«- Baille…
- C’est toi qui est déglingué, c’est pas La Souris… »
C’est par ce phylactère, petit trait d’esprit paternel, qu’est entamée la soirée du samedi 9 mai 2015. Bâillements répétitifs de fin d’après-midi, effectivement consécutifs à une sieste (p)réparatrice pour une soirée Rock Français annoncée comme la plus conséquente de l’année grâce à une propagande intensive et orchestrée par Luc Taï lui-même depuis quelques mois, tant sur les murs des réseaux sociaux (photos des répètes notamment) que sur ceux des centres urbains : de Pa Nam et de sa proche périphérie, Drelon, Saigon ou encore Phnom Penh, toutes ces caches de partisans et sympathisants de la Raya Internationale (le Fan-Club de LSD). Nombre de petits tracts et affiches aux couleurs du dernier album a été placardé ces dernières semaines, y compris sur la devanture du Chinois de Saint-Ouen, sans oublier les affiches en papier recyclé marron où sont inscrits paroles des morceaux et slogans divers. Ceci augmenté de pubs presses (le canard Rock Français fondé en 1966 est partenaire de l’événement) ainsi que d’interventions à la Radio (chez Maneval notamment) et de passages télé (France 3 IDF le jeudi qui précède).
Et pour cause, ce concert des trente-cinq ans de La Souris Déglinguée à l’Olympia, Taï Luc nous en avait parlé il y a déjà plus d’un an, lors de notre rencontre de fin avril 2014 (voir ITW) et l’a patiemment fait monter en sauce piquante : une quinzaine de groupes invités, plus d’une quarantaine de morceaux annoncés. Donc, Pa Nam vaut bien une sieste…
17 heures 30, la rue Caumartin et ses bars n’ont pas comptabilisé autant de Docs, Converses, Harrington, rouflaquettes, t-shirts des Ramones, Stray Cats, Clash et (bien sûr) de La Souris depuis probablement l’année 1990, date du précédent Olympia, celui des dix ans. Ce soir, les Birