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Chronique de Wanna Be Your Skydog : Les Diggers & Tony Marlow rendent hommage à Skydog

jeudi/27/02/2025
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Auteur : Collectif

Titre : Wanna Be Your Skydog : Les Diggers & Tony Marlow rendent hommage à Skydog

Éditeur : Camion Blanc

Sortie : 19 décembre 2024

Note : 18/20

 

Pourtant méconnu du grand public, Marc Zermati fut et demeurera une des grandes figures de l’histoire du rock français. À l’annonce de son décès le 13 juin 2020, je m’étais dit (en toute sincérité) que j’aurais mieux fait de solliciter une interview plus tôt… Je regrette de n’avoir été en mesure de rencontrer une si forte tête doublée d’un incontestable esthète. Car, il est indéniable qu’il y avait matière à, ce méditerranéen volubile était précédé d’une réputation aussi controversée que gironde. Wanna Be Your Skydog : Les Diggers & Tony Marlow rendent hommage à Skydog vient salutairement forer dans cette généreuse veine. Ce travail collectif est divisé en trois parties. Une suite de chroniques de disques sur environ deux cent pages. Puis Rhetoric K.O., cent soixante-dix pages de l’« Interview fleuve de Marc Z menée par les deux Patrick, le Bainée et le Cazengler ». Enfin, trois annexes : « Z comme Marc Z. » (extrait du Petit Abécédaire de la Crampologie, paru chez Camion Blanc en 2016) ; « Adrien c’est pas rien » (Kro du Mystère Yves Adrien, par Cédric Bru) ; « Vox : Kim Fowley » (publié en 2015 dans la revue Dig It!, numéros 64 et 65).

Comme écrit supra, Wanna Be Your Skydog est un ouvrage « collectif ». Le foreword est signé par le guitariste Tony Marlow, ami de longue date de Zermati. La préface est de Dinah Douïeb. Les textes composant la première partie sont écrits (« présentés » est le mot) par : Vox, Jacques Ball, Patrick Bainée, Patrick Foulhoux, Laurent Bigot, Alain Feydri, Tony Marlow et par Patrick Cazengler « le loser ».

L’avant-propos de Tony Marlow souligne l’importance historique de « Je Chante Le Rock Électrique » d’Yves Adrien, paru en janvier 1973 dans Rock & Folk. Ce manifeste est concomitant de l’ouverture de l’Open Market par Zermati, sa boutique mettant en pratique une vision idoine du rock, privilégiant « l’urgence, le sexe et l’électricité, et qui va changer la vie de beaucoup d’ados de l’époque ». Il relate sa rencontre avec lui vers 1975. Marlow déplore enfin que « comme tous les découvreurs utopistes, Marc ne récoltera jamais les fruits de son activisme. En France, beaucoup lui mangeront dans la main avant de lui tourner le dos une fois
devenus riches et célèbres ».

Dinah Douïeb plante le décor, et nous rappelle que l’histoire de Marc Zermati prend sa source dans l’Alger de la fin des années cinquante. Celle des « vinyles laissés en héritage par les soldats américains ». Marc Zermati est un « Pied-Noir Juif Situationniste », qui « participe à cette effervescence dans les rues des villes, dans les cafés, dans les cabarets, bien avant que tout cela ne se transforme en cauchemar quand éclate la guerre d’Algérie ». Exilé en 1961 à Nice, « Révolté dès son arrivée en France contre De Gaulle et son gouvernement, Marc chercha à transcender cette révolte ». Son exutoire était tout trouvé, il vient justement d’éclater à la face de l’Occident. Sont ensuite résumées de façon exhaustive (non, ce n’est pas un oxymore) les temps forts d’une trajectoire avant-gardiste hors norme : dandy puis mod, ami du fils Senghor, acteur de l’underground français, il fonde en 1971 à Amsterdam son label indépendant Skydog.

En 1972, ce visionnaire truculent inaugure son légendaire Open Market, au 1, rue du Roule, puis l’Open Market 2 rue des Lombards à Paris. Cette échoppe devient immédiatement le bastion d’« une tendance dure du rock’n’roll », fréquentée par le gratin y correspondant. Il s’associe en 1974 à Bizarre Distribution, le premier distributeur indépendant d’Angleterre fondé par Larry Debay, et créé la même année Skydog Management, une société d’organisation de concerts. La turbulente venue des New York Dolls à l’Olympia sous l’égide de RTL (j’ai le pirate depuis plus de trente ans), puis le show mémorable du Bataclan, c’était lui. Le pressage et la commercialisation du disque Metallic KO, le fracassant et ultime live d’Iggy and the Stooges capté en 1973 et 1974 au Michigan Palace de Detroit, c’était encore lui.

Le punk n’est pas encore venu au monde que le spectre de Zermati plane déjà au-dessus de son couffin. Après « le premier festival de rock proto-punk au Havre », il créé le premier Festival Punk de Mont-de-Marsan en 1976, puis le second en 1977, deux événements au retentissement historique. S’ensuivent les trois « nuits punk » qu’il organise au Palais des Glaces le 28 mars 1977, ainsi que la première tournée hexagonale de The Clash. Sa consommation de dope, les mutations du show-business et la fin d’une certaine conception du rock’n’roll (comme mode de vie) ne lui seront en rien profitables. Dinah Douïeb achève sa contribution sur le DIY punk ainsi que sur l’émergence de « la consommation contre-culturelle », entendue comme « l’un des principaux moteurs de relance du nouveau capitalisme ».

