The Screaming Of The Valkyries sort ce vendredi 21 mars chez Napalm Records. Il s’agit du quatorzième album studio des Anglais de Cradle of Filth, depuis l’inaugural The Principle Of Evil Made Flesh en 1994. Une fois de plus, le dramatique y côtoie le sublime. Chaque morceau exhale malice, plaisir et onirisme. L’auditeur traverse cinquante-six minutes durant moult atmosphères, tour à tour lugubres, romantiques, nocturnes, victoriennes… Il n’y a rien à redire. Par la variété des ambiances, la justesse des compositions, la somptuosité des arrangements, et l’excellence de la production, The Screaming Of The Valkyries touche à la perfection. Pareillement raffiné qu’expérimenté, Dani Filth sait parfaitement s’entourer, et nous remet une copie pure et sans tâche. Le maître incontesté du black metal symphonique nous a accordé de son salon une interview visio la veille de la sortie de l’opus à treize heures vingt. Et sans problème de son cette fois-ci. Alléluia !
Dani Filth (Chant) : HELLO !
Art’n’Roll : Hello Mr Filth, tu m’entends bien ?
DF : Affirmatif !
ANR : Je te pose la question, parce que, notre précédente entrevue en avril 2023, avait été exceptionnellement perturbée par une panne de son… Je t’avais posé mes questions à l’arrache, écrites avec mon marqueur sur du papier A4… Je ne suis pas certain que tu t’en souviennes…
DF : (NDA : rire goguenard) Ouais, ouais, je m’en souviens, ouais !
ANR : Ceci m’inspire une première interrogation : quelle fut la pire interview de ta carrière, du moins au plan technique ?
DF : Ahem… Il y en a eu un paquet, et pas seulement du point de vue technique… Sur le plan technique stricto sensu, je passe sur le larsen dans le micro, qui t’empêche de te concentrer lorsque tu dois répondre… Tu as également les interviewers qui ne s’arrêtent pas de dire « oui », « oui », « oui », quand tu essaies de leur répondre, et tu as juste envie de leur dire « Tais toi ! Laisse moi te répondre cinq minutes ! »… Un mec juste avant toi m’a posé une question qui a duré dans les deux minutes, une pile de mots… (NDA : fait une grosse pile avec ses mains) Je râle mais, en règle générale, j’aime les interviews, j’aime donner des interviews, la plupart d’entre elles sont supers…
ANR : Je vais faire de mon mieux… Venons-en à l’objet de cet entretien : The Screaming Of The Valkyries sort à minuit chez Napalm Records… Quel est ton état d’esprit, à une dizaine d’heures d’une sortie mondiale ?
DF : Heuuuuu… Ce n’est pas un mystère, le groupe s’est donné à fond, la maison de disque également, nous sommes très satisfaits de son travail, et je crois que nos fans vont être satisfaits… Je suis néanmoins un peu nerveux, car nous jouons gros cette fois, nous soignons la promo comme jamais, je dois d’ailleurs me rendre à Londres samedi pour assurer une séance de dédicaces (NDA : j’ai vérifié, c’est au HMV d’Oxford St, à 14 heures)
ANR : Selon moi, c’est un très bon disque, la quintessence de Cradle of Filth… « To live Deliciously » est la première piste ainsi que le deuxième des trois extraits. Est-ce que les adjectifs « vipérine, théâtrale et complexe » te conviennent pour qualifier cette chanson ?
DF : Redis le premier…
ANR : « Vipérine »…
DF : Quoi ? Redis-moi le premier une nouvelle fois…
ANR : « Vipérine »… Comme une vipère, du venin…
DF : Oh ! D’accord… Oui, c’est une bonne analogie…(NDA : opine du chef)
ANR : Le titre de cet album, « The Screaming Of The Valkyries », se référerait à l’Armageddon … Peux-tu s’il te plaît développer ?
