C’est avec « un peu de retard » et mes sincères excuses que je vous diffuse l’itw de Reuno, chanteur de Lofofora, faite au Festival 666. Ceci est malheureusement dû un à souci technique de notre matériel audio mais un magicien de mon entourage a fait des miracles! Bonne lecture à toutes et tous!
Art’n’roll : Salut Reuno, merci à toi d’avoir accepté cette interview. Je suppose qu’on te pose toujours les mêmes questions
Reuno : Oui mais je ne réponds jamais la même chose (rires)
Art’n’roll : Vous êtes une figure emblématique de la scène française. Pour ceux qui ne vous connaissent pas encore, peux-tu me refaire un petit point sur la formation de ton groupe ?
Reuno : Donc Lofofora c’est un groupe de rock fortement imbibé dans le punk/rock et dans le métal. La formation est la même depuis une quinzaine d’années maintenant avec Phil et moi-même à la basse et au chant. Nous on est d’ailleurs là depuis le début, depuis environ 35 piges en fait. Ça fait bizarre de le dire, c’est une vie 35 ans. Et il y a Daniel à la guitare, qui est avec nous depuis 20 ans et Vincent à la batterie depuis 15 ans. Et donc là on va sortir notre 11e album, on a des paroles en français. On est un groupe un peu rentre-dedans, on ne fait pas vraiment de la musique extrême mais on a une espèce de rock bien patate. Quand je croise du monde, des voisins qui me demandent ce que je fais comme musique, je leur réponds que je fais du rock fâché. Histoire de situer le truc quoi ! Voir du rock très énervé parfois (rires)
Art’n’roll : Bon tu as anticipé sur la prochaine question (rires) mais bon tout va bien t’inquiète ! J’allais justement te demander si après plus de 30 ans d’existence et déjà 10 albums à votre actif, quel allait être la différence de ce 11e album qui va sortir ? Sera-t-il dans la même lignée que les précédents ?
Reuno : Forcément on a évolué sur certaines choses, j’ose l’espérer en tous cas. Il y a sûrement des formulations dans mes premiers textes que je trouve un peu naïves, des idées que je ne défendrais plus de la même manière peut être aujourd’hui. Mais tu vois sur l’écriture du nouveau disque, je n’ai pas voulu vraiment, comment dire, me prendre la tête, mais trop justement partir dans des trucs trop alambiqués et j’avais envie de rester dans une énergie assez punk justement. Tout en méfiant de la force du slogan parce que c’est un peu trop facile, trouver les 3 – 4 mots d’un seul coup tu vois. On est trop dans une époque où les idées voyagent plus par les slogans que par les gens qui ont l’occasion de développer leurs propres idées et ça je le déplore. J’essaie de ne pas trop m’y livrer dans mon écriture.
Art’n’roll : Depuis le départ, quelles ont été les influences qui vous ont amenées à devenir ce que vous êtes aujourd’hui ?
Reuno : C’est plus de courants musicaux tu vois. A la base, avec Phil, quand on a monté ce groupe au début des années 90, on venait vraiment de la scène punk, et en même temps on venait de recevoir aussi tout ce qui était la version américaine du truc, c’est-à-dire le hardcore, avec des groupes comme Black Flag, Bad Brains,… qui avaient une violence supplémentaire. J’ai toujours été plus inspiré par le punk rock américain des Ramones ou de Dead Kennedys, que des Clash par exemple. J’ai toujours beaucoup plus aimé ça, toute cette scène, cette vague hardcore américaine des années 80, qui est arrivée quelques années plus tard en France, c’était vraiment notre première influence mais en même temps arrivait le Hip-hop et quand Public Enemy a sorti « Fight The Power », moi ce morceau ça m’a mis sur le cul, je me suis ça c’est bien plus violent que ce que font les punks français aujourd’hui, qui étaient dans le ronron de l’alternatif, même les Béru qui étaient un groupe respectable mais pour moi c’était un peu trop premier degré, ça me dérangeait quoi. J’aimais bien le sarcasme de Dead Kennedys plus que le premier degré des Béruriers Noirs. Ce sont ces groupes-là qui nous ont influencés, et puis après le son s’est un peu métallisé, comme par exemple avec un groupe, Helmet, qu’on a pu connaitre qui n’a jamais eu la reconnaissance publique mais ils font partie des grosses influences du groupe à un moment donné, dans l’approche tout ça. Et dans la façon d’écrire, avant de découvrir le punk / rock quand j’étais gamin, j’avais découvert Hara Kiri, le professeur Choron, tous ces mecs-là, et Jean-Marie Gourio, ça reste mes maitres à penser, c’est une espèce d’irrévérence à toute épreuve. Ces gens-là ne respectaient rien ni personne et c’est pour ça qu’on les aimait. Je trouve ça bien les gars qui sont capables de tirer sur tout le monde y compris sur soi-même en faisant preuve d’auto-dérision. Et je dois dire qu’aujourd‘hui une chose qui m’inspire énormément c’est le combat féministe dans plusieurs formes, je crois depuis toujours à la convergence des luttes. Quand j’ai découvert le punk rock, pour moi c’était une musique où les gens de n’importe quelle orientation sexuelle, de n’importe quelle origine ethnique, ce n’était pas un sujet de conversation. Et aujourd’hui pour le côté féministe, il y a plein de femmes que je trouve très très inspirantes.
