« On est Inhumate de Strasbourg. Vous n’aimez pas le grind ?!? On s’en fout !!! Vous bougez ou vous attendez qu’on finisse, on est là pour faire la fête !!! », prévient Christophe à 13 heures 35. Il résume (à sa manière) l’état d’esprit du Motocultor. Il bruine de nouveau, et j’ai mis mon T-shirt In Cauda Venenum d’Opeth, lesquels joueront dans neuf heures environ au même endroit que les grindeux alsaciens.
14 heures 15 : c’est l’heure de Resolve. Ou plus précisément de quarante minutes de metalcore lyonnais sur la Dave Mustage. « Resolve To Perform What You Ought; Perform Without Fail What You Resolve », nous conseillait Benjamin Franklin. Le quatuor emmené par les frères Robin et Nathan Mariat (respectivement basse et batterie) semble avoir écouté ledit conseil et perform très bien. Ovation du public dès leur entrée en scène sur un fond sonore synthwave. « Pour ceux qui nous connaissent, nous avons l’habitude de jouer sous la pluie ! », annonce le chanteur Anthony Diliberto. Rires. Ça tombe mal (ou bien, c’est selon) : il ne drache plus. Les jeunes artistes connaissent leur genre musical sur le bout des doigts et multiplient les poses typiques, pour le plus grand bonheur de leur fanbase visiblement venue en force. Tout en rythmique, Antonin Carré le guitariste est vraisemblablement (selon moi) le point fort de cette formation qui gagnerait à être connue. Efficace. Sympathique. « C’était parfait, merci du fond du cœur !!! » à 14 heures 46 avant un dernier morceau au beat lent, provoquant une fournée de slams non négligeable.
Incantation sont des copains de chambrée de Suffocation, de Nile, d’Immolation ou encore de Morbid Angel… c’est à dire de toute cette scène death metal et assimilés de la Côte Est des USA qui a éclot entre 1988 et 1993 telle une ville champignon. Eux, c’est New York puis Johnstown, en Pennsylvanie, en 1989. Leur treizième et dernier album, Unholy Deification, est sorti il y a douze mois chez Relapse. À 14 heures 57 est diffusé un speech anxiogène, évoquant de façon confondante les Sumériens : l’un des sujets de prédilection, justement, de Karl Sanders de Nile. S’ensuivent quarante minutes de death old school de très bonne facture. Les cheveux blancs de John McEntee, le chanteur-guitariste présent depuis 1989, lui confèrent un air de vieux sage du metal extrême. Il a des faux airs de Max Cavalera, qui jouera demain à 0 heure 15 sur la Massey avec son Soulfly. Plus jeunot, son guitariste est vêtu dans la plus stricte observance death metal early nineties (treillis noir, etc.). Parfait. Il sourit. Bon gars. Du bon death. Incantation traversera la partie nord de l’hexagone et sera demain, samedi 17 août, au Black Lab de Wasquehal ; le choix du lieu n’est pas étonnant, la salle nordiste étant indéniablement une plaque tournante du metal de qualité ! Sur le chemin du retour, je croise Luc Frelon. L’animateur de FIP Metal est originaire du même coin de France que moi. Ça crée inévitablement des liens.
« – ANR : Cet été, Infected Rain se produira également au Motocultor le vendredi 16 août (j’y serai) ; connais-tu un peu ce festival français ? – LS : C’est génial, on se voit là-bas ! En fait, je ne sais pas grand-chose de cet événement… » Lena Scissorhands, de son vrai nom Elena Cataraga, est une femme directe et franche. L’ambassadrice malgré elle de la diacritée Chișinău et de la République de Moldavie, aînée de trois sœurs de père arménien, est (à raison) pressentie comme LE phénomène de cette deuxième fournée de fest. Esthéticienne et coiffeuse de formation (d’où son surnom), Lena communique beaucoup par l’image qu’elle donne. C’est, peut-être, pour cette raison qu’Infected Rain figure au rang des dix-sept groupes ou artistes (j’ai comptabilisé) à n’avoir donné absolument aucune « restriction » aux photographes accrédités. Lesquels se massent dans le pit photo de la Dave Mustage aux alentours de 15 heures 40 afin de ne louper aucune miette. « Les gens sont en avance pour Infected Rain », badiné-je avec Franck, le chef de la sécu ; tandis que, plus haut, la maîtresse des lieux teste son micro en coulisses. Musique de fond à 15 heures 45, le Motocultor et l’un de ses quatre pit photo retiennent leur souffle.
