Auteur : Epica
Titre : Aspiral
Label : Nuclear Blast Records
Sortie le : 11 avril 2025
Note : 18/20
« Elisabeth était mariée à son Royaume et à son peuple, Simone l’est à son groupe, et est exceptionnellement loyale vis-à-vis de son public ». Ainsi Tim Tronckoe parlait de Simone Simons. Le photographe attitré et véritable homme lige du metal symphonique européen effectuait, lors de l’entretien qu’il nous avait accordé à l’été 2019, une comparaison entre la chanteuse d’Epica et la toute-puissante souveraine britannique. Avec audace mêlée de panache, l’esthète flamand avait immortalisé cette année-là la flamboyante mezzo-soprano néerlandaise au milieu d’un fastueux décor : l’église gothique Saint-Michel de sa ville natale de Gand, laquelle représentait aux yeux de l’artiste la beauté de l’ère élisabéthaine. Un trône y avait été érigé par le désigner Jelle Boucher d’Unleashed Visuals. Une splendide robe blanche à fraise circulaire et tournure seizième siècle avait été cousue par la costumière Elena Werner et Simon De Bruyne, le futur Monsieur Tronckoe. La rousse chevelure de notre vedette batave, ornée pour la circonstance d’un diadème à longues plumes immaculées, avait été ordonnée par le coiffeur Marino Lambrix.
Comparaison est de temps à autres raison. Je souscris volontiers aux louanges tressées par le concepteur de Portraits. Le règne d’Epica traverse un incontestable âge d’or depuis la parution du magistral The Holographic Principle en septembre 2016. L’ésotérique alike Omega était parvenu cinq ans plus tard à faire perdurer cet état de grâce, en modulant la production et les structures. Il m’avait alors fallu une bonne dizaine de mois afin d’apprécier ses subtiles mélodies. Conscient de sa popularité, Epica avait commercialisé coup sur coup deux disques live : Omega Alive en décembre 2021, et Live at Paradiso en septembre 2022. Afin de marquer le coup lors de la double édition du Hellfest, j’avais commandé auprès de Nidhal Marzouk un agrandissement d’une de ses photos de Simone Mainstage intitulée « Cry for the Moon ». Simone, qui s’était autorisée l’été dernier une infidélité souveraine à ses troupes, en signant le remarqué Vermillion, son premier disque en solitaire. Dont quelques ritournelles à l’image d’« Aeterna » ou d’« In Love We Rust » n’auraient guère dépareillé sur une réalisation frappée de l’estampille « Epica ». Ainsi que la lumineuse et entêtante chansonnette « Dopamine », fredonnée sur The Obssession de et avec sa compatriote Charlotte Wessels. Comme signe extérieur de cette richesse créative, Epica au grand complet dévoile quelques mois plus tard Aspiral.
Cette publication avait été précédée par trois simples. Le 13 novembre 2024 par le très classique « Arcana ». Les anciens se souviendront que c’était le prénom de l’héroïne eurasienne du dessin animé Les mondes engloutis, l’immaculée messagère remontée à la surface de la terre afin de guérir le soleil Shagma. Coïncidence amusante. Puis la cavalcade sympho « Cross the Divide » le 30 janvier. Très bien produit, très bien clippé. Mais m’ayant (à première écoute) semblé être à l’innovation musicale ce que Stéphane Bern est au zadisme et Sebastien Delogu à l’art oratoire. Une sorte de Nightwish 2008 doté de moyens technologiques contemporains… Le 12 mars, enfin, par le burtonien « T.I.M.E. ». Dont le titre ainsi qu’une vidéo mettant en évidence le cadran de la pochette de ce LP à venir (au demeurant assez repoussante, une véritable ode à la tripophobie), étaient venus quelque peu nous éclairer quant au sens de l’album. Le titre « Aspiral » est en effet celui de la sculpture en bronze réalisée en 1965 par le sculpteur et peintre polonais Stanisław Szukalski. Elle symboliserait le renouveau, l’inspiration et la force de chaque détail. Pour ce qui est de l’inspiration, je n’étais pas davantage convaincu à la simple écoute de ces trois extraits liminaires que Saint-Thomas au soir de la Résurrection.
Tout comme lui, je me suis rendu à l’évidence à quelques jours de Pâques. Aspiral est un album, non une superposition de singles. La cohésion musicale et conceptuelle constitue une des forces d’Epica. Placé en première piste, « Cross the Divide » s’avère en fait un excellent morceau, introduisant la cérémonie avec dynamisme. Il sera sans doute aucun joué en ouverture des concerts à venir (coup d’envoi de la tournée mondiale au Place Irving de New-York le 6 mai, avant un grand retour au Hellfest le 20 juin). Prenant lui-aussi sa pleine dimension, le solennel « Arcana » calme le jeu, avant que les sirènes synthétiques de « Darkness Dies in Light (A New Age Dawns, Part VII) » ne viennent renouer avec le grandiloquent. Avec quelque chose de l’Époque dite « moderne » (celle allant de 1453 ou 1492 à 1789) dans l’atmosphère, une ambiance… élizabethaine parfaitement immortalisée il y a six ans désormais par le grand Tim Tronckoe. Epica reste Epica. Il demeure cet étrange et parfois déroutant triumvirat formé par cette voix diaphane, les growls du cookie monster blond à la six-cordes et ces perpétuels chœurs grégoriens. La stricte observance de cette formule fera le bonheur des fans les plus fidèles. D’autres, comme moi, ne seront ravis que si d’inspirées mélodies, de véritables chansons, ne viennent enrichir la légende néerlandaise… Sur ce point, la découverte de cette troisième piste me rassure pleinement. De même qu’« Obsidian Heart » (« Cœur obsidienne », du nom de la pierre noire formée par la lave refroidie sans cristallisation), la magnifique mélopée qui s’ensuit. Du Simone Simons à son summum, une interprétation aussi magnifique que ne le fut (par exemple) « Cry for the Moon » en 2003. Puis, c’est le plus guilleret mais indéniablement puissant « Fight to Survive (The Overview Effect) ». Quatrième single, dont la vidéo futuriste a été dévoilée aujourd’hui 11 avril à seize heures.
Un constat s’impose après l’écoute de cette cinquième et dansante piste : pétri de savoir-faire, Aspiral reflète la quintessence d’Epica. C’est avec une aisance folle que la formation Limbourgeoise passe en revue l’ensemble des canons du genre qu’elle a elle-même façonnés en vingt-trois années d’existence. Les montées et harmonies vocales sur « Metanoia (A New Age Dawns, Part VIII) » sont un régal. « Apparition » est une démonstration de conviction vocale et instrumentale. Le grandiose « The Grand Saga of Existence (A New Age Dawns, Part IX) » renoue avec la dimension cinématique, avant que la sobre complainte « Aspiral » ne vienne provisoirement refermer la boîte à trésors. Souvent catalogué « pompier » en même temps que son groupe, le foufou Coen Janssen est définitivement un compositeur redoutable. Nous avons peut-être affaire en outre à la meilleure production de leur brillant parcours. Aucune des onze créations n’aura à rougir de la comparaison avec les classiques du raffiné quintet. En parlant de comparaison, à une époque où Nightwish mouline et Delain a décroché, que Whitin Temptation semble s’être durablement envolé vers d’autres cieux synthétiques, Epica confirme avec ce neuvième album studio être le groupe de metal symphonique de la décennie.
Photo de couverture : Virginie Pléau, Hellfest 2022