Motocultor – Samedi 17 août 2024 – « Bernard Super »

mardi/27/08/2024
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« Chamarré, ée – part. passé. (cha-ma-ré, rée) 1Garni de rubans et semblables objets. Des laquais chamarrés de livrées. [Hamilton, Mémoires du Chevalier de Grammont] 2 Fig. Style chamarré. Discours chamarré de grec et de latin. Chamarrée de tendresse et d’admiration. [Sévigné, 277] » (Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, 1873). Chamarré. C’est le mot qui m’est venu instantanément à l’esprit en découvrant, il y a quelques mois, tant l’affiche de ce Motocultor 2024 que sa sympathique charte graphique. Mises ensemble, ces quatre couleurs, criardes mais jolies (orange, bleu orgeat, fuchsia et or), résument à merveille l’esprit de ce festival, et (particulièrement) celui de cette quinzième édition. Comme un air de fête foraine. De train fantôme plus précisément. À n’en point douter, le running order de ce samedi 17 août en sera la quintessence, le concentré. Il s’annonce chamarré, coloré, bigarré, bariolé, surchargé. La journée qui s’annonce sera celle de Bernard Super, ou de Didier Minet… Les austères, pisse-vinaigre et autres snobinards peuvent aller se rhabiller : il est 9 heures du mat’, il fait beau sur le château de Kerampuilh et j’enfile mon T-shirt noir aux fins motifs bleu-vert de Jinjer !

Nous le savons désormais : les groupes et artistes belges représentent une force avec laquelle tout festival metal (ou autre) doit dorénavant compter. Le Motoc’ 2024 ne déroge pas à cette règle et nous propose de découvrir plusieurs groupes d’outre-Quiévrain. Dont Pothamus, un trio originaire de Mechelen (ou Malines), comptant Amenra, Swans, Heilung et Wardruna parmi ses influences. Il est 13 heures 27 sous la Massey Fergu, et un long vrombissement torturé précède les Flamands. L’assistance est attentive. Au sein d’un réceptacle placé en avant de l’estrade, de l’encens brûle. « Il va invoquer les esprits l’animal ! », raille un type de la sécu. Entrée des trois musiciens sobrement vêtus de noir, sous des applaudissements. Pieds nus, Sam Coussens, le filiforme chanteur-guitariste, se livre en prolégomène à une sorte de yoga ; son pied de micro faisant face, non à la salle mais au bassiste, donnant l’impression d’un tête-à-tête chamanique. Leur musique est lourde, incantatoire, le tom basse marque lentement la mesure. Au mitan de cette première réalisation, le chanteur dépose sa guitare afin de triturer son rack, haletant et les joues déjà roses. Achèvement de cette divination initiale à 13 heures 42, pas moins d’une douzaine de minutes. Le deuxième morceau est du même tonneau. Leur art est effectivement voisin de celui de leurs compatriotes d’Amenra, bien plus pesant que la musique des Bruxellois My Diligence, lesquels se produiront demain après-midi sur la Bruce Dickinscène. Jambe droite en avant et tête dans les nuages, Michael Lombarts, le bassiste, tangue lentement en rythme. La tente n’est cependant plus qu’à une moitié pleine à l’issue de cette deuxième démonstration ; l’autre moitié ne goûtant visiblement que modérément les circonvolutions post-metal des vlams.

Direction à présent l’imposant bâtiment Glenmor (baptisé ainsi en hommage à Glenmor (1931-1996) né Émile Le Scanff, un auteur-compositeur-interprète, écrivain et poète de langue française et bretonne), afin d’honorer mon interview-retrouvailles avec Madame Fernanda Lira de Crypta programmé à 14 heures 15. Dans la verte montée qui mène au spacieux catering, je croise Tainá et Jessica, les deux guitaristes brunes qui profitent de leur quartier libre pour flâner, habillées « en civil » (id est : autrement qu’en noir moulant). Notre quatrième entrevue avec l’adorable Fernanda fut davantage une gentille causette qu’une interview stricto sensu. C’était délibéré.