Les trois instrumentistes entrent en scène, suivis de près par la frontwoman moldave, et c’est une acclamation des plus retentissantes. Ça turbine sévère à tous les postes de jeu. Hard ! Vêtue d’un collant intégral jaune moutarde la faisant ressembler à une guêpe (ou au bidule acrobate qu’on a vu lors de la cérémonie de clôture de nos JO), Scissorhands arpente l’estrade avec une assurance chevillée au corps. En contrebas, je n’ai pas vu depuis hier une telle concentration de photographes. Première pause : « Comment ça va, France ? We Are Infected Rain From Motherfuking Moldavia!!! » Sa voix est parfaite. J’adore. Au bout de deux morceaux, le rituel s’installe, d’ores et déjà immuable : à chaque interlude, elle s’exprime en moldave-roumain avant deux ou trois mots dans la langue de Didier Barbelivien, enfin elle annonce la prochaine chanson en anglais. Elle demande également que tous les doigts-de-metal se lèvent vers le ciel et l’obtient illico – le Motocultor mange littéralement dans la main de la Slave. La vénéneuse Moldave s’avère théâtrale façon cabaret. « Vous nous quittez déjà ?!? » demandé-je goguenard à mon nouveau copain de pit Lionel Båålberith. À deux mètres de nous dans la fosse, ça slamme et ça scande grave. « I’m Gonna Dance A Little Bit », badine-t-elle, puis « French Crowd Never Disappoints! » (à lire avec un charmant accent balkanique).
Les ritournelles venimeuses et vitaminées s’enchaînent comme à la foire. Plus le concert avance et plus la complicité entre la meneuse et le Motocultor devient évidente. À 16 heures 15, elle demande à la foule de faire sisitte. Raté. Si elle s’assoit, elle ne verra plus rien, voyons ! Elle préfère slammer. La sécurité est débordée. 16 heures 26 : « This is our last song! » Un circle pit se déclenche sur le flanc droit de la Mustage. Lena va au-devant de la fosse. Tout naturellement. Sous une marée de mains. « France! Pull it up!!! », dit-elle en secouant ses dreads jaune-orangées pour une ultime fois. Fin des secousses à 16 heures 32. Mince, ils n’ont pas joué « Mold », le morceau d’eux que je préfère. Je me répète que la vie de Lena mériterait d’ores et déjà un biopic. Pour information, Infected Rain sera la tête de gondole du Motocultor Across Europe Tour 2025, un warm up de quinze dates en janvier prochain à travers entre autres la France, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Bien vu. Bière avec mon petit Kiko. Qui prend un verre de blanc. Un autre pote de chambrée.
J’avais assisté au show des Nova Twins sur la Mainstage 1 le dimanche du Hellfest 2019, en attendant Municipal Waste (en compagnie de Kiko justement). Force est de constater que tant le son que la maîtrise scénique des deux jeunes artistes se sont décuplés depuis. Il me semble que la parenté initiale avec RATM et Skunk Anansie s’est quelque peu effacée au profit d’une personnalité propre. Singulière. Une impressionnante puissance de feu. Le duo est désormais un tout autre groupe, dont la présence au Motocultor 2024 coule de source. À la fois autoritaires et suaves. Une nouvelle marée de mains bat le rythme sur fond de basse disto. Démonstration convaincante ! Le soleil pointe son nez à 18 heures 20 en même temps que 1914, son black à forte teneur historiciste.
J’enfile mon sweat-capuche Myrkur afin d’aller admirer justement (une fois de plus) Amalie Bruun, alias Myrkur. Il est 19 heures 11 et un vrombissement nimbe la Bruce Dickinscène. Précédée de peu par ses trois instrumentistes, la prêtresse danoise investit le chapiteau sous une ovation, ses yeux bleus barrés d’un épais trait charbonneux comme à l’accoutumée. Son sempiternel ventilateur est déjà en action, faisant voler ses longs cheveux blonds. La mésange BM commence son récital par deux extraits de Spine, son dernier album sorti l’an dernier. Le dansant « Like Humans » et le plus morose « Mothlike ». Elle est chez elle. Elle se met à genoux, drapée dans sa longue robe noire, avant de regagner son clavier. À 19 heures 23 survient un pudique « Thank You!!! Thank You So Much!!! » Elle boit une gorgée d’eau en bouteille et entame quelques notes au piano : c’est « Spine », toujours issu du dernier album. Plus black sera le quatrième morceau, épique même. Viking. C’est « Valkyriernes sang ». Conquérant. 19 heures 40 : nouveau « Thank You ». La liste des chansons semble à ce stade privilégier le très récent, aucune chanson folk (« Folkesange »), comme au Hellfest de 2022. La voix d’Amalie est splendide, magnifiée par la sono de la tente, peut-être davantage qu’à l’Alhambra il y a quatre mois… 18 heures 48, Amalie annonce finalement « une chanson folk ». C’est, me semble-t-il, un titre de Folkesange paru en mars 2020 (pile à l’entame du confinement, oui…), celui où sa voix en introduction se révèle des plus chamaniques. Primal. Pagan, en définitive. Cristallin, magique. « Thank You, You Are Amazing, We Have One More Song For You, I Don’t Wanna Leave… » Et c’est le sinueux et torturé « Ulvinde » (« louve » dans la langue de Jacques Trémolin). Mon morceau favori préféré d’Amalia, celui que j’écoutais dans les rues de Copenhague en janvier 2022, est restitué live à 19 heures 55 devant une assemblée happée. Un art à la fois lourd et léger. Danois. Scandinave. « Thank You » à 19 heures 58 avant la coupure définitive et brusque de son (magnifique) son. Yann, du groupe de trve metal dunkerquois the Lost, me questionne à distance sur le contenu de la setlist ; je lui réponds qu’elle n’est pas si différente de celle de sa récente tournée. Merci de toutes façons Myrkur (« Thank You »).
