Auteur : Dayal Patterson
Titre : Black Metal : L’évolution du culte
Éditeur : Camion Blanc
Sortie : septembre 2020
Note : 19/20
Dans le vieux Vaux-le-Pénil se trouve une librairie qui se distingue de par la qualité de son catalogue. De temps à autres, mes parents s’y rendent afin de me faire cadeau d’un bon livre. Pour Noël, mon anniv’, la Saint-Romain ou comme ça, en l’honneur de rien. Les petits cadeaux nous le savons entretiennent l’amitié, mais aussi l’esprit de famille, quel que soit l’âge du loupiot. Certains de ces cadeaux ont d’ailleurs été chroniqués en ces colonnes (de tête, par exemple : Dans les coulisses de Metallica, offert par mon père il y a désormais plus d’une décennie). Cette épatante librairie pénivauxoise commercialisant, sans surprise notable, le mirifique catalogue des éditions Camion Blanc, ma mère m’avait fait cadeau un samedi soir de 2018 de Black Metal – The Cult Never Dies – Volume 1, un ouvrage de référence portant sur la musique la plus extrême de toute l’histoire. Comme ça. Merci Maman.
L’auteur de ce travail on ne peut plus pointu est un Anglais du nom de Dayal Patterson. J’ai découvert que ce journaliste chez Metal Hammer avait auparavant publié un encore plus retentissant Black Metal : L’évolution du culte, l’ayant propulsé en 2013 au firmament des scribes metal. Il se trouve que ce bréviaire a été retranscrit dans la langue de Julien Doré en 2020 par mon amie Angélique Merklen, sous l’égide des publications du Crépuscule, une émanation de Camion Blanc. La Madame de Staël de la traduction et de la correction des bouquins rock-metal m’a d’ailleurs récemment écrit qu’il s’agissait là d’un bouquin « excellent (disons que je le trouve excellent) plein d’esprit et très plaisant à lire (et à traduire) ». Comme l’affirme de son côté, et à raison, Patterson dans le premier paragraphe de sa courte introduction : « le black metal se révèle être sans l’ombre d’un doute le rejeton du heavy metal le plus exaltant, le plus vital, et celui qui pousse le plus à réfléchir. Véritablement tenace, c’est une bête aux multiples facettes, férocement conservatrice au départ et pourtant courageusement novatrice, qui vient indéniablement des tripes mais qui peut aussi être profondément cérébrale. Cette combinaison de qualités primaires, philosophiques, spirituelles, culturelles et artistiques permet à ce courant musical de transcender jusqu’à ses propres controverses fascinantes pour devenir l’une des formes les plus prolifiques de musique actuelle ». Concluant ce qui s’apparente à un brûlant manifeste, à faire pâlir tout situationniste ou fluxiste, par ces mots : « Si vous n’êtes pas d’accord avec cette déclaration, raison de plus de lire ce livre ». C’est fait.
Ce monument de 630 pages écrit serré s’articule autour de cinquante chapitres. J’ai eu beau chercher, je n’ai trouvé nulle concordance symbolique à un tel chiffre. Trente-huit d’entre eux portent le nom d’un ou de plusieurs groupes de BM, ordonnés en fonction de leur apparition historique (le premier, est bien entendu intitulé « Venom », l’ultime « Lifelover »). Qu’il soit initié ou non, le lecteur devra se régaler de visions cauchemardesques particulièrement détaillées. Celles, principalement de : Mercyful Fate, Bathory, Hellhammer, Celtic Frost, Samael, Rotting Christ, VON, Beherit, Mayhem, Burzum, Emperor, Gorgoroth, Marduk, Dissection, Watain et même celles de Cradle of Filth et de Dimmu Borgir (dans deux chapitres malicieusement sous-titrés : « L’Entrée du Black Metal dans le Mainstream »). Oui, un chapitre sur Satyricon manque étonnamment à l’appel.