Sorcerer (à ne pas confondre avec un groupe de doom suédois) est une formation de hardcore en provenance de notre capitale. Sur le chemin, non pas de Damas, mais du pit photo, je rencontre non pas Saint Paul mais Christophe Darras du média Darras On The Loose. On se dit à tout à l’heure pour une Coreff. À 15 heures, un monumental fond sonore brise la voûte céleste bretonne. Il souligne l’arrivée des cinq coreux parisiens. Survient un larsen à la limite du supportable. Le chanteur hurle comme un perdu. Leur son se révèle très vite proche de la fusion. Une fusion pour le moins balèze, voire pachydermique. Concentré sur sa six-cordes orange, le guitariste me rappelle Tom Morello dans ses fulgurantes interventions. Il y a en tout cas une parenté dans l’inventivité. « Ce qui est bien ici, c’est que les gens t’interpellent et te félicitent quand ils aiment le groupe sur ton T-shirt », constate au VIP maître Darras devant sa Coreff. Bien vu, mon cher Christophe.

À 15 heures 45, sur la Bruce Dickinscène, c’est la récré Didier Super tant attendue ! Le Motoc’ est coutumier de ce savoureux mélange des genres (souvenons-nous du passage d’Henri Dès en août 2019…). « Mesdames et Messieurs bonjouuuuuur !!! Et quand on dit “Bonjour”, on répond “Bonjour Didier” quand on est poli !!! Et maintenant je veux qu’on m’acclame !!! »… Le ton est donné. Les cloches d’AC/DC puis un carillon d’alarme entament un pestacle placé sous le signe du metal artisanal. Presque punk. On n’est effectivement guère loin du barnum de Gogol 1er. « Tu as beaucoup de chance de m’avoir dans ce Hellfest bas de gamme !!! » C’est parti ! « Êtes-vous pour l’euthanasie du peuple polonais ?!? », interroge-t-il avant de présenter son groupe, les Sous-Marques. S’ensuit une reprise nihiliste d’« Il venait d’avoir dix-huit ans » composé par Pascal Sevran. La tente dégueule de monde jusqu’au abords. Didier tourne en dérision cette agglutination, avant de massacrer « Eternal Flame » des Bangles. Ce qui devait arriver arriva : à 15 heures 54, Didier Super se fait copieusement huer. « Vous pouvez gueuler, tout le temps que vous passez à vous plaindre c’est du temps donc votre argent de perdu !!! », avant de demander au public d’en appeler à une attaque islamique. Après les reprises hasardeuses et sciemment sabotées vient enfin une compo du Maître : « Debout chômeur ». C’est l’heure ! Scandée par ses trois choristes en tenue moulante orange fluo. Ambiance Hauts-de-France fièrement assumée, transgression non-stop. « Gaza, Gaza, c’est un peu moins touristique ! » Effectivement. Puis de s’en prendre aux jeunes keupons, qui feraient mieux de prendre leur carte au Parti socialiste. Bien analysé. « C’est du grand spectacle », s’amuse Hugo (de Redon), tricot de peau Gojira sur le dos. L’amuseur transgressif numéro un évoque ensuite le peuple d’Israël et l’Ukraine. N’en jetez plus !!! Fin du syndrome de Tourette à 16 heures 30 sur « La maladie d’amour » (de qui-on-sait). Tandis que les festivaliers hilares s’arrachent de la tente, la sono diffuse ironiquement « Quelqu’un m’a dit » (par l’ancienne première Dame de France). En revanche, l’olibrius à binocles n’a joué aucune de mes chansons favorites, à savoir ses classiques ravageurs des années 2000. Amis bretons, Didier Super en remettra une couche à votre attention le 14 septembre prochain à l’espace Kan ar Dour de Callac !