DF : Le choix du titre « The Screaming Of The Valkyries » a été influencé par le fait que nous ne sommes plus qu’à quelques secondes de… minuit… sur l’horloge de la fin du monde (NDA : The Doomsday Clock) Le paradis brûle et le Ragnarök arrive, le monde semble plus mythique et moins biblique… Les valkyries constituent un sujet fascinant, très « heavy metal »…
ANR : Mon point de vue est qu’il pourrait également s’agir d’une référence, voire d’un hommage masqué, à Zoe Marie Federoff (Claviers, chant) tant celle-ci est omniprésente sur cet album… Elle sublime « Non Omnis Moriar » (« Je ne mourrai pas complètement »), mais aussi « White Hellebore » choisi comme troisième simple…
DF : Oui, absolument ! À ceci près que les parties des claviers n’ont pas toutes été enregistrées par elle… Mais, oui, elle a fait un travail fantastique, je suis d’accord avec toi… J’aime sa voix… En revanche, il nous a fallu doser ses interventions : éviter le pas assez ainsi que le trop de voix féminines… L’intervieweuse qui t’a précédé me demandait pourquoi elle ne chante pas sur la totalité des morceaux… Tout simplement parce que nous sommes Cradle of Filth, ce serait trop sirupeux, ce serait Lacuna Coil ou Epica ! Cradle of Filth fonctionne de façon différente, nous incorporons des voix féminines uniquement si la chanson le commande…
ANR : « Non Omnis Moriar » est selon moi un des sommets conceptuels et émotionnels de l’œuvre. Le meilleur morceau de 2025 toutes catégories confondues « so far »…
DF : (NDA : opine du chef)
ANR : Tu es parvenu à créer une atmosphère solennelle, nostalgique, déchirante… C’est une chanson « d’aurevoir », non ?
DF : Oui ! C’est à propos du trépas, c’est une conception très romantique de la mort : nous allons tous mourir, et quand nous mourrons, nous survivrons à la pierre tombale, une part de moi demeurera spirituellement avec toi, et nous serons de toutes façons ensemble un jour ou l’autre… Je me suis inspiré du mythe anglais d’Avalon… Donc oui, c’est une lettre d’amour adressée à un ami, un membre de sa famille, un amoureux, une personne dont tu es très proche… J’ai essayé de transformer la triste réalité en un poème dramatique, empreint de chaleur et de musicalité…
ANR : Cette lancinante et exquise rengaine pourrait fort bien devenir un des temps forts des futurs shows de Cradle, au même titre que « Nymphetamine Fix » votre classique de 2004… Me trompe-je ?
DF : Nous ne la jouerons pas en public sur la tournée qui vient, nous la jouerons en revanche par la suite, c’est prévu, oui…
ANR : Le dossier-presse affirme que « You Are My Nautilus » serait la « chanson la plus sombre qu’Iron Maiden n’ait jamais écrite » (« The darkest song Iron Maiden never wrote »)…
DF : (NDA : soulève un sourcil, ironique)
ANR : (Rires) C’est à cause de la durée (NDA : 7 minutes 39) et…
DF : Je ne peux pas spéculer car ce n’est pas moi qui ai écrit le dossier-presse !!! On m’a posé cette question à plusieurs reprises…
ANR : (Rires)
DF : Je peux imaginer que c’est parce que cette chanson est longue, est assez mélodique, etc… C’est pour cela que la maison de disques l’a comparé à un titre de Maiden… Quoi qu’il en soit, je concède qu’elle possède une ambiance proche de celle de « The Rime of the Ancien Mariner ». Dans cette optique, je comprends là où ils ont voulu en venir…
ANR : Je me suis dit que la voix étrange sur « The Trinity of Shadows » pourrait être un clin d’œil à celle qu’on entend en introduction de « Still Life » de Maiden sur Piece of Mind…
DF : (NDA : s’approche de l’écran, souriant) De quel morceau ?
ANR : « Still Life » de Maiden sur Piece of Mind…
DF : D’accord… Assez juste !
ANR : Sur cette troisième piste, tu évoques des « Messaline pales, pleines de rouge et de bave aux lèvres, taquinant les failles de Venus, avec leur prise nécrotique » (« These pale Messalinas / Full reddened, dripping-lipped / Tease the frailties of Venus / With their necrotic grip »)… De quoi parle « The Trinity of Shadows » ?
DF : La Trinité est constituée de trois éléments, et je me suis basé sur les trois fiancées de Dracula, cela aurait très bien pu être l’harmonie, la foi et… Le chiffre trois est un nombre magique, un nombre parfait, en dépit du fait que je me réfère ici aux fiancées de Dracula… La Trinité constitue un ordre sacré… Tu retrouves le chiffre trois dans nombre de croyances et de religions, bien sûr le Père, le Fils et le Saint-Esprit… La doctrine dominante du christianisme est masculine, je me réfère ici à quelque chose de davantage féminin, cette chanson parle des trois fiancées de Dracula…
ANR : Comme souvent, tu fais sur The Screaming Of The Valkyries pas mal d’emprunts à la culture classique anglaise et européenne : Avalon, Nautilus, Dunwich, Dracula, l’Épiphanie… Sur « When Misery was a Stranger », le morceau qui clôt ce disque, tu parles des « Zélotes de la modernité » (« Decadence shall dance upon the dead / And the zealots of modernity / Deafening, confirming that the heavenly are burning / With The Screaming Of The Valkyries »)… Qui sont-ils ?
