Chronique de Taïpower Metal

mercredi/23/10/2024
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Auteur : Damien Bianco

Titre : Taïpower Metal

Éditeur : Éditions Corentin Charbonnier

Sortie : novembre 2022

Note : 16/20

 

Été 2024. Mon ami David effectue un crochet afterwork à la Terrasse de la Sybille, dans l’optique de me rendre le hoodie de Myrkur que j’avais oublié dans son Alfa Romeo le lundi du Hellfest. Bon ami, il profite de sa venue afin de m’offrir un opuscule coloré, intitulé « Taïpower Metal », subodorant que celui-ci ne manquerait pas de piquer ma curiosité. Le blaze inscrit en bas de la couv’ attire aussitôt mon attention : « Éditions Corentin Charbonnier ». Je méconnaissais cette autre activité de l’infatigable docteur en anthropologie (Le Hellfest : un pèlerinage pour metalheads, sa thèse soutenue à l’Université de Tours en 2015 sous la direction d’Isabelle Bianquis-Gasser, a été publiée en 2016), enseignant, conférencier, intervenant de renom (il était avec Milan Garcin co-Commissaire de l’exposition METAL – Diabolus in Musica organisée cette année à la Philharmonie de Paris), théoricien (l’ouvrage collectif French Metal Studied : approches différenciées des acteurs et des publics, réalisé sous sa direction, a été chroniqué début 2021 en ces colonnes), et même photographe. Ce ne serait, en fait, que le seul livre publié à ce jour par la maisonnette d’édition du Chérien. Sorti à l’automne 2022 (mais cette rubrique est plus que coutumière des chroniques tardives…), il s’agit d’un roman signé par Damien Bianco, professeur de français langue étrangère à Lille et musicien metal occasionel (guitare dans un groupe de grind en France, chant dans une formation de power à Taïwan), lequel assurait encore tout récemment (début septembre) la promotion de son bébé désormais âgé de deux ans à la librairie Le Pigeonnier, l’unique librairie française et francophone de Taïpei. Signalons, à des fins d’exhaustivité, que l’entraînante préface (titrée « Viens on fait un film ?! ») est écrite par son ami de longue date Julien Goebel (le coordinateur des markets du Hellfest et du Motocultor, et co-Directeur de French Metal Studied cité supra).

L’incipit, le style, le décor, le personnage principal nous parlent d’emblée, avec familiarité. Angers, un vendredi soir à la mi-saison, peu avant le confinement, un metalleux (tendance death et veste à patchs, « Canal historique » donc…) de 29 ans prénommé Antoine vient tout juste d’achever une énième mission à la noix. Passionné par l’histoire, l’art et par « les choses de l’intelligence » en général, Antoine souhaiterait mettre à profit la période de chômage qui s’annonce afin d’écrire un livre. Grâce à l’héritage de sa défunte grand-mère, il compterait aussi « acheter une maison, fonder une famille tout ça ». Antoine connaît Boris Vian, et est capable de chantonner en imitant plus ou moins bien Magali Noël. Provincial, débonnaire, en quête d’absolu : oui, Antoine pourrait être un de nos potes metal ! Il a d’ailleurs, lui-aussi, un bon pote metalleux depuis le collège, qui se prénomme Johnny, et qui morfle d’ailleurs de se prénommer Johnny. Ensemble, ils se rendent au T’es Rock Coco rue Beaurepaire, puis s’en font dégager après la fermeture (d’un unique coup de pied aux deux derrières). Ainsi prend place ce qui ressemble fort à une joviale version angevine de Wayne’s World, agrémentée de répliques et de situations à la Margerin 1977-1986. À ceci près que la ronronnante trame empreinte d’humour typiquement metal franchouillard va brusquement s’emballer aux alentours de la quarantième page…

Damien Bianco a enseigné le FLE à la faculté de Taïpei durant des années. C’est aussi (entre autres choses) un fin connaisseur de la culture locale tant antique que contemporaine et (évidemment) de la scène metal insulaire. Fasciné par l’œuvre d’Alexandre Astier, il est en outre féru de cinéma comique français, de mangas (Dr Slump et Dragonball effectuent de furtives apparitions dans l’histoire), mais aussi de philosophie, ainsi que de théologie. Ce potentiel rutilant est mis au service d’un narratif amusant et d’une intrigue fort peu commune. Maboule même, lysergique par moments, et des fois magique. Le style d’écriture est fluide, vivant. L’air moite et compact, l’intersection de Jiantan (« une bonne demi-jauge de la scène Altar du Hellfest est là à attendre pour traverser la route »), les gaufres en forme de pénis, le tofu puant aphrodisiaque, le taï-chi du matin, la Dame de Réponse Illuminée et de Spiritualité Bienveillante, la guitare du mec de Deicide, Mo-Tseu et l’amour universel, le t-shirt « Dance Machine 2 » et tant d’autres visions captivantes, immergent le lecteur 231 pages durant au sein d’un mémorable, permanent et réjouissant crossover entre le metal et l’Asie de l’Est (« Tout ce petit monde se met alors à danser sur ce mélange improbable de death metal et de musique rituelle taoïste »). Seule critique (mineure) : le déroulé événementiel semble par moments davantage confus que confucianiste (il faut s’accrocher pour suivre : j’avais vers la fin l’impression d’être dans les saisons 2 et 3 de Robotech)…

Quoi qu’il en soit, cette expédition loufoque ne manquera pas de raviver au lecteur initié quelques souvenirs émus de son premier voyage en Extrême-Orient. Mais peu importe finalement que l’on apprécie ou non la culture metal, et que l’on connaisse ou non Formose, cette sympathique odyssée s’adresse potentiellement à un assez large lectorat. Les deux protagonistes sont aussi attachants que ne le furent en leur temps Michel Blanc et Gérard Lanvin (ou Bernard Giraudeau). De même, la couverture du bouquin fait un tantinet penser à l’affiche des Beaux gosses de Riad Sattouf. Un je-ne-sais-quoi de Very Bad Trip, par ailleurs, dans le scénario… À l’instar (prenons un exemple, assez évident et commode) d’un Corentin Charbonnier, Damien Bianco fait partie de ces esprits hexagonaux qui sont en train de sortir le metal de sa stricte logique musicale et communautaire ; il est (volontairement ou pas) de ceux qui vaquent à lui conférer un supplément d’épaisseur culturelle, et (encore) davantage de reconnaissance extra-muros. Cette démarche, nous le savons, est souvent sujette à débat parmi nous. Quoi qu’il en soit, ce serait ballot de se priver d’un iconoclaste et instructif périple en Eastern Asia en compagnie d’Antoine et de (ce gros lourd de) Johnny…

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