Une fois ce nécessaire rappel effectué, les « diggers » (les animateurs du défunt fanzine toulousain Dig it!) rendent hommage « au plus underground – et donc plus prestigieux – des labels rock français, Skydog ». Celui symbolisé par Pluto aux commandes d’un avion. Vox nous délivre un dense et érudit article de cinquante-et-une pages intitulé « Sweet Punk Memories ». Un papier comme on n’en fait plus, évoquant moult raffinés souvenirs, notamment ceux des Dolls et de Johnny Thunders à Paris. Le reste des contributeurs se livre ensuite à une fine analyse du catalogue Skydog. On y retrouve des incontournables (les Flamin’ Groovies, Jimi Hendrix, Iggy & The Stooges, le MC5, Motörhead, Blue Öyster Cult), des combos nippons des années 2000 (Thee Michelle Gun Elephant, Guitar Wolf, et 54 Nude Honeys – le trio emmené par Kotome Miyabushi était un des rares groupes que j’ai appréciés au cours de cette décennie -), la sainte Trinité du pub rock (Tyla Gang, Eddie & The Hot Rods et Wilko Johnson), des raretés de la première vague punk (Asphalt Jungle, The Damned), du rockab’ (Rockin’ Rebels, Sugar Ray Ford, Tony Marlow), ainsi que des compilations un tantinet fouillies.

Cette première partie est ainsi consacrée à un exercice de style, celui de la chronique de disque. Certaines sont tellement détaillées et fouillées qu’il s’agirait davantage d’historiques rédigés par des connaisseurs que de simples chroniques. Celle de Jacques Ball sur les chaotiques Flamin’ Groovies est épique. Elle revient sur ce qu’on a appelé leur « période intermédiaire », du temps où la clique du dictatorial Cyril Jordan était convoitée et/ou éditée par Zermati. Onirique est le texte sur le bootleg Sky High de Jimi Hendrix commercialisé en 1972. Il s’agit presque d’une nouvelle, dans laquelle « l’avatar Vaudou de Jimi vient hanter Marc Zermati » dans l’optique de dézinguer la statue du Roi Lézard. Certaines plumes semblent jaillir de l’au-delà (« Alain Feydri présente : Damned. Help/New Rose. Skydog 1977 »), à tout le moins d’une époque rédactionnelle surannée, et bigrement excitante. Je n’en dévoile pas plus, trente chroniques de qualité supérieure sont à votre disposition. Fabuleux.

L’interview, non pas « fleuve » mais plutôt « Nil », ou si vous préférez « Amazone » (respectivement 6 718 et 6 500 km de longueur) de Marc Zermati, constitue la partie la plus vivante voire remuante de ce tribute (les universitaires emploient l’appellation « mélanges »). La plus intéressante aussi. De janvier 2017 à janvier 2019, « Assis dans son fauteuil, le dos à la fenêtre », le vieil homme livre sa vision des choses à Patrick Bainée et Patrick Cazengler. Tout y passe : l’inévitable dépassement de Rock & Folk, le mouvement des « baby rockers » (intrinsèquement lié au sujet précédent), le rock comme « truc d’importation » en France, le rôle des pieds-noirs dans l’arrivée du rock en France, la bande du Drugstore, le jazz, son anglophilie, etc. Marc Zermati nous dévoile son univers. Les échanges sont relativement pointus, l’interviewé connait (bien évidemment) sa vie ainsi que ses affaires, tout autant que ses deux interlocuteurs connaissent celles-ci. Cela engendre des échanges fluides et logiques, qui se parcourent aisément. C’est une discussion d’essence socratique, un quasi-monologue, plutôt que des interviews au sens strict du terme.

Tout apparaît comme simple. Marc Zermati parle de Sean Tyla comme on parlerait de Madame Michu qu’habite au troisième, et du modernisme des Who comme n’importe qui vous parlerait du 49-3. Sa vision du monde et du rock est définitive, précise, empirique, et sort pour le moins des sentiers ressassés. Entre autres exemples : Hendrix était « un punk cosmique » ; les grands tailleurs mods étaient des pieds-noirs ; il n’y a plus de « mouvements », puisque « toute la musique a déjà été faite, elle date d’avant » ; Hector (d’Hector et ses Médiators) etait « le seul punk français » ; les Damned s’intéressaient à la vague psychédélique (c’est sûr), et ne veulent pas qu’on le dise (pas si sûr) ; il vallait mieux Camus plutôt que Sartre… Sans oublier une palanquée d’anecdotes, indispensables ou non. En bref, de la matière première à foison. Trigger Warning : certains propos peuvent choquer, c’était aussi cela Marc Zermati. Lorsque les auteurs évoquent « une chevauchée fantastique à travers les thèmes, les époques et les fantômes », ils ont quoi qu’il en soit raison.

Comme le papier ciselé par Vox au début du livre, ses trois annexes se rattachent de façon périphérique au mythe zermatique. Dans l’extrait du Petit Abécédaire de la Crampologie, Marc Z. témoigne de ses relations avec les Cramps (période Bryan Gregory). Le texte de Cazengler sur Yves Adrien traite de son éternel complice (« le mage provocateur » et « le businessman passionné »), non de ce dernier. Idem, pour ce qui est du papier intitulé « Vox : Kim Fowley », consacré au créateur des Runaways, qui a « l’honneur de refermer le Skydog Book ». À l’instar des mélanges, qui consistent en un recueil d’articles sur des sujets divers, offerts par ses pairs et élèves en hommage à tel ou tel ponte ou mandarin, on considérera que les auteurs ont souhaité offrir un texte sur Kim Fowley en hommage à Marc Z. À davantage y réfléchir, Wanna Be Your Skydog n’est en définitive que cela : un mélange offert par ses disciples en mémoire du professeur Marc Zermati (1945-2020). Passionnant.

 

Le jeudi 6 mars se tiendra à 18 heures la soirée Wanna Be Your Skydog / À Marc Zermati, organisée à la librairie Parallèles (47, rue Saint-Honoré, 75001)

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