Une dizaine de chapitres sont davantage d’essence thématique : le 7 aborde la connexion du BM avec les borborygmes initiaux de légendes du thrash (Sodom, Kreator, Destruction, Slayer, Sarcofago…), les 11 et 12 sont consacrés aux formations cultes issues des pays de l’ex-bloc soviétique (Tormentor et Master’s Hammer), le 31 disserte sur « L’Éthique Underground », tandis que les 39, 40 et 41 questionnent les liens entre « Folk et Folklore dans le Black Metal ». Le chapitre 32 honore quant à lui la scène française, « l’une des plus respectées au monde », plus précisément il évoque l’intriguant collectif dénommé « Les légions noires » (LLN). Ma chronique ne souffrant de nulle censure, sachez que le chapitre 36 est intitulé « Politique, Pologne, et la Montée du NSBM » (la misanthropie revendiquée conduisant parfois à des formes plus radicales d’intolérance), chapitre qui offre à Patterson l’occasion de procéder sans complaisance à un état des lieux exempt de sensationnalisme… Un travail systématiquement exhaustif, remarquable. De ce fait, les analyses de l’auteur sur le post-black metal (chapitres 49 et 50) seront attendues par les connaisseurs avec l’impatience de Gérard Larcher guettant l’heure du goûter…
Puisque le black metal est sans nul doute le rejeton le plus virulent et outrancier du rock’n’roll, le plus sujet à polémiques et à exécrations, certains passages choqueront un public non-averti. Puisque Spinal Tap n’est jamais très loin lorsqu’il est affaire de hard rock, d’autres lecteurs s’amuseront du potentiel grotesque de nombreuses situations. Puisque des pans entiers de cette musique tutoient indéniablement le cérébral et l’artistique, moult développements donneront sans nul doute matière à réflexion aux plus ouverts. Encore moins facile d’accès que le rond-point des Champs Élysées en douze tonnes un vendredi soir vers dix-sept heures, le genre black metal nécessite d’impérieux éclaircissements, si ce n’est une initiation en bonne et due forme. Black Metal : L’évolution du culte répond à cet impératif. Ce précieux grimoire constitue le fruit d’années et d’années de labeur solitaire, consigné « entre 2009 et 2013 dans diverses régions de Norvège, du Brésil, de Turquie et d’Angleterre ». Il s’agit de l’œuvre d’un fanatique devenu chroniqueur puis passeur. Certaines de ses remarques et prises de position ne mentent pas, et trahissent indéniablement le puriste. Bien entendu, Patterson est proche de son sujet, mais il sait adopter le recul propice afin de le traiter honnêtement.
Nous sommes en présence de l’ouvrage définitif sur la chapelle en flammes. La rectitude théorique et le factuel fouillé y cheminent main dans la main. Tout y passe, et tout se tient : de la paternité de Black Sabbath et de KISS (pour le maquillage des premiers groupes scandinaves) au baptême du genre par Venom, puis la création du « personnage black metal » ainsi que l’influence de Ian Gillan sur King Diamond, de l’invention du viking metal par Quorthon à la mère de Tom G. Warrior trafiquant les objets précieux au cimetière de Ross Bay, de la formation de Beherit lors du festival du cercle arctique de 1989 au dernier acte d’Euronymous quatre ans plus tard, en passant par l’arrivée en 1994 de Sarcana dans Gehenna (et par là même d’un élément féminin dans ce brutal panorama), sans oublier l’impossible Niklas Kvarforth créant Shining à l’âge de douze ans (après que sa grand-mère lui ait montré « sa collection de disques de groupes comme Burzum »)… Ainsi prend place une myriade d’histoires atrabilaires, lugubres et captivantes, qui se suivent et s’imbriquent impeccablement sous la plume de l’infatigable Patterson (et de sa traductrice).
Cette somme indépassable, à la fois odyssée de la pénombre, route de la soie noire et puits de science occulte, se parcourt avec la même ardeur que Blood Fire Death : l’histoire du metal suédois (narrée par Ika Johannesson et Jon Jefferson Klingberg, et chroniquée en ces colonnes en 2023), dont il s’avère être le pendant, le complément idéal. Illustré de-ci de-là (ainsi que dans un cahier central de pas moins d’une soixantaine de pages) par de rares clichés et documents tels : Steve Warrior, de Hellhammer portant un t-shirt d’Exploited en 1983 ; une interview de Quorthon pour le fanzine Kick Ass en 1985 ; Manheim, Necrobutcher et Euronymous lors de l’une de leurs premières photos en studio en 1986 ; Euronymous photographié à Helvete par le tabloïd norvégien Verdens Gang en 1993 ; divers extraits de l’Aftenposten et du Dagbladet (les quotidiens norvégiens de référence) à la même époque ; Darkthrone en concert à Oslo en 1996 ; le Flyer de la tournée britannique Fear of a Black Metal Planet, associant Emperor à Cradle of Filth ; une des premières photos promotionnelles de Burzum montrant Varg Vikernes dans la peau de l’obscur Count Grishnackh…
Black Metal : L’évolution du culte revêt subrepticement des atours de guide, de manuel. Un manuel dense mais lisible, instructif, cohérent, complet et grouillant. Pour ces raisons, il ne se traversera jamais d’une seule traite. Gardons à l’esprit que, de ceux apparus au cours des années 1980, le black metal demeure le sous-genre hard rock le plus polymorphe (« Qui aurait pensé que le black metal et l’ambient pourraient être mêlés, par exemple ? » dixit Tom G. Warrior de Celtic Frost), créatif et innovant (comme nous le rappelle le titre du livre), intègre (« Si les « traîtres » provoquent le mépris au sein de l’underground de tout sous-genre, qu’il soit musical ou autre, les cercles black metal élèvent ce dégoût au rang de forme artistique ») et certainement le plus pensif de tous. Jadis uniforme, le BM est aujourd’hui fragmenté (symphonique, indus, expérimental, folk…), des fois arty, sans tout à fait être devenu fréquentable. Enfin, on apprend en page 24, de la bouche de Cronos lui-même, que « Countess Bathory » de Venom n’était en fait qu’une pompe du générique de notre Manège enchanté national… Mensongère ou véridique, affabulation ou révélation, cette effroyable affirmation justifie à elle seule la lecture de ce must. Kvlt.