DF : Il ne s’agit pas spécialement d’un emprunt à la culture classique, mais d’une allégorie… Les Zélotes de la modernité sont ceux qui orchestrent la destruction de ce monde, sérieusement. Avec leur argent, ou en répandant de fausses informations, en tirant les villes et les sociétés vers le bas. Par leur faute, il est désormais devenu difficile de faire entièrement confiance, de croire sans se méfier… Cela me fait préciser au passage que ce disque ne raconte pas une histoire homogène, chaque chanson est indépendante des autres, certaines chansons traitent de sujets empreints de classicisme, et d’autres de concepts inventés de toutes pièces comme sur « When Misery was a Stranger », qui je le répète est une entité propre… Son thème est sombre, mais c’est toutefois une chanson optimiste, car l’événement qu’elle aborde n’est pas encore arrivé, elle a quelque chose de Dickens dans l’approche, rien n’est jamais fixé, définitif… La rédemption est inhérente au genre humain, il y a toujours une chance de se sauver ou de sauver le monde… Ou pas, si les Zélotes de la modernité l’emportent !
ANR : Te considères-tu comme un « ancien » ou un « moderne » ?
DF : Ahhhhhh… Les deux ! Contrairement à ce que certaines personnes pensent, je n’ai pas spécialement envie de vivre au dix-huitième siècle, je me satisfais parfaitement de mon époque ! J’apprécie parfaitement le confort de la modernité, j’aime les voitures, j’aime… les équipements hi-fi… Tu vois, j’aime ma vie, la chanson « To live Deliciously » est à propos de tout cela… Mais, j’aime aussi m’inspirer du passé, nous avons à apprendre de nos erreurs, et j’aime l’histoire, j’aime… explorer le maximum de choses ! Nous nous sommes rendus à Florence il y a quelques semaines, ma petite amie et moi, nous sommes allés à une importante convention de tatouage car elle est tatoueuse, c’est une démarche totalement empreinte de modernité… Donc, oui, les deux, tu dois apprendre de tes erreurs, et vivre maintenant.
ANR : À ce propos, je me suis rendu il y a peu à Séoul en Corée du Sud, je suis allé dans l’unique bar metal de cette mégalopole, et je me suis aperçu que le patron est un fan de Cradle of Filth… Es-tu déjà allé à Séoul ?
DF : Oui, je suis allé à Séoul, c’est passionnant ! Quand tu atterris, cela ressemble à un gros pénis géant, comme rouge (Rires) Plus sérieusement, j’ai pris du bon temps à Séoul, c’est un endroit ouvert d’esprit… Surtout si tu le compares à la Corée du Nord à côté…
ANR : T’es-tu rendu à la frontière ?
DF : Non…
ANR : C’est très intéressant…
DF : Oui, je parie que c’est très intéressant… J’aime l’endroit, un endroit fabuleux… Ça me fait penser, lorsque nous nous sommes rendus à Florence, nous cherchions un bar metal, et on nous a recommandé un bar qui était tout sauf metal, ça dégueulait de monde, on se serait cru aux abords d’un collège… Mais bon, Florence est quoi qu’il en soit une ville merveilleuse…
ANR : Cradle of Filth va voyager, et sera en tournée pour quatorze dates en juin puis en juillet prochain avec Nervosa !
DF : (NDA : opine du chef et sourit)
ANR : Qu’est-ce qui a motivé cet intéressant choix ?
DF : Parce que nous sommes fans ! C’est un chouette groupe, cent pour cent féminin, elles étaient disponibles cet été et c’est impeccable ! Nous allons assurer quelques dates en tête d’affiche entre deux participations à des festivals, ce sera de supers shows avec un super groupe en première partie !
ANR : Vous vous êtes produits en août dernier dans l’ouest de la France, au Festival 666…
DF : (NDA : relève la tête subitement et écarquille les yeux) Oh yes !
ANR : Qu’as-tu pensé de ce festival émergent ?