« – ANR : Je te posais la question en sachant que j’irai voir les deux (NB : KK’s Priest et Judas Priest)… À ce propos : KK’s Priest n’a toujours pas programmé de date en France ?!?- AJM (NDA : du tac au tac en opinant de l’occiput) : Il y en aura très bientôt, je le promets… » Le guitariste juvénile A.J. Mills a tenu sa parole donnée en septembre 2023 au nom de son combo puisque KK’s Priest, la formation animée par son mentor (et idole) K.K. Downing (bon sang, quelle est cette obsession des initiales chez les Anglais ?) en rupture de ban de Judas Priest, va délivrer à 21 heures sa deuxième performance française, la première ayant eu lieu le 9 juillet dernier à Aix-en-Provence. Par ailleurs, votre serviteur a lui aussi tenu parole, puisqu’il est allé acclamer Judas Priest en avril dernier et qu’il se tient présentement devant la Dave Mustage, théâtre de cet événement. Le convainquant « Strike Of The Viper » de KK’s Priest, figurant sur leur disque de 2023 et joué en troisième position, tient bien la route. Il rivalise toutefois difficilement à l’applaudimètre metal avec les classiques de Judas que sont « The Ripper » (1976) et « Night Crawler » (1990), et qui sont délivrés en quatrième et cinquième. Le public ne boude pas sa joie, un concert d’un simili Judas accessible et pêchu vaut finalement mieux qu’une visite chérot au musée. C’est incisif. À ce titre, une gentille bénévole nommée Clémentine me dit que certains arpèges lui évoquent ni plus ni moins que Slayer. À 21 heures 36, le mythique « Diamonds & Rust » (1977) est chanté a cappella par Tim « Ripper » Owens tandis que tombe la nuit. Splendide timbre. Et repris en chœur par l’assistance. Culte. Suivent l’hymne épique « Hell Patrol » (1990), la reprise de Fleetwood Mac « The Green Manalishi (With the Two Prong Crown) » (1977), l’intemporel « Breaking the Law » (1980) ainsi que (sur demande du chanteur à son boss de guitariste) « Sinner » (1977), tous impeccablement interprétés. Rutilant. Au total, huit morceaux et reprises de Judas. « Good Night! Thank You! » à 22 heures 03. Le renégat K.K. me semble avoir gagné son pari… Pas plus de trois minutes plus tard tonne « Pittsburgh » de the Amity Affliction, mon morceau favori (décidément, quel grand gâté !) des Australiens, est joué sous d’imposantes lumières bleutées. Je me dis que Joel Birch est un bon chanteur doublé d’un généreux frontman. Les sombres paroles (« It’s Like There’s Cancer In My Blood / It’s Like There’s Water In My Lungs ») me semblent plus marquantes que jamais en cette nuitée finistérienne. Un étonnant duel (involontaire et pacifique) est alors enclenché à distance entre les pimpants metalcoreux et les Tunisiens de Myrath, dont le metal orientalisant semble remporter le match à l’applaudimètre. La Massey Ferguscène déborde en effet de populace !
À 23 heures 01, la foule impatiente n’en peut plus d’attendre Opeth. Les Suédois cérébraux attaquent dans la minute qui suit sous les vivas et des bravos. Ils sont en terrain conquis. La première prise de parole de Mikael Åkerfeldt n’a lieu qu’à 23 heures 20, avec un « dense » et amusant « On s’appelle Opeth » (humour de progueux). Puis d’annoncer « You Suffer », leur fameuse reprise de Napalm Death… À mon grand dam, les deux derniers albums seront les oubliés de la setlist. Ultime et très long speech à 23 heures 55 pour annoncer « A One More Song, The Last Song », mais qui est « Quite Long » (humour de progueux). Triomphe final et rideau à 0 heure 13. Aura Noir et son black metal pétaradant aura donc eu la chance de clore ce bal pas tragique entre une et deux heures.
À vous Cognask-Jay !
Mes trois concerts persos vendredi 16 août 2024 :
- Myrkur
- Infected Rain
- KK’s Priest
Merci à Angélique Merklen pour la relecture.
Merci à Arnaud Dionisio pour le traitement de la photo de Myrkur (couv’).
Place maintenant au samedi les amis !