Auteur : As I Lay Dying
Titre : Through Storms Ahead
Label : Napalm Records
Sortie le : 15 novembre 2024
Note : 17/20
« Il a fait retirer loin de moi mes frères ; et ceux qui me connaissaient se sont fort éloignés de moi. Mes proches m’ont abandonné, et ceux que je connaissais m’ont oublié » (Job, 19:13 et 19:14). Nul doute que Tim Lambesis, diplômé d’études en religion de la Liberty University et chrétien pratiquant précédemment revendiqué, a dû récemment et douloureusement se remémorer ces deux versets plaintifs de l’Ancien Testament. Ceux où le pauvre Job se retrouve (à tort ou à raison) seul. Car, sidéré, le Monde libre apprenait dans la soirée du 24 octobre 2024 l’annulation de la grosse tournée automnale (et subséquemment du concert au Trianon de Paris le dimanche 8 décembre) de la formation metalcore As I Lay Dying, crée par Lambesis en 2001. Ainsi, qu’ô stupéfaction, des défections simultanées du bassiste et chanteur Ryan Neff, du tour-manager Alex Kendrick, des guitaristes Ken Susi et Phil Sgrosso ainsi que (nous ne sommes plus à cela près…) du batteur Nick Pierce. Le tout à pas moins de trois semaines seulement du coup d’envoi de ladite tournée à Würzburg le vendredi 15 novembre, mais surtout de la publication le même jour chez Napalm Records de leur huitième album studio. Les trois derniers sbires mentionnés plus haut motivant leurs départs par la volonté de se garder d’une ambiance du genre toxique. Les musiciens avaient pourtant rejoint As I Lay Dying il y a peu de temps (en 2022).
J’ai eu beau chercher (et même solliciter de l’assistance culturelle, débonnaire et mémorielle auprès de mon bon pote Rémi), je n’ai guère trouvé de précédent peu ou prou similaire et éloquent. Des albums sortis après séparation du groupe, oui (Let it Be…) ; des line-up à géométries invariablement variables, certainement (le Deep Purple seventies, le Sab’ des eighties, sinon Whitesnake) ; des capitaines abandonnés une poignée de mois (Delain) ou davantage (Nervosa) après parution d’un LP, effectivement ; des leaders monomaniaques de la solitude des cimes (Nine Inch Nails, voire Mustaine), c’est sûr ; et même, des artistes qui cassent leur pipe deux jours après la parution de leur ultime opus (Bowie)… Mais jamais au grand jamais de chef esseulé à trois petites semaines seulement d’une sortie mondiale pour le moins attendue (« Poised to be one of the most highly-anticipated metal comebacks in years » nous disait à juste titre le dossier-presse ; single mis en ligne il n’y a que cinq mois « Burden », totalisait à ce jour 1,1 million de vues sur YouTube)… De plus, pas moins de cinq années nous séparent déjà de Shaped by Fire, la dernière livraison des vedettes San Diégoises, une somme qui était elle-aussi (et pour d’autres raisons) nimbée d’un climat de rédemption et de renaissance… Car en effet, Lambesis nous assurait vaille que vaille dans un communiqué du 4 novembre dernier qu’As I Lay Dying n’allait pas mourir (« As I Lay Dying a été fondé sur la persévérance et la détermination »), assurant en conséquence vouloir « reconstruire une équipe » (et même créer un environnement « positif et créatif »).
Through Storms Ahead (« Des tempêtes à venir ») s’annonce d’ores et déjà comme un des albums les mieux nommés de l’histoire du metalcore, du metal et même de l’histoire du rock tout court… Et dans l’immédiat, se pencher sur ce disque consistera à exhumer le travail d’un collectif fraîchement disparu (et qui plus est, éphémère…). Une première. La sombre et volcanique pochette ne me semble pas à première vue des plus originales : elle s’inscrit adéquatement dans la lignée des huit précédentes du rocambolesque combo ; et pour cause, puisqu’elle a été signée par Corey Meyers, l’artiste attitré du groupe, jusqu’à présent responsable de leurs artworks. Elle m’évoque Le Pont du Diable charentais, de nuit : une imposante roche située sur une des péninsules de la commune de Saint-Palais-sur-Mer (qui me foutait les miquettes gamin…). En parlant de diable, celui-ci se cache présentement dans un détail : le nom du groupe est inscrit en énorme, en vingt fois plus gros que le titre du disque, afin de (je suppose) notamment souligner que le pluriel l’emportait alors sur le singulier… Cette prometteuse somme est introduite par un apaisé mais épique instrumental d’une minute vingt (« Permanence »). La marque des grands albums (« The Ides of March » de Maiden par exemple). Through Storms Ahead frappe fort et d’emblée à ce perpétuel exercice de style instrumental et vocal que constitue le metalcore. « A Broken Reflection » s’avère un excellent, car intense et à la fois technique, archétype du genre. Les intitulés des morceaux sont courts, évoquant (comme d’accoutumée) la souffrance psychologique, le rejet, la désillusion, les cauchemars… Le As I Lay Dying de 2024 ne souhaitait pas visiblement renouveler les canons du genre, mais impose sans coup férir un son puisant et indéniablement contemporain.
Les manettes ont été confiées au jeune architecte Hiram Hernandez (qui est également crédité en tant que compositeur, notamment sur « The Cave We Fear to Enter ») associé au guitariste Phil Sgrosso (As I Lay Dying perdant de facto un autre atout…), Aaron Chaparian (Bleeding Through, Cultist, Malevolent, ainsi qu’une bonne vingtaine de jeunes talents metalcore, deathcore et assimilés) était quant à lui au mixage. Tout le monde était au top à son poste sur ce disque, et semblait jouer à l’unisson. La voix de Tim me rappelle celle de Randy Blythe (Lamb of God). Les guitares sont bien bonnes et intelligentes (« Whitewashed Tomb », « Through Storms Ahead »). Certains solos de Ken Susi sont tout proprement fulgurants, à l’image de celui de « Burden ». Les « clean vocals » assurés par Ryan Neff sont invariablement agréables, avec toujours cette volonté de toucher vocalement l’horizon…. Il y a même un featuring : le lourd et lancinant « We Are The Dead », convoquant ici les chanteurs Alex Terrible (Slaughter to Prevail) et Tom Barber (Chelsea Grin, Darko US, Lorna Shore). En définitive, et ironie du sort, Through Storms Ahead dégage tant une forte impression de maestria musicale que de cohésion humaine. Cet attachant et puissant disque pourrait tout à fait être offert à un ami qui ne connaît pas le metalcore, afin de lui faire découvrir un univers insoupçonné. On ferme les yeux et imagine sans peine la tonne de moshs, circle pits et autres walls of death qui pourraient être aisément générés par ces morceaux de bravoure. A présent, ne reste plus qu’à Lambesis de reconstituer dans des délais raisonnables une équipe apte à restituer sur scène ces onze méritoires efforts. Un indice : le dimanche 10 novembre 2024, As I Lay Dying annonçait figurer à l’affiche du Welcome to Rockville Festival qui aura lieu du 15 au 18 mai 2025 à Daytona Beach (en compagnie de Killwitch Engage, Jinjer et Butcher Babies)… Quoi qu’il en soit concernant cet LP : Good Job!