DF : J’ai adoré ! C’était tellement… au-delà de ce qu’on s’était imaginé ! J’aime cette ambiance, c’est un festival qui débute, qui n’est pas encore professionnalisé…
ANR : (Rires)
DF : (NDA : franc sourire et regard pétillant) Mais, c’était super, nous y avons donné un de nos meilleurs concerts parmi tous ceux qu’on a donnés l’été dernier… Ce n’était pas un festival urbain, c’était définitivement un festival champêtre… Les toilettes étaient un peu rustiques, et tous les dressing rooms étaient en fait des salles de classe, c’était je crois une maternelle… Mais tout le monde a été super adorable, très amical, les gens ont assuré… Il y avait deux scènes, la petite et la grande, et c’était vraiment top ! J’aime jouer à la campagne… Je me souviens également qu’il faisait abominablement chaud, tu sais, c’était réellement le cas ! Notre dressing room était blindé de fans partout (Rires) Cela a maintenu au plus haut notre niveau de bonne humeur toute la journée !
ANR : Le 666 est organisé en Charente… Sais-tu que la nationalité britannique est la nationalité étrangère la plus représentée dans ce coin ?
DF : (NDA : du tac au tac) C’est étrange parce que nous nous sommes rendus plusieurs fois dans ce coin, et nous n’avons rien trouvé de britannique.
ANR : Jeune, les premiers concerts auxquels tu as assisté étaient organisés par la Hunt Saboteurs Association… Es-tu toujours en contact avec cette organisation ?
DF : Non, malheureusement. Tout simplement parce que je n’ai plus le temps. De plus, ma scène locale a énormément changé depuis les années quatre-vingt. Je vais toujours à des concerts locaux, mais ce n’est plus la même chose. Ma ville, qui se nomme Ipswich, était un bastion de la scène hardcore, punk, grindcore, du temps de la Hunt Saboteurs Association. Il y avait ce DJ de la BBC très célèbre, qui programmait du Napalm Death à la radio, il s’appelait John Peel…
ANR : Oui bien sûr…
DF : C’était du temps des Peel Sessions… C’était l’époque de Bolt Thrower, de The Electro Hippies, de Carcass, de Napalm Death, d’Extreme Noise Terror, tous ces groupes ont joué dans des festivals près de chez moi, dans un lieu appelé « The Caribbean Center » (NDA : géré par The Ipswich Caribbean Association – ICA, et démoli en 2012) Ipswich a vu défiler nombre de genres fabuleux comme le doom et le grindcore. Les groupes de grindcore avaient appris à jouer sur le tas… Tous les groupes dont je te parle, Bolt Thrower, Carcass, Napalm Death, voulaient être Celtic Frost ! Ils étaient totalement influencés par Celtic Frost (NDA : sourire truculent) Absolument (Rires) Je repense à tous ces groupes comme Screaming Holocaust… Oui, il y a eu énormément de groupes cools pas loin de chez moi dans ma jeunesse !
ANR : Je constate qu’il y a un oiseau derrière toi, j’en ai moi aussi un derrière moi…
DF : Heuuuuuuu… C’est un oiseau de mauvaise augure, c’est un corbeau derrière moi !
ANR : Oui.
DF : Dans la pièce d’à-côté, j’ai des pies… Et un geai… Et des chauves-souris ! J’ai des oiseaux féériques, des oiseaux de marbre (Rire sardonique)
ANR : Tu as surtout des oiseaux maléfiques…
DF : Oui.
ANR : Quelle est la dernière personne célèbre avec laquelle tu as parlé ?
DF : Tout dépend ce qu’on entend par « célèbre »…
ANR : Oui ! C’est aussi le sens de cette question…
DF : Ahemmmmmm… J’ai parlé avec Rob Caggiano il y a deux jours, je dois aller lui rendre visite dans quelques semaines… Donc, je crois que c’est la dernière… personne… Heuuuu… Sinon, j’ai envoyé un courriel à Ed Sheeran…
ANR : Ma dernière question sera plus personnelle… Est-ce que quelqu’un t’appelle encore « Daniel » ?
DF : Heuuuu… Uniquement ma maman quand elle est mécontente, quand elle est mécontente…
ANR : Tu as le mot de la fin pour les Français…
DF : Well, merci beaucoup, thank you so much pour être fans de Cradle of Filth, j’espère que vous allez aimer le nouvel album, les nouvelles vidéos que nous avons mises en ligne, et pas seulement les trois derniers clips… J’espère également que nous nous verrons sur la route, nous faisons en sorte d’organiser une tournée européenne massive pour l’année prochaine, pour l’instant je ne sais pas si nous passerons ou pas par la France… Nous avons beaucoup de fans loyaux depuis toujours en France, merci pour votre soutien honnête !
ANR : Merci beaucoup Mr Filth, passe une bonne journée, une bonne journée promotionnelle…
DF : Ouais, merci beaucoup, c’était une interview très cool, take it easy, au revoir !