Art n’ Roll : Votre prochain album est sur le point de sortir, comment vous sentez-vous ?
Liz Buckingham : Excités !
Jus Oborn : Oui ! Enfin, ça a été une longue et difficile bataille de le faire sortir. J’ai même cru qu’il ne sortirait pas. Après tout ce travail j’ai du mal à croire qu’il va sortir dans une quinzaine de jours. Bordel… merci !
AnR : Pouvez-vous nous en parler ? Quelle est sa place par rapport aux autres albums ?
JO : C’est difficile à dire en tant qu’artiste. Nous créons juste notre musique et les gens font leur analyse après coup. Pour nous c’est juste une progression naturelle, c’est ce que nous voulons faire. Dans un sens, la boucle est bouclée, on est revenus à nos débuts en terme de thèmes, de style… C’est difficile à dire de notre point de vue.
En fait on a commencé à enregistrer le nouvel album et il est arrivé très Heavy. On s’est dit que ce serait peut-être le dernier album qu’on enregistrerait. Ca a été un parcours très ardu, on pensait ne pas y arriver.
AnR : Parce qu’il a été difficile à écrire ?
JO : Il y a eu un nombre incroyable d’obstacles.
LB : Il a été difficile à écrire, difficile à créer, difficile à enregistrer, difficile à obtenir parce qu’il y a eu tout un tas d’influences extérieures pour nous en empêcher. C’était beaucoup plus difficile que pour tous les enregistrements précédents.
JO : On était arrivés à un certain niveau au fil des ans et enregistrer était devenu facile, mais pas cette fois.
AnR : Et pourquoi ? C’était une question financière ? C’était lié au groupe ?
JO : Et bien, c’est de renommée publique que nous avons eu des problèmes d’ordre juridique avec notre ancien label. Leur procédure a été extrêmement vindicative et pénible avec toutes les raisons pathétiques qu’ils pouvaient utiliser pour nous stopper. C’est devenu très difficile alors que nous voulions juste créer de l’art et produire notre musique, c’est tout ce que nous voulions. Nous n’avions aucune arrière-pensée.
LB : C’est compliqué de gérer ce genre de chose quand on essaye d’être créatif, ça fait péter un câble !
AnR : Votre dernier album est sorti il y a 4 ans. Ma question était de savoir comment vous avez occupé le temps entre les deux albums, mais vous avez répondu…
LB : En fait on a commencé à l’écrire peu de temps après. On était déjà partis pour. Et puis le line-up a changé, et puis les choses ont lentement pourri. Ce n’était pas prévu que ça prenne autant de temps.
JO : Et puis quand on commence à tourner, c’est compliqué de trouver un moment pour s’arrêter et dire : « Ok, maintenant il est temps pour un nouvel album ! ». On entre dans une routine, en tant que groupe qui tourne. Le temps passé à enregistrer, c’est un temps problématique pour un groupe. Il n’y a rien qui rentre, il faut se contenter de ce qu’on est, en espérant avancer. C’est dur de sortir du rythme, on est dehors, on joue, on tourne…
AnR : Vous n’écrivez pas pendant les tournées ?
JO : Non c’est très rare. On a besoin d’être chez nous, dans notre environnement pour pouvoir écrire.
AnR : Vous avez joué au Hellfest cet été, c’était comment ?
LB : Génial, comme d’habitude ! [Rires] On adore le Hellfest !
JO : Le Hellfest nous a adopté, ça fait 3 fois qu’on y joue, on est toujours invités d’une fois sur l’autre. C’est toujours génial ! C’est vraiment un bon festival !
LB : Cette année, c’était dingue !
AnR : Vous jouiez le premier soir, assez tard je crois ?
LB : Oui vers minuit.
AnR : Comment était le public ?
JO : Oh très bon, il y a toujours une atmosphère particulière sous cette tente. Il y a pleins de groupes similaires en style qui y jouent, Heavy, Doom… Les gens gravitaient toujours autour de cette zone…
AnR : Cette année j’ai eu l’impression qu’il y avait beaucoup de groupes comme vous, d’inspiration 70’s…
JO : Oui c’était une très bonne affiche pour ce style-là !
AnR : Vous avez vu d’autres groupes ?
JO : Oui on y va toujours en tant que fans.
LB : On a vu Black Sabbath !
JO : J’y vais en vrai fan, du coup je bois peut-être un peu trop… [Rires] du coup je ne me souviens pas de tout.
