Monster Magnet au Trabendo le 30 septembre 2024

mardi/01/10/2024
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« Avec une discographie et une production de plus en plus ingénieuse et relativement accessible, Monster Magnet se retrouve propulsé au-devant d’une scène heavy rock internationale : exposition sur MTV (le single » Negasonic Teenage Warhead » en 1995), qui annonce le sommet commercial de Powertrip (« Space Lord »), et des tournées des arenas, avec pour conséquence un burn-out artistique autour des années deux mille (..) Derrière, la redescente est abrupte : assez vigoureux pour s’offrir une troisième partie de carrière intègre, Wyndorf recycle son propre rock garage psychédélique » (J.C. Desgroux, Stoner : Blues for the Red Sun, Les mots et le reste, 2019, pp. 98-99). Il y a cinq ans de cela, lorsque je qualifiais en ces colonnes de « dense grimoire » l’ouvrage duquel les précédentes lignes sont extraites, je ne flagornais point, puisque cet emprunt résume adéquatement en une poignée de phrases l’identité, ainsi que la carrière en forme de thèse-antithèse-synthèse, d’un authentique et incontournable démon du stoner. Au passage, Émile Littré définissait en 1864 « grimoire » par « Livre des sorciers pour évoquer les démons »… Cela tombe bien, le combo fondé en 1989 à Red Bank par le sorcier David Albert Windorf célèbre les trente-cinq balais de cette carrière par une expédition de vingt-six cérémonies sur notre vieux continent, laquelle transitait par la cité de Sainte Geneviève ce lundi de la Saint Jérôme 2024. Pour ma part, je n’avais pas vu Monster Magnet en concert depuis 471 jours, soit 1 an, 3 mois et 13 jours, à savoir depuis le samedi 17 juin 2023 à 21 heures 45, soit le troisième soir de mon neuvième Hellfest et leur quatrième passage. C’est du moins ce que me signale mon « Atomic Clock ». J’ai hâte !

Si le rock est mort, comme l’écrit désormais Eudeline, certains de ses membres bougent encore, ceux notamment situés aux extrémités, façon pattes d’araignée arrachées. Afin d’observer ce phénomène, il convient entre nombreux exemples de se rendre à la Temple ou à la Valley. Ou ce soir au Trabendo. Mon pote Rémi (vous savez, celui qui aime bien le Shining suédois) s’est garé dès 16 heures 30 au 132 sur l’avenue Jean Jaurès. Dans le patio sur les coups de 19 heures 30, nous discutons avec le photographe Moland Fengkov, l’homme qui voudrait que la Valley du Hellfest devienne un état indépendant… En parlant photos, il n’y a pas de pit ce soir… Vaille que vaille…

Le 9 septembre dernier, Daily Thompson ne cachait pas sa joie sur sa page Facebook de « support these legends Monster Magnet on their whole european tour », ajoutant avec entrain : « We are so happy to bring the Chuparosa vibes across this continent! ». Formé fin 2012, Daily Thompson (nom choisi en référence à Dailey Thompson, un natif de Notting Hill, devenu il y a plus de quarante ans un des plus grands décathloniens de tous les temps) a intitulé un de ses disques de rock stoner / grunge « God of Spinoza »… Pour cette seule et unique raison, le trio allemand emmené par le guitariste Danny Zaremba et la bassiste Mercedes Lalakakis n’a nullement usurpé son titre de « Special Guest » sur ce tour, non ? Spinoza affirmait que Dieu et la nature sont essentiellement la même chose, et j’affirme à mon tour que Daily Thompson est un groupe intéressant… 19 heures 59, les trois investissent l’estrade. 20 heures : « Salut Paris » nous lance Mephi. Elle a les cheveux bleu-vert et de chouettes tatanes argentées toutes neuves. C’est la sixième date, mais le premier concert de cette copieuse tournée où les originaires de Dortmund sont chargés d’assurer la première partie. Les protégés de Brant Bjork ont droit à seulement vingt-sept minutes de temps imparti. Ce n’est pas besef. Assez pour se familiariser avec leur façon de jouer sur scène, inspirée par Kim et Thurston. Publié le 15 mai dernier, Chuparosa leur sixième album a été enregistré à Seattle. Cela s’entend et se voit. Nous avons affaire à un groupe grunge sous forte influence Sonic Youth. Quelques larsens involontaires. La joie de jouer, et certainement celle de se produire en première partie de Monster Magnet est perceptible. Débordante même. Leur single « I’m Free Tonight » sera joué en avant-dernier. 20 heures 20 : « This is our Last song, thanks for having us » nous dit Mephi. Et de clore sur « Chuparosa », leur récente ballade aux accents Foo Fighteriens. Tiens, Luc Frelon de FIP a lui-aussi répondu présent, à l’image cette soirée de nombre de connaisseurs parisiens et français…

Nous nous sommes postés au premier rang, Rémi au centre-droit (comme Méhaignerie) votre serviteur au centre-gauche (façon Robert Fabre) Les mots ayant un sens, mon pote a pris en photo la setlist posée sur la scène juste devant lui, pour m’aider pour mon report, et me l’envoie via WhatsApp : elle indique un programme composé de onze morceaux (dans l’ordre « Dopes », « Tractor », « Superjudge », « Orb », « Negasonic », « Zodiac », « Twin Earth », « Ego », « Bummer », « Spine » et « Space Lord » en rappel). Miam ! Passionnant, en dépit du fait que tout va tourner autour des quatre premiers albums (à l’instar des dates précédentes). À 21 heures les lumières s’éteignent, est diffusé la bande sonore faite d’aboiements de loups. D’emblée le public est captif, prêt à passer un excellent moment. 21 heures 03, précédé de ses musiciens, le ténébreux Dave Wyndorf va chamaniser le Trabendo. Souriant, le gourou prend place sous une ovation, s’assoit sur son tabouret, et attaque le show sur « Dopes to Infinity ». Premier et évident constat : la voix du ténor stoner n’est clairement pas au top. Le groupe s’arrête à 04. « Ma voix est atteinte » s’excuse-t-il mollement. Le groupe réattaque sur « Tractor ». Les musiciens mobiles font le job et vont au-devant des premiers rangs. Sur le flanc gauche en face de moi, le guitariste Phil Caivano donne absolument tout. Entre deux effets de manche, il regarde inquiet son chanteur. Dont les yeux sont mi-clos. Au Hellfest d’il y a un an, Wyndorf nous affirmait être « Alive in 2023… » : ce n’est objectivement pas ici le cas. Il a une tête de déterré et semble lutter contre lui-même. Envolés ses légendaires « Yeah! », primaux et dopés à la high energy, à faire passer Lenny Kravitz pour Marie-Pierre Casey. Au fil des minutes, le malaise devient de plus en plus palpable. Puis « Spine of God » est poussivement égrené en version longue, très longue. Pénible. Mon regard croise celui de Wyndorf, celui-ci est complètement éteint, visiblement souffrant. 21 heures 24, il se lève difficilement, souffle comme harassé, et quitte son tabouret. Ses acolytes font de même. 21 heures 26, ne demeure plus qu’un sinistre larsen. Qu’un roadie interrompt sur le champ en éteignant l’ampli. « Ça sent pas bon » constate un spectateur au deuxième rang derrière moi. Evidemment. C’est affreux, épouvantable. Venu au monde le 28 octobre 1956, et venu à la musique par le punk de la fin des années soixante-dix (son premier groupe se nommait Shrapnel), David Wyndorf fêtera ses soixante-huit automnes dans moins d’un mois. En tout état de cause, il n’est pas au mieux de sa forme (euphémisme). Sifflets du public, puis (dans un premier temps seulement) positives acclamations. Ça gueule « Monster, Monster !!! », puis très rapidement « Remboursez, remboursez !!! ». À la française. Un roadie débranche finalement l’Epiphone noire de l’infortuné chanteur. Jets de gobelets. Un gugusse chipe les médiators Dunlop jaunes collés au pied de micro. La sécu intervient. Elle descend dans le public. Nous assistons en direct à une catastrophe. La tension est réelle. Le concert est officiellement annulé à 21 heures 35, les spectateurs seront remboursés assure un homme qui prend la parole. Les lumières se rallument. Cette soirée septembrale de commémoration aura donc tourné court.

« Le public s’est mal comporté, quand tu as un artiste avec cette carrière, tu le respecte » me dit Rémi, mécontent de la réaction de certains. « Je suis un peu déçu, même s’il n’avait plus de voix, ils auraient pu faire au moins quelques instrus… » me confie Mitcho, le guitariste des Locomuerte présent dans la salle. « I’m Pissed Off !!! » peste enfin (et à raison, on le comprend sans grand effort…) Phil Caivano descendu saluer des fans. Pour ma part, je n’avais jamais assisté à pareille déconfiture (certes, à des problèmes ponctuels dus au public, comme à Lou Reed à Nice en 2000, ou techniques comme peut-être Oasis à Paris en 2009, mais jamais à une annulation en direct). La page Facebook de desert-rock.com avait effectivement fait mention d’un Wyndorf « malade et diminué » à Bilbao le 27 septembre, mais qui avait assuré le concert, idem à Kentish le 25. Il n’est, en effet, pas dans le même état qu’au Hellfest 2023. J’apprécie Monster Magnet depuis 1995, du temps où leur clip psychédélique était diffusé chaque soir avant (ou après, je ne sais plus) Beavis & Butthead, et j’espère simplement et sincèrement que le dernier acte de la palpitante mais sinueuse carrière du monstre magnétique ne s’est pas joué ce soir à Paname.

 

MAJ : le concert du lendemain à Cologne a bien eu lieu.

Post-scriptum : le présent compte-rendu marquait à mon compteur mon trois-centième papier pour Art’n’Roll. Bazar de Grumlot, et merci de votre soutien !

Merci également à SLH Agency.

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