Art’n’roll : Au fil des années, avec tous les changements qu’a connu le monde musical, comment vous êtes-vous adaptés pour garder le cap ?
Reuno : Ben peut-être parce qu’on est restés des petits cons, y’a des opportunités où on nous a dit « tu ne veux pas faire un duo avec untel ou machin » « tu ne veux pas écrire une chanson pour… « ben non quoi. Peut-être qu’on aurait été plus vite plus loin si on l’avait fait mais on aurait duré moins longtemps, je ne sais pas et on ne s’entendrait peut-être pas aussi bien aujourd’hui et ça pour moi c’est l’essentiel. C’est cool d’avoir de quoi vivre dans la vie mais moi je me satisfais de peu et je préfère ça que de courir après mon ombre et m’embrouiller avec mon entourage. Être calife à la place du calife, je n’en ai rien à carrer.
Art’n’roll : Comment s’est passé la composition du nouvel album ? Et son enregistrement ?
Reuno : Ça a pris beaucoup de temps parce qu’on est un groupe, une bande de copains, que quelqu’un peut avoir quelque chose à faire dans sa vie, on est à des âges où les parents peuvent avoir besoin d’aide. Donc on a pris du temps sur cet album et on s’est dit qu’on allait faire moins d’albums maintenant qu’on en a déjà fait, il ne faut pas se leurrer et que je trouve franchement détestable tous ces groupes qui font un petit album tous les 4 ans pour faire leur 2 ans de tournée et qui n’ont finalement plus rien à raconter. Je ne citerai aucun nom (rires) Après, moi c’est perception que j’ai des choses, du moins si le public est content c’est très bien comme ça… On ne fait pas du Lofo pour faire du Lofo, on ne fait pas notre setlist d’après nos vues Spotify ou le classement des écoutes. Quand on fait une setlist on part un peu de l’ambiance du nouvel album et on voit quel morceau on a envie de jouer, les 5 morceaux les plus écoutés sur Spotify, on ne les joue même pas je crois, on s’en carre. Notre truc c’est de prendre du plaisir à faire ce qu’on fait et comme nos concerts on les pense comme des moments de partage, ben ce plaisir on a l’audace d’espérer qu’il est communicatif (rires). Plutôt que de faire un truc sur demande, il n’y a pas d’étude marketing ou quoi.
Art’n’roll : La pochette de l’album est assez surprenante !
Reuno : Oui c’est moi qui l’ai faite
Art’n’roll : Qu’est-ce que ça représente exactement ?
Reuno : Alors ça représente un cœur dessiné de manière un peu organique transpercé d’une flèche, généralement c’est une carte dans les tarots espagnol je crois, un truc comme ça et je la trouve très belle cette carte. Il est transpercé d’un barbelé aussi et d’une kalachnikov, d’une épée de croisé et d’un cran d’arrêt. Pourquoi on fait ça nous, pourquoi on fait cette musique là c’est parce qu’on a des petits cœurs fragiles et qu’on ne veut pas se laisser faire et que parfois j’ai souvent l’impression que mon cœur ressemble à celui-là en effet.
Art’n’roll : Dans le clip « La Machette », le discours et les images sont pleines de sens symbolisant la colère sociale actuelle. Comment avez-vous eu cette idée pour le mettre en vidéo ?
Reuno : C’est flippant hein ? Mais c’est plein d’absurdités en fait, nous on a besoin de ça pour la scène punk avant tout, et moi je serais toujours du côté de l’auto-dérision punk que de l’héroïsme métal, tu vois le côté un peu épique… C’est le réalisateur Romain Pernot qui nous a proposé ça. Quand il m’a dit « on va te mettre en homme politique » j’ai trouvé ça tellement décalé par rapport au texte, j’ai trouvé que c’était un petit coup de génie. Il est très très bon ce jeune homme. Pour la petite histoire, ils sont bons dans la famille, nous on en aime au moins deux, c’est le frangin d’Olivier, le chanteur-guitariste de Pogo Car Crash Control en fait. Olivier c’est quelqu’un qu’on adore.
