Auteur : Julien Debray
Titre : Bon Jovi : Blood on Blood une épopée du New Jersey
Éditeur : Camion Blanc
Sortie : 16 janvier 2025
Note : 17/20
Art’n’Roll partage motivations et valeurs avec les éditions Camion Blanc, en premier lieu la soif de connaître, l’éclectisme artistique et le refus des dogmes culturels. L’honorable institution dont le slogan est « L’éditeur qui véhicule le rock ! » a édité il y a deux mois Bon Jovi : Blood on Blood une épopée du New Jersey. Chroniquer cet ouvrage allait pour nous de soi. Avec entrain. Présenté en avant-propos, le projet de l’auteur, le musicien douaisien Julien Debray, se révèle des plus simples : celui-ci a découvert le groupe et son infatigable chanteur à travers la vidéo Bon Jovi: Live From London filmée le 25 juin 1995 alors qu’il n’avait que trois ans, achetée à sa sortie par sa maman, et qui a éveillé en lui « une véritable passion et une fascination certaine pour Bon Jovi, un groupe qui (l)’accompagne depuis (sa) plus tendre enfance et qui (l’a) conduit à travers plusieurs pays d’Europe pour assister à leurs concerts ». Hormis une désarmante sincérité, je relève à la lecture de ces paragraphes initiaux une relative différence d’âge. En effet, cinq jours après le show londonien précité, le néo-vingtenaire que j’étais avait assisté au concert de l’hippodrome de Longchamp en ouverture (exceptionnelle) des Stones. Avec son frère. Et tout seul le lendemain. Julien s’est rendu de son côté à son premier concert de Bon Jovi en 2008 à l’âge de quinze ans au stade Roi Baudouin de Bruxelles. C’est en italique qu’il nous narre cette expérience (en pages 433-435), ainsi que toutes les suivantes au fil des pages.
Julien nous retrace surtout la saga Bon Jovi sur 558 pages ordonnées en seize chapitres. Il se livre à cet exercice avec panache et force détails. Je me contenterai par suite de menues observations. La place de l’assez discret claviériste David Bryan Rashbaum est considérablement réévaluée à la lumière des faits. J’ignorais qu’il avait grandi avec Jon Bon Jovi, puis fait partie de son premier groupe. Tout comme j’ignorais que Snake Sabo (futur guitariste de Skid Row) était lui-aussi membre dudit groupe. Le récit est parsemé d’extraits d’interviews, de chroniques de disques et de comptes-rendus de concerts parus dans la presse spécialisée étrangère, ainsi que dans nos bons vieux Enfer Magazine, Metal Attack et autres Hard Rock Magazine. L’identité du signataire historique est à chaque occasion mentionnée, tel le sémillant Henry Dumatray lors du Palais des sports de Saint-Ouen 1989, la chronique de l’album solo de Richie Sambora en 1991, l’interview pour la promo de Keep the Faith (l’un des ultimes accordés à la presse hexagonale), ou encore la chro de cet opus en 1992. Cette démarche ne manque guère de saveur vintage. Outre une impeccable connaissance de la vie et l’œuvre des musiciens de Bon Jovi, affleure deci delà une empathie et même une certaine tendresse de l’auteur à leur égard. On appréciera les développements sur la genèse de Slippery When Wet, et sur le personnage de Desmond Child, ce redoutable faiseur de tubes des années 1980. Je méconnaissais, à ce propos, le fait que Jon Bon Jovi avait offert une chanson à Johnny Hallyday, qu’il avait rencontré lors d’une escapade promotionnelle en France (avec passage à Sacrée soirée) en octobre 1990.
Le propos est davantage d’ordre chronologique que théorique, quoique non dénué de recul. L’auteur resitue chaque événement dans son contexte. Il dispose pour se faire d’une solide culture générale et musicale (sur le hard rock des années quatre-vingt, mais pas seulement…). Son style rédactionnel est agréable, le vocabulaire est propre et adapté. Les setlists sont exhumées, décortiquées, comparées par le fin connaisseur qu’il est. Les dates des tournées, la discographie (notamment les faces B) ainsi que les chiffres des ventes et positions dans les charts sont également scrutés. On réalise d’ailleurs à quel point le groupe à truffé ses prestations et parutions de reprises tous azimuts. J’ai également constaté l’attachement de Bon Jovi (et de Richie Sambora désormais en solo) pour la Corée du Sud, une contrée souvent mise à l’écart des tournées mondiales. Je me suis souvenu que l’unique morceau « rock » que j’ai pu entendre au pays du Matin calme était « It’s my Life » (dans une publicité), témoignant ainsi d’une inhabituelle et singulière popularité dans un pays qui n’est pas « rock » du tout (mais alors pas du tout…). Sur un plan plus sociétal, la censure de la pochette sexy de Slippery When Wet, ordonnée en 1986 par une maison de disques ne voulant pas avoir à tenir tête aux activistes du PMRC, associations pudibondes et autres ligues américaines de vertu fait comme écho lointain aux controverses, injonctions militantes et prohibitions contemporaines entravant la liberté artistique actuelle. Par ailleurs, je ne savais pas à quel point les tournées 1987 et 1989-1990 avaient pu être éprouvantes, acculant les membres du groupe dans leurs ultimes retranchements physiques et psychologiques. Les coulisses du fumeux Moscow Peace Music Festival nous sont fidèlement retranscrites. On avait eu vent des inimitiés notoires et crises de jalousie entre les participants qui avaient émaillé cet événement monté de toutes pièces en 1989, mais aucunement avec ce degré de précision. Heureusement, les sessions d’enregistrement en 1990 de Blaze of Glory en compagnie de Jeff Beck, Little Richard et d’Elton John, nous renvoient une image plus positive du Star System.
Tout est abordé, rien n’est tabou. Je n’avais pas, par exemple, à l’époque capté que l’unique tournée française, organisée au printemps 1993, s’était soldée par un four (trois dates sur cinq d’annulées, une Halle Tony Garnier à moitié remplie…). Toutes les périodes de la longue vie de cette prospère formation sont traitées avec le même soin du détail, la même ferveur. Comment Donald Trump a, autre exemple, orchestré en 2014 une campagne indigne et intégralement mensongère visant à discréditer l’homme d’affaires Jon, qui était alors à la lutte avec lui pour le rachat de l’équipe NFL des Buffalo Bills… Bon Jovi : Blood on Blood une épopée du New Jersey est en définitive un ouvrage plaisant. Julien nous gratifie en annexes des « setlists françaises de Bon Jovi », allant du premier concert du 5 novembre 1984 (première partie de KISS au Zénith) à celui du 26 juin 2014 (Richie Sambora au Bataclan), incluant les passages radio et télévision et même le concert acoustique du Virgin en 1989. Sympa. En page 555, il dresse un état des lieux bibliographique : pour l’heure sept ouvrages de référence tous écrits en anglais. On en déduira donc que ce travail de calibre international est le premier rédigé dans la langue du vigneron Gérard Bertrand (l’associé français de Jon). Sincères félicitations. Un grand merci également à cette attachante bête de scène qu’est Jon Bon Jovi pour ces quarante années de célébrité, qui l’ont vu grandir, mûrir et vieillir dignement. À chacun sa performance : je suis, pour ma part, parvenu à scribouiller la présente chronique sans employer le mot « New Jersey »…