LB : On a vu Spirit Caravan. Fantastique !
AnR : Et à propos de « Time to Die », qui a créé l’artwork ?
JO : C’est moi. On crée toujours notre propre artwork. En tant que groupe, on crée tout nous-mêmes et on met tout en place. Pour nous c’est important que tu obtiennes notre vision. On essaye de créer un artwork qui parle de l’album, qui soit personnel, réel.
AnR : Le peu qu’on peut voir sur Internet… Il n’y a qu’une seule image…
JO : Oui, on veut que tu aies l’expérience globale en recevant le LP…
LB : On a travaillé en prenant en charge tous les aspects…
JO : On espère vraiment que quand les gens auront l’album, ils l’écouteront en regardant l’artwork. On ne veut pas en faire voir trop avant.
AnR : Comme une surprise…
JO : Oui tout à fait. Tous les groupes ne font pas ça. Ils ont tendance à donner avant. Et il faut payer pour en voir plus. Non, nous on veut que tout le monde voit tout l’album.
AnR : Sur certains des titres de « Time to Die », on peut entendre des gens parler, des journalistes semble-t-il, à propos de meurtres, de suicides… Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit et où vous avez trouvé ces extraits ?
JO : Tous les extraits viennent d’une cassette que j’ai enregistré en 95 ou 94. C’était un documentaire à la télé. A l’époque je n’avais pas de magnétoscope, donc c’est sur cassette ! Pendant plusieurs années quand j’ai commencé le groupe, j’ai utilisé cette cassette pour les extraits. Et avec le sentiment d’avoir bouclé la boucle avec cet album, cette cassette a refait surface. J’ai eu besoin de reprendre tous les éléments des tout débuts du groupe et les remettre à l’ordre du jour, et les laisser évoluer dans la musique. C’était une façon de prendre de l’élan, ça a donné l’atmosphère de l’album.
Tout vient de la même source, un documentaire à propos de la montée en puissance du Satanisme dans le Heavy. Il y avait une vraie peur…
AnR : Je me souviens qu’à l’époque il y avait des tas de reportages sur les Satanistes, des sectes, des gens qui enlevaient des enfants… C’était ce genre de période que vous vouliez évoquer ?
JO : Oui, il y avait une peur de la musique, les gens pensaient qu’il se passait quelque chose, quelque chose de terrifiant. Et peu de temps après, il n’y a plus eu de groupes satanistes. Je ne suis pas sûr de savoir ce qu’il s’est passé… Mais étrangement maintenant… on nous a dit que tout ça n’était que des fantasmes, que ce n’est jamais arrivé, mais les choses changent. En Angleterre, il y a eu des choses horribles, il y a eu des groupes clandestins faisant ce genre de saloperies. C’est une situation étrange. Peut-être que ça a fait penser les gens, ça a ouvert des portes…
AnR : Il ne s’agissait pas que des satanistes, c’est arrivé aussi au sein de l’Eglise…
JO : Oui, on n’a pas été les plus méchants. [Rires]
AnR : Vos thèmes sont connus : Lovecraft, films d’horreur, drogues… Après 20 ans d’existence, comment trouvez-vous de l’inspiration pour de nouveaux morceaux ?
LB : Et bien, ça peut venir de n’importe où. Cette fois-ci c’est plutôt venu de la musique, alors que d’habitude, c’est plutôt orienté par des films, ou des livres. On a été inspirés par la scène de Detroit, les années 70 et tout ce sentiment de révolution, et la sensation de [elle tape dans sa main] Bang ! Comme une attaque avec la musique. C’était l’inspiration principale, et tout ce qui va avec cette période.
JO : Les gens sont souvent forcés d’écouter tous les jours un certain type de musique commerciale, mais il ne veulent pas toujours écouter ces produits pathétiques. Ils aiment aussi la musique sophistiquée, Heavy, sombre mais personne ne les laisse écouter ça. La musique devrait être questionnée : je ne suis pas maléfique parce que j’écoute de la musique « Evil » ! L’art c’est ça, tout est confus de nos jours. L’art c’est questionner, se mettre là où on n’a peut-être pas envie d’être. Sinon, comment peut-on découvrir le point de vue d’autrui ?