Art’n’roll : Avez-vous eu un retour sur l’impact du clip ? Le message est-il passé comme vous le souhaitiez ?
Reuno : Alors moi je ne sais pas. Phil, lui, il a lu les commentaires sur Youtube, moi j’en lis un peu. VinVin, lui il les lit et ça le fait rigoler, et Phil il a envie de sortir une batte de baseball. Quand tu as l’occasion de voir le compte d’une personne qui te chie dessus et que tu vois que le mec il est CRS ou un truc comme ça, ou qu’il partage des trucs du genre il suit le compte de Bardella, etc… tu fais, pfff, qu’est ce que tu fous là franchement. Après t’as des trucs qui tombent dans les algorithmes, et puis c’est ça, les gens, maintenant on a 9 milliards de critiques littéraires, musicaux, de philosophes aussi, de tout quoi. Les gens s’y connaissent en tout maintenant donc ils donnent forcément leur avis, c’est tellement intéressant quoi. Warhol parlait de ça par exemple, les 15 minutes de célébrité et je pense qu’on est complètement là-dedans. Et d’ailleurs à propose de Warhol, je vous conseille parce que pour moi ça a été un des trucs les plus forts que j’ai vu, essayez de voir le film de Ovidie, sur la femme qui voulait tuer Andy Warhol, Valérie Solanas et c’est la femme qui a tiré sur Andy Warhol, il a failli en mourir et après il n’allait plus bien du tout. C’est un film ultra puissant je vous le conseille fortement.
Art’n’roll : C’et noté Merci à toi !
Art’n’roll : Comment vous sentez-vous ici aujourd’hui sur le Festival 666 ?
Reuno : Ben là je viens juste d’arriver donc je ne peux pas trop savoir, j’ai juste posé mon sac dans la loge, je n’ai pas encore fait le tour. J’étais d’ailleurs au Sylak la semaine dernière, c’est aussi un peu dans cet esprit là il me semble. Il n’y a qu’une seule scène, j’ai vu Electric Wizard, la cérémonie c’était génial. En arrivant ici, j’ai regardé mon téléphone et j’ai un copain qui me demandait si j’étais perdu dans la campagne, un pote qui vient du sud de Bordeaux et qui m’a dit qu’ici c’était un super festival en tous cas. Il aime lui quand c’est à la bonne franquette. Je pense qu’on va bien s’amuser.
Art’n’roll : Pour terminer, quels sont vos projets dans les jours, les mois à venir ?
Reuno : Ben un peu de vacances, et on sort l’album le 4 octobre. On va tourner un deuxième clip qui va sortir à peu près en même temps que l’album. On doit le tourner mi-septembre, un truc comme ça. Et on va reprendre la tournée fin septembre, voilà. Une semaine avant la sortie de l’album, on sera sur les routes et on a beaucoup de dates qui arrivent, moi je suis toujours le premier étonné de ça, de savoir que les gens veulent nous voir encore. Ça fait vraiment hyper plaisir. Mon tourneur ça le fait marrer quand je dis « Putain on a tout ça comme dates ! les gens ils nous veulent encore ? » C’est super motivant et stimulant, moi ça me donne envie de dire qu’on ne les a encore pas déçus, donc je n’ai pas envie que ça arrive cette fois. C’est aussi simple que ça.
Art’n’roll : Je crois que ma collègue Virginie a une question à te poser
Art’n’roll (Virginie) : Voilà durant le Hellfest, je n’ai pas vu beaucoup de concert car je bossais à la tente presse avec Elo mais j’ai quand même eu vent de votre prestation en plein week-end électoral. Et justement je me demandais, vous avez fait un show, vous avez fait parler de vous quand même. A quel moment vous avez choisi de faire monter les FEMEN sur scène et après comment vous avez vécu le bad buzz, est-ce que ça vous a fait marrer ? Est-ce que vous vous en foutez ?
Reuno : Alors en fait il n’y a pas vraiment eu de bad buzz….
Art’n’roll (Virginie) : Ben si les journalistes de réseaux se sont lâchés, ils ont trouvé ça déplacé
Reuno : Oui mais on les emmerde
Art’n’roll (Virginie) : Alors qu’est-ce que tu as à dire à ces gens-là ? C’était la fin de ma question.
Reuno : Ce que je veux leur dire… Arrêtez de vous prendre pour le nombril du monde et moi quand je compare le peu de bad buzz qu’on a eu par rapport aux dizaines de messages qu’on a eu principalement de filles et de femmes qui nous disaient « merci pour ça, tu m’as fait chialer dans le pogo » ou des trucs comme ça….
Art’n’roll (Virginie) : Mais pourquoi vous avez décidé de faire ça ?
Reuno : Ben en fait c’est aussi simple, tu veux l’histoire de l’histoire ? Personne ne le sait encore à part mes copains de Lofo.
Art’n’roll (Virginie) : Ah une exclusivité !
Reuno : Quand on nous a proposé de jouer au Hellfest, pour moi, c’était non en fait. Je pense que je n’ai rien à foutre là-bas en fait.
Art’n’roll (Virginie) : Ah d’accord
Reuno : Je pense vraiment que je n’ai rien à foutre dans cet endroit-là déjà pour le côté mercantile qui est abusé, leur truc c’est de toujours faire plus de monde et pas de faire un meilleur festival au niveau de la programmation et de la découverte, malgré les dizaines de groupes de hardcore, de métal qu’on a avec des femmes, avec des gens issus d’ethnies différentes, c’est toujours les mêmes groupes qui passent, tu vois, le seul groupe que j’avais envie de voir c’était GEL et je crois qu’ils jouaient le samedi à midi, alors que partout sur les festivals en Europe en ce moment, ils ont des places beaucoup plus importantes. Parce que c’est un putain de festival de ringards en fait le Hellfest et par donc ce côté où tu as des gens qui font une demi-journée de queue pour aller acheter leur t-shirt à 35 boules, tu peux pas acheter autre chose qu’une pinte à 8 euros si t’as soif, tu vois tout est fait pour te faire dépenser ton pognon et puis ce que vous ne voyez pas au-dessus, c’est que tu as des gens avec leurs t-shirts Muscadet, ce sont les partenaires et les banquiers, qui sont sur des espèces de terrasses avec leurs ombrelles, t’as des nanas qui passent pour les asperger avec de l’eau fraiche, quoi, voilà ce que c’est le Hellfest. Là, la contre-culture elle est dans ton cul tu vois, non enfin pas le tien hein ! (Rires)
Art’n’roll (Virginie) : Merci ! (Rires)
Reuno : Mais tu vois ce que j’ai appris, c’est qu’ils ont construit un aussi grand parking qu’à Eurodisney, à Clisson ! Sauf qu’à Eurodisney, (je ne suis pas pro Eurodisney tu imagines bien) ça fonctionne toute l’année. Eux ils ont condamné des tas de champs et de terres agricoles, et l’hiver quand il pleut t’as la merde des festivaliers qui remontent au milieu des vignes, ça personne n’en parle. Et quand on sait comment ont été traitées toutes les histoires de VSS, quand t’as Ben Berbaud, y’a deux ans, on lui parle de faire venir Johnny Depp, il répond « ben non moi j’ai vu personne taper sa femme « , ça m’a fait penser à la cousine Villemin « Patrick l’a pas tapé « tu vois ! Mais c’est le même quoi ! J’ai eu cette image là immédiatement dans la tête et cette année qu’est-ce qu’il dit ? « Ben ouai on a fait une appli Hellcare » en fait c’est de la merde, ça ne marche pas tu vois, non non elle ne fonctionne pas, y’a un problème de localisation, donc en fait tu peux dire ouai y’a une personne qui se fait agresser mais tu tombes dans un central et après faut qu’ils retrouvent des gens qui te retrouvent toi pour les amener. Bref, ils ont voulu avoir une appli à eux plutôt que d’acheter un truc qui marche déjà, tu vois ce que je veux dire. Et puis voilà il peut filer 5 000 000 d’euros pour planter des arbres au Salvador ou au Costa Rica, bref super le greenwashing, un peu cher mais bon qu’il s’occupe plutôt des terres pleines de merde de ses festivaliers quoi ! Et la manière dont les VSS ont été gérées, il a fallu qu’il y ai une histoire de plainte contre le machin pour qu’on apprenne que finalement dans les premières éditions y’avait déjà eu un viol avéré avec une condamnation etc…, une histoire dont on a pas entendu parlé et ils n’ont pris aucunes mesures ! Je veux dire tu as un festival comme le Cabaret Vert à Charleville Mézières, tu rentres et même avant t’as des messages sur les réseaux, t’as des messages là-dessus, et aussi à l’entrée. T’as des comportements qui sont tolérés mais on ne veut pas de gens racistes, on ne veut pas de ceci, on veut pas de cela. Ce n’est pas une baguette magique hein ! Enfin voilà….
Art’n’roll (Virginie) : Bon on te remercie pour ta présence et on va finir la conversation en aparté car on doit laisser la place.
Reuno : Merci à vous