À 17 heures 30 : la file d’attente pour la dédicace de Bernard Minet (dans le cadre des Signing Sessions du Motocultor) est presque aussi longue que celle à la fin du concert d’AC/DC mardi dernier. Mais en cent fois plus sympa, et en mille fois moins anxiogène. Cette ferveur à l’égard du batteur des Musclés est incroyable mais vraie ! 18 heures, et c’est Crypta. La prestation des quatre Brésiliennes s’articule autour de leurs deux premiers albums studio parus en 2021 et en 2023. Pas de reprises, que ce soit de n’importe quel autre groupe et encore moins du précédent de cette boule d’énergie qu’est Fernanda Lira. Toujours au top. Mon cinquième concert de la tornade bienveillante, le deuxième avec la formation qu’elle créa en 2020. La liste des morceaux est donc peu ou prou la même qu’à Pigalle le 3 mai dernier. Tainá Bergamaschi confirme son statut de numéro deux du groupe, en tous cas scéniquement. Quelle prestance, quelle maîtrise instrumentale. Elle échange de temps à autre sa place avec sa comparse, la souriante et techniquement appliquée Jessica di Falchi. Tourbillon instrumental final à 18 heures 56 sur leur déjà classique (et magnifiquement construit) « From the Ashes ». Arrêt des hostilités latines à 19 heures pile. Qui a dit que les Brésiliennes ne sont pas ponctuelles ?

19 heures 07, vient le tour d’Exodus. Soit une petite heure de thrash metal old school, entamée sur leur standard de 1985 « Bonded By Blood ». Exodus aura réussi l’exploit de compter deux futures stars dans ses rangs : Kirk Hammett (Metallica) et Gary Holt (Slayer). Fidèle à son poste, Gary Holt est ce soir LA star. À 19 heures 48 résonne justement et pour quelques mesures l’intro de « Raining Blood », de son autre groupe depuis 2013, enchaînées à « The Toxic Waltz » de 1989. À 19 heures 54, le gueulard Steve Souza, particulièrement hirsute ce samedi, annonce : « We Got One More Song, Motocultor Are You Ready!?!?!? » Ultime et jouissive cavalcade sur « Strike of the Beast », leur autre standard de 1985. Les Virginiens font dans la foulée monter sur scène une véritable Baby Metal (protection auditive sur sa caboche de bambin) : « This Is The Future of Heavy Metal!!! » Clôture à 20 heures précises.

La sensation Broken By The Scream présente sa musique nipponne sur la Massey Ferguscène à 20 heures 07. Les petites sœurs de Baby Metal me semblent d’emblée bien plus musclées que leurs concitoyennes. Les accents sont mis sur le metalcore baston et le BM acéré. Derrière elles s’active en outre un vrai groupe musical, non de simples bandes. Leur chorégraphie est parfaite. Il s’agit là d’un divertissement et non d’une profession de foi musicale. C’est précis, calibré, tiré au cordeau. C’est plaisant. Ces quatre danseuses me font penser à Necronomidol, une formation quasi-similaire, un autre groupe d’idoles (comme on dit) inspiré par l’esthétique black metal, que j’avais vu à l’été 2018 au musée Jacques Chirac (à l’occasion d’une exposition intitulée « Enfers et fantômes d’Asie »).

Le lundi précédant ce fest, je m’étais amusé à poster sur mon Facebook la version « metal » du générique de l’inénarrable « Denver le dernier dinosaure » telle qu’adaptée par le Bernard Minet Metal Band (qui d’ailleurs n’avait pas été interprété par Bernard Minet à l’époque, mais par Peter Lorne) ; « Ce dilemme. Bernard Minet ou Jinjer… », avait commenté illico presto l’affable et avisé Julien Meurot, qualifiant ensuite ledit dilemme de « cruel ». C’est indubitable. Le choix à effectuer en ce début de soirée est tout aussi ardu que, par exemple, celui entre the Amity Affliction et Myrath hier. Pire même. Cornélien. Un duel entre le régressif et le progressif. Oui. Je procède en définitive à un arbitrage digne de Lionel Jospin circa 1997-2002 et décide de couper la poire en deux. Je vais donc me débrouiller afin de voir une moitié de chaque. À 20 heures 42, des extraits sonores du dessin-animé « Ken le survivant » chauffent l’assemblée (« Tu es déjà mort »). Ça commence à brailler « Bernaaaaaard !!! » dans la salle. Le test des micros sert d’amuse-gueule à ce public affamé. Le soundcheck se fait sur le générique épique d’« Olive et Tom » (qui n’était pas, non plus, à la base interprété par Bernard Minet mais par Jean-Claude Corbel). Des minots (des vrais) sont présents aux premiers rangs. Avec leurs grands enfants de parents. À 20 heures 56, la tente scande à présent « Bernard !!! Bernard !!! » comme pas deux. À 21 heures est diffusé un mix de ses plus fameux génériques dont « Le Collège fou fou fou » (dont le 45 tours m’a été dédicacé par la vedette plus tôt dans la soirée, aux bons soins de Julien Meurot). Le chanteur-batteur de soixante-dix balais déboule comme une fusée sous un monticule d’applaudissements. « Vous êtes parfaits, voici pour vous la chanson de Bioman !!! Salut bande de taréééééés !!! » C’est en fait la parodie des Inconnus de 1990 que ce taquin Bernard nous chante là…. je vois cela telle une marque d’humilité et d’autodérision. Puis il nous joue la célébrissime sienne (« Moitié homme, moitié robot / Le plus valeureux des héros / Bioman / Bioman »). L’artiste déborde d’énergie, ses baguettes en mains afin d’effectuer de temps à autre des roulements sur un tom de couleur noir disposé sur le côté droit de l’estrade. Il croque à pleines dents son triomphe. Assise en tailleur à l’extérieur de la tente, une métalleuse prénommée Katell chantonne « Nicky Larson » avec bonheur. Elle me dit, des étoiles dans les yeux, que c’est toute son enfance et qu’elle connaît tous ses génériques par cœur. Il est 21 heures 17, et il est temps, hélas : je m’esquive, tandis que le générique des deux champions de foot (« Captain Tsubasa », en version originale) est attaqué façon épique par ce bon Bernard

« Les quatre du Donbass lorgnent ouvertement sur les USA (ce qui ne manquera pas d’alerter Vladimir Poutine) des années 2010 », écrivait-je le 24 octobre 2019, soit la veille de la sortie mondiale de Macro, le quatrième album studio (le meilleur à ce jour) de Jinjer. Depuis, nul ne l’ignore, beaucoup de choses sont arrivées tant aux jeunes artistes qu’à leur infortunée mais valeureuse contrée. 21 heures 30, toute de rouge vif vêtue, et apprêtée telle une impératrice romaine, Tatiana Shmayluk chante « Retrospection » à la nuit tombante. La fraction la plus metal du fest se trouve présentement réunie devant la Dave Mustage. Il est ardu d’accéder aux premiers rangs. Même la grande estrade du VIP qui surplombe le site est blindée. Tout le monde veut admirer. Tati tonne, et le Motoc en redemande. « On the Top » est joué à 21 heures 44, l’Ukrainienne vitupère comme jamais. Nous avons affaire à une des rares rock stars made in années 2020. Passant sans transition du graveleux au mielleux, celle-ci nous vient directement du Donbass. Quelle voix ! « Thank You So Much France, This Is Our Last Song », prévient-elle, avant d’en finir à 21 heures 58 sous des spotlights rougeoyants. Il est maintenant 23 heures 03 et Architects dévoile ses plans metalcore sur la Dave Mustage. Son hymne d’ores et déjà intemporel « Animals » est assené en clôture à minuit trois. Un concert de facture internationale. Indéniablement. Je reste pour Aborted qui enchaîne sur l’autre scène principale. Il fait frais, voire froid. Leur livraison de death grind (ou l’inverse) est peu ou prou similaire à celle de mars dernier au Backstage By The Mill. Quoi qu’il en soit, le bon gros moshpit réchauffe les couche-tard.

À vous Cognask-Jay !

 

Mes trois concerts persos samedi 17 août 2024 :

 

  1. Jinjer
  2. Crypta
  3. Didier Super

 

Merci à Angélique Merklen pour la relecture.

 

Place maintenant au dimanche les amis !

Motocultor – Dimanche 18 août 2024 – « Kenavo Odile ! »

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