AnR : Diriez-vous qu’il y a une évolution dans votre travail ? Vous parliez de cycle…
JO : C’est difficile à dire, on se remet toujours en question. Si on était toujours très surs de nous, on ne créerait rien. Il doit y avoir des questions, du doute sinon on ne crée rien d’intéressant. Les artistes ont toujours une certaine incertitude à propos de ce qu’ils font, ça les aide à pousser de plus en plus loin. On n’a pas besoin d’arrogance, ce serait la pire chose…
AnR : Vous ne réfléchissez pas à l’évolution de votre travail, vous créez sans y penser…
JO : Non, pas consciemment en tous cas.
LB : On a toujours le même moteur : faire la musique la plus Heavy qu’on ait envie d’entendre. C’est la même motivation, depuis le 1er jour, jusqu’à maintenant. Pas de devenir plus intelligent, genre « Ouh j’ai vraiment progressé là !! ». C’est plutôt : « Est-ce que j’aime ça ? ».
JO : de plusieurs manières, comme une purification, ou comme si on distillait les choses… on ne peut pas aller trop loin…
LB : On ne veut pas se prendre la tête, et arriver au point où on ne touche plus terre, où on n’a plus la vision d’ensemble, ce que la musique devrait transmettre.
JO : Et puis on essaye de rester centrés, de se souvenir d’où on vient, où ça a commencé. C’est ça qui est important, c’est ça de boucler la boucle et de ne pas s’éparpiller. Se retourner sur soi-même n’est pas forcément mauvais.
On ne réfléchit pas trop, on a un son bien particulier et si on y réfléchissait trop, ça sonnerait faux, arrangé. On a fait quelques expérimentations avec « Legalize Drugs and Murder » qui est une parodie de nous-mêmes en fait. C’est une expérimentation qu’on sentait qu’on pouvait faire. Certains groupes ne sont pas prêts à faire ce genre de choses par peur d’eux-mêmes.
AnR : Dernière question traditionnelle pour Art n’ Roll : avez-vous des hobbies artistiques, autres que la musique ? J’ai lu que vous (Jus) écriviez un livre sur le porno vintage par exemple…
[Rires]
JO : Ahah… Et ben on est très passionnés par les films, des films underground. Au fil des ans, j’ai acquis pleins de films, la majorité, 80%, sont des films classés X, j’en ai bien peur… Mais ce sont des films tournés de façons instinctive. J’aime vraiment découvrir des films obscurs, des musiques obscures. Si je ne trouve pas sur Internet, je les trouve via des personnes, des contacts et c’est vraiment intéressant. Et à propos de la musique et des films, il me semble que quelque chose se soit perdu. Le cinéma maintenant, c’est juste du divertissement, des blockbusters. Bon, il y a aussi des films d’art et d’essai, très pointus. Mais ce qu’on veut nous, les films d’horreur, les films d’exploitation, c’est pas intello, mais il y a de l’intelligence, c’est pas juste pour abrutir les masses avec des conneries, des explosions…
LB : Et c’est pour ça que tu es intéressé par la réalisation et la photographie. On aime bien créer des choses tout le temps. On est toujours en train de faire des choses.
JO (s’adressant à Liz) : Oh toi tu es vraiment douée pour la photographie ! Et moi j’aime le ciné. Du coup tous les deux on travaille ensemble…
LB : On crée plus de trucs visuels…
JO : Oui s’il y a une évolution dans notre travail, c’est en amenant les films dans le travail du groupe. On crée plus en mêlant plus d’emblée la musique et les films au lieu de les créer séparément pour les lier ensuite.
AnR : Vous n’êtes pas les premiers musiciens à me parler de la vidéo ou de la photographie comme hobbie.
JO-LB : Oui.
AnR : C’est comme si la musique et les images étaient liées.
JO : Oui en tant que musicien ce n’est pas forcément facile de créer des images, mais on peut prendre une guitare et matérialiser nos visions mentales. Je ne peux pas créer des films, je ne suis pas doué pour faire ce genre d’oeuvre d’art, mais je peux créer une vision esthétique par le biais de la musique. C’est déjà ça, au moins je peux partager ma vision avec le monde.
AnR : Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter ?
JO : Oh et bien, je ne sais pas… disons que le monde à l’heure actuelle est un endroit assez dégueulasse et cet album est une réaction contre cet état de fait. J’espère que les gens vont le comprendre et l’apprécier. On n’est pas forcément des gens déprimants mais on doit y faire face. On doit se regarder en face.