HOT on the rocks!

Coheed and Cambria – Vaxis Act III: The Father of Make Believe

mardi/25/03/2025
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Auteur : Coheed and Cambria

Titre : Vaxis Act III: The Father of Make Believe

Label : Virgin Music Group

Sortie le : 14 mars 2025

Note : 18/20

 

Mine de rien, le nombre de groupes récemment chroniqués ou interviewés ici, qui ont conçu leurs derniers albums sous la forme d’une saga numérotée m’interpelle. De tête, je pense à Amon Sethis il y a un peu plus de trois semaines (Part 3: Dawn of an Apocalyptic World), à Vision of Atlantis (Pirates II – Armada) l’été dernier, à Therion (Leviathan III) et à Devildriver (Dealing With Demons Vol. II) en 2023, à Charlotte Wessels les deux années d’avant (Tales From Six Feet Under, Vol. I et II). Sans omettre Marilyn Manson qui s’y est mis lui-aussi (One Assassination Under God – Chapter 1). Le chiffrage des œuvres discographiques, adopté il y a plusieurs décennies par Led Zep, Black Sab, Van Halen et par Guns’n’Roses aurait-il fait des émules tardives ? Pas spécialement. Il faudrait plutôt voir dans cette micro-tendance l’influence actuelle de la cinématique sur la création musicale, un attrait éventuel pour les intitulés à rallonge (une forme de particule patronymique, conférant aux enregistrements une sorte de titre de noblesse), et peut-être plus simplement un besoin de continuum et de cohérence thématique de la part des artistes des années 2020.

Les New-Yorkais de Coheed and Cambria, eux, ont commercialisé leur dixième album studio le 14 mars dernier sous le titre « Vaxis Act III: The Father of Make Believe ». À ceci près que ces fanatiques de science-fiction nous avaient depuis toujours accoutumés aux albums-concepts à numérotation (Good Apollo, I’m Burning Star IV, Volume One: From Fear Through the Eyes of Madness puis Good Apollo, I’m Burning Star IV, Volume Two: No World for Tomorrow en 2005 et 2007, The Afterman: Ascension et The Afterman: Descension en 2012 et 2013, entre autres exemples). Et pour cause. Chaque album de Coheed and Cambria narre un chapitre de la saga graphique The Amory Wars, imaginée depuis 2004 par Claudio Sanchez, le chanteur-guitariste du quatuor. Dont le héros est le voyageur Claudio Kilgannon, fils de Coheed and Cambria. CQFD. Ce nouvel épisode s’inscrit dans la continuité de leur neuvième album qui avait pour blaze « Vaxis II: A Window of the Waking Mind », couronné il y a trois ans d’un succès critique et radiophonique. Annoncé comme davantage personnel et autobiographique, The Father of Make Believe était attendu par les « Coheed’s wiki-writing legions of fans » et autres mordus du groupe, avec autant de ferveur que les conspirationnistes la prochaine rumeur sur Brigitte Macron.

L’aspect cinématique de ce disque est en premier chef mis en avant par sa couverture. À peu de choses près, on dirait Anakin Skywalker en 1999, lequel aurait été enfermé dans un néon rougeâtre en forme de clef de sol. Ne figure nulle mention du titre ou du nom du groupe. Le visuel l’emporte sur l’écrit. Cette somme complexe garnie de quatorze pistes s’ouvre sur quelques notes cristallines au piano, planantes, du Kate Bush du troisième millénaire, auxquelles se substituent doucement un violoncelle et des chuchotements spatiaux de Claudio Sanchez. C’est « Yesterday’s Lost ». McCartney aurait apprécié, Phil Collins et Peter Gabriel également. On jurerait une chansonnette britannique des années 1960-1970, enregistrée avec des moyens technologiques futuristes. Cette gentille mélopée s’enchaîne dans un contraste total sur « Goodbye Sunshine », une hymne guillerette punk-pop US tout droit échappée des années 2000. Un truc teenage mâchouillé, dans l’esprit d’Avril Lavigne ou de Wheatus, pourvu de sonorités contemporaines. Aux termes du dossier-presse, ce titre a été « Imaginé pour les scènes des festivals et autres arénas ». Bien vu. Publié en guise de deuxième simple, « Searching for Tomorrow » poursuit ce contrasté voyage, et confirme cette volonté d’expérimenter coûte que coûte la console. Il y a cette fois quelque-chose de Placebo, dans les intonations, l’attaque des guitares ainsi que le tempo. Mais, une fois encore, avec des gimmicks modernes. La terre a en effet tourné depuis les années 1996-2003. Le bidouillage au synthétiseur et à la guitare électrique me rappelle l’avant-gardiste « Die Yet Another Night » de KoЯn (2016). Très intéressant. La production demeure impressionnante, complètement hors-sol, sur l’éponyme déclamation « The Father of Make Believe ». Sur ces deux dernières confections, les vocalises de Claudio Sanchez me font par moments ouïr le spectre de Michael Jackson. Il suffit d’y croire, comme nous y invite l’intitulé de la seconde. Cette surproduction geekesque n’a pas été choisie afin de pallier une quelconque inspiration lacunaire. Non, les chansons sont au contraire senties, variées et bien bâties. Il s’agit de créer une atmosphère de science-fiction, propice à l’illustration du narratif.

« Meri of Mercy » est une charmante ballade US portée par le tom basse de Josh Eppard ainsi que par quelques fines notes au piano. Cette ode touchante rend hommage aux grands-parents de Sanchez, lesquels apparaissent de temps à autres dans son œuvre sous les noms interstellaires de Sirius and Meri Amory. Le véritable grand-père du compositeur a quitté cette existence il y a peu de temps, parti rejoindre son épouse partie quarante années avant lui. Sanchez panse ses plaies affectives par la fiction. « Blind Side Sonny » voit surgir le premier riff de l’opus. Crissant. Presque classic rock. La première compo braillée. Le premier simple également, une sorte de metalcore bubble-gum à chœurs « yeah-yeah ». Une illustration adéquate, je pense, du rock en ce mitan de décennie. « Play the Poet » qui lui succède creuse la même veine, soutenu par une boucle jungle très en vogue des deux côtés de l’Atlantique. « Corner the Confidence » est dédié à l’épouse de Sanchez. Une autre romance US, au picking de guitare sèche. Une jolie mélodie comme Green Day savait en composer. La prod’ est, pour ne pas changer, joliment ciselée. Nous avons en revanche changé de séquence conceptuelle, celle-ci s’avérant moins atmosphérique qu’en première partie de LP. Dernier simple sorti, « Someone Who Care » exhale un je-ne-sais-quoi d’eighties dans le beat, la façon de chanter, le chorus discret. Un mix entre rock félin et pop sucrée, à l’image de celui qui starifia Billy Idol circa 1984. Sympa. Sanchez s’y interroge quant à la pertinence des choix artistiques qu’il a effectués depuis les débuts de Coheed and Cambria. Une chanson à la fois rétro et moderne, gorgée d’émotion.

La dernière ligne droite de The Father of Make Believe est formée d’un enchaînement de quatre pistes numérotées (décidément) de I à III (?). Dissemblables, elles s’intitulent toutes « The Continuum », et ne se complètent pas (du moins en apparence…). « The Continuum I: Welcome to Forever, Mr. Nobody » est un metal pataud, mais puissant et jouissif. « The Continuum II: The Flood » nous offre une nouvelle escapade futuriste. « The Continuum III: Tethered Together » voit le piano ainsi qu’un certain minimalisme reprendre le dessus ; tandis que la trame de « The Continuum III: So It Goes » possède quelque chose de Supertramp… Cette quatorzième piste est close sur une musique de film composée ad hoc. En conclusion, Vaxis Act III: The Father of Make Believe est une réalisation (plus que) chiadée, dépassant gaiement les déjà vastes frontières du metal dit « progressif ». L’hétérogénéité des ambiances laisse augurer de soirées live sans temps-mort. Accordez, s’il vous plaît, une oreille à ce concept-album du troisième millénaire ; à moins que n’aimiez que la lo-fi, détestiez les Beatles et David Gilmour, abhorrez les utopies et les rêveries ainsi qu’un certain esprit yankee. L’Amérique de Coheed and Cambria se situe précisément aux antipodes de celle de Whitechapel, dont le dernier monceau de cadavres a été analysé en ces colonnes il y a trois semaines… Une création juvénile, rafraîchissante, surprenante, en définitive parfaite afin d’accueillir les beaux jours dans de bonnes conditions.

Pour finir, dis-moi qui tu fréquentes et je te dirais qui tu es… En seconde partie de 2024, Coheed and Cambria avaient assuré une quarantaine de dates (dont un Madison Square Garden à guichets fermés) en première partie des inégalables Primus, puis des formidables Incubus. Début mars, ils ont participé à l’ambitieux (et semble-t-il controversé) Tool In The Sand, le festival organisé par Tool en République Dominicaine (en compagnie des références que sont Mastodon, Primus, Eagles of Death Metal, Fishbone, Kings’X, et des prometteurs Wheel). Ils se lanceront cet été sur les routes américaines et canadiennes, pour donner une cinquantaine de concerts indoor et outdoor, en co-headlining avec Mastodon ainsi que Periphery en ouverture, lesquels céderont ensuite leurs places respectives à Taking Back Sunday et à Foxing. Classieux. Aucun enchantement live n’est pour l’instant à l’horizon de l’Hexagone.

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