de cowboys, des badauds et des afficionados. « Si ça slamme, tu vas récupérer des prothèses et des jambes de bois », prévient Franck, responsable de la sécu… Il faut dire que la moyenne d’âge s’est plus que sensiblement élevée. Une lourde et émouvante version de « Les Larmes du Dalaï Lama » fait office d’entame. Ma chanson préférée d’eux. Un hommage baroque à une cause non seulement juste, mais complètement pacifique et dénuée de toute haine envers autrui. Celle du peuple et de la civilisation tibétaine, trop souvent et injustement oubliée des Occidentaux, hormis quelques véritables humanistes aux rangs desquels ont l’honneur de figurer Gojira. Ou Ange. « Les yeux d’un fou » est joué en deuxième, leur manifeste antimilitariste. C’est rythmé. J’aime beaucoup. Un nouveau morceau intitulé « Quitter la meute », à figurer sur l’album à paraître cette année, nous est livré en troisième, avant le classique (et planant) « Quasimodo ». Christian Décamps vient de fêter ses soixante-dix-huit ans, et me fait physiquement penser à un mix entre le père Noël et Marco Neves de Treponem Pal… Il laisse le micro au clavier pour quelques chansons, le premier quittant l’estrade afin de laisser le champ libre au second. Le guitariste est, à mes yeux, le point fort de cette version rajeunie de l’honorable formation. Le mélange entre prog’ à l’ancienne et guitare plus moderne me rappelle quelque peu l’ultime mouture de Procol Harum, celle que j’avais vue avec mon pote Gérard en juillet 2014 au Casino de Paris. Beaucoup de festivaliers sont assis par terre en tailleur, certains en K-Way. Ils profitent de la poésie, ils admirent le spectacle. Cette version de « Reveille-toi » est des plus lyriques, lourde, théâtrale, une supplique. « Hymne à la vie » (figurant sur l’album Par les fils de Mandrin, sorti en 1976) est interprété en dernier. Ange est incontestablement en belle forme, en dépit de la traversée de pas moins de six décennies. Retour aux scènes principales, où l’atrabilaire Glen Benton braille les deux derniers brûlots death de Deicide. Le son est parfait. Fin du set à 22 heures pile. « Paranoid », de qui-on-sait, est diffusé en outro.

« Mon regretté beau-père m’a fait découvrir l’exceptionnel Jacques Tati, qui selon moi n’a jamais été dépassé depuis… Pour t’en convaincre, regarde Les Vacances de Monsieur Hulot ! Bien entendu, comme tous les gars de ma génération, je deviens chaud dès que je vois Brigitte Bardot, mais aussi Catherine Deneuve !!! » Tony Dolan me confiait ainsi, en février 2019, être un francophile doublé d’un cinéphile. Venom Inc. s’est déjà produit à deux reprises au Hellfest (2018, 2023) mais jamais ici, au Motocultor. Chose aujourd’hui corrigée à 22 heures 15 par l’intermédiaire d’un savant mélange de près d’une heure entre guitares heavy metal, rythmes syncopés à la Motörhead et vociférations viriles. Le tout sous de mirifiques lights. L’infortuné Jeff Mantas n’est plus à la guitare live ; il a en effet été victime d’une attaque cardiaque le 17 avril dernier. En tout cas, son remplaçant a la patate ! Le classique « Black Metal » (le seul morceau ayant donné son nom à tout un genre musical et culturel) est asséné aux alentours de 22 heures 45, et (bien entendu) repris en chœur par les connaisseurs. Tony Dolan nous dit « Good Night! » à 22 heures 53 avant de balancer « Countess Bathory », un de leurs autres classiques (classiques de Venom je veux dire, ne chipotez pas). Larsen final à 23 heures pile ? Non, ce n’est pas fini ! Car, après un « Thank You So Much », Dolan et son vrombissant triumvirat en remettent une couche avec neuf minutes d’un « Welcome to Hell » des plus bouillants, à l’image des lumières rougeoyantes baignant nos trois lurons teigneux. Manifeste black metal engendré en 1981. Une paille ! L’ultime solo n’est d’ailleurs pas sans évoquer Fast Eddie Clarke. La foule réclame un rappel, qu’elle n’obtiendra pas. En définitive, une presta musclée et fédératrice, probablement la meilleure de cette première fournée.

« Quand on a trop mangé, l’estomac le regrette et, quand on n’a pas assez mangé, l’estomac le regrette aussi », disait Pierre Dac. En l’espace de quelques heures seulement, mon estomac a successivement ingurgité du stoner rock, du black metal mélodique, du post-rock, du thrash old school, de la musique bretonne, du rock prog’ en français, du death metal et du black metal… Ma fringale musicale étant je vous le confesse largement rassasiée pour ce premier jour, il est temps pour votre serviteur de regagner sous la voûte étoilée le parc du calme château de Kerampuilh.

Ou presque. En écoutant au loin (mais rien n’est jamais bien loin au Motocultor, c’est un autre de ses points forts) l’apaisante et délicate musique de nos compatriotes de Neko Light Orchestra… Une bien belle découverte. Je vous recommande cet ambitieux crossover entre musique classique (voire orientalisante) et fantaisy. Talentueux. Puis le hardcore répétitif de Lionheart (bof !). Enfin, et dans un tout autre registre, « Mjød » (« hydromel »), mon brûlot préféré des Norvégiens fous furieux de Kvelertak, repris en chœur à 1 heure 18 par leurs supporters massés en la Massey Ferguscène. À 1 heure 30, ce fut cette fois-ci la bonne : « Noz vat ! »

 

Mes trois concerts persos jeudi 15 août 2024 :

 

  1. Venom Inc.
  2. Alan Stivell
  3. Ange

 

Merci à Angélique Merklen pour la relecture.

Merci à Arnaud Dionisio pour le traitement des photos d’Ange et de Venom Inc.

 

Place maintenant au vendredi les amis !

Motocultor – Vendredi 16 août 2024 – « Copains de chambrée »

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