Auteur : Godless
Titre : Genesis of Decay (EP)
Label : /
Sortie le : 4 avril 2025
Note : 15/20
« En Inde, j’ai vu des trucs, c’était intéressant. Sauf quand ils essayent d’imiter les Occidentaux. Ça ne marche pas. En Inde, ils se mettent péniblement au jazz, mais ça ne marche pas (…) En Inde, ils écoutent surtout du hard rock, du metal, Megadeth, des trucs comme ça. C’est très différent de ce qu’on connaît, mais ça m’a beaucoup amusé » (Marc Zermati in Wanna Be Your Skydog : Les Diggers & Tony Marlow rendent hommage à Skydog, Camion Blanc, 2024, pp. 281-282). Ainsi parlait Marc Z. du sous-continent indien. 1 417 milliards d’âmes, pour pas bézef de groupes connus à l’international… Chez ANR, nous avions au printemps 2022 interviewé SystemHouse 33 de Mumbai, puis découvert Bloodywood de New Delhi lors de l’édition 2023 du Hellfest. Notre ami Samron Jude, le chanteur de SystemHouse 33, nous avait expliqué que le prix des instruments et du matériel, le peu de magasins de musique, et l’addiction à l’omniprésent Bollywood constituaient autant de freins systémiques au développement d’une scène metal au pays de Gandhi.
C’est donc avec plaisir et gourmandise que nous vous présentons Godless, une formation de death en provenance d’Hyderabad, capitale de l’Etat du Telegana situé au milieu de la république fédérale indienne. Constituée en 2015, elle est aujourd’hui composée de Nangsan Lyngwa (le nouveau chanteur), Moiz Mustafa (guitares), Abbas Razvi (basse) et de Nikhil Rajkumar (le nouveau batteur). Godless nous annonce sur sa page Facebook faire du « Thrash-Laced Death Metal » (j’ai vérifié, ils ont très probablement inventé l’appellation…). Dans le dossier presse, nos nouveaux amis affirment s’être « hissés de façon constante au sommet de la scène death metal nationale ». Ce qui semble attesté par un certain nombre de nominations diverses (Metal Injection, Bandcamp, Rolling Stones India), ainsi que par une tournée indienne en ouverture de Jeff Loomis (mine de rien, c’est révélateur d’une petite notoriété…). Ils revendiquent également deux EP ainsi qu’un LP (State of Chaos sorti en novembre 2021) à leur actif. Godless a également tourné en 2019 en Europe, et revient sur notre continent ces mois d’avril et de mai (Portugal, Espagne, Allemagne, Luxembourg, Belgique, et halte au Melody Maker de Rennes le 8 mai). Il va sans dire qu’organiser une tournée européenne lorsqu’on est un groupe indien dépourvu de label nécessite passion et opiniâtreté. Thumbs up ! Il s’agira notamment pour le quatuor Tilangani de promouvoir les cinq nouveaux brulots death figurant sur leur troisième EP, Genesis of Decay, paru le 4 avril dernier. Cinq nouveaux morceaux pour deux nouveaux membres, ce qui devait être le deuxième LP est devenu EP afin d’accélérer l’intronisation de ces derniers.
Le logo, la pochette (illustrée par le Berlinois Johnny Doe Art, qui bénéficie d’une petite réputation dans le milieu) et les photos-presse attestent formellement de l’appartenance de Godless à la mouvance death metal. Musicalement, ça démarre pied au plancher avec « Amorphous Mass ». Ou plutôt pieds sur la double-grosse-caisse. Une attaque martiale menton en avant, à laquelle succèdent accélérations puis plage planante à la guitare disto et pédale. Le batteur Nikhil Rajkumar domine les débats et conduit les opérations. Sa maîtrise technique et tonique me rappelle celle de Luana Dametto de Crypta. Le riff conquérant en trois accords bien sentis aurait d’ailleurs très bien pu être composé par les Brésiliennes. Celui de « Doctrine of Hate » va piocher dans le groove metal de la fin du siècle dernier. La prédominance de la batterie se confirme, un style de jeu monumental, quelque peu mis à mal par la faiblesse de la production… « Silent Oppression » vocifère bas du front. À l’instar de SystemHouse 33, Godless semble privilégier les textes politiques et sociaux au pays de Modi. « Prologue to Dissent » est un bref instrumental (01:08), jouant la carte du progressif abyssal et angoissant typique du death. Il est placé en avant dernier afin d’introduire la cavalcade finale « Echoes of Collapse », une vraie gueulerie que n’aurait pas renié Asphyx. On mentionnera que cette ultime piste (et deuxième single) a été nominée le 7 février dernier par Metal Hammer dans sa rubrique « The 12 best new metal songs you need to hear this week » (en compagnie de Spiritbox, d’Arch Enemy et de Rivers of Nihil, ce qui est pour le moins encourageant).
Les vocalises de Nangsan Lyngwa varient d’une piste à l’autre et d’une séquence à une autre. S’il ne possède pas le coffre d’un Corpsegrinder ou d’une Angela Gossow, le natif de Shillong (une commune montagneuse située non loin des frontières bangladaise et birmane) fait correctement le taf, et passe avec attitude et conviction des aigus aux caverneux tout du long de cette petite quinzaine de minutes mixées et masterisées par l’Anglais Lawrence Mackror (Katatonia, Decapitated, Firespawn, Gorod). Cinq exercices de style réussis. Vous l’avez compris, cette « Genèse de la décomposition » coche l’ensemble des cases du death. Elle aurait parfaitement pu être enregistrée en Tunisie, au Chili, en Lettonie, en bref dans n’importe quelle contrée initiée à la musique extrême… À supposer que le death soit une musique occidentale, les Indiens de Godless s’en sortent en conclusion plutôt bien. Zermati avait pressenti juste pour ce qui est de l’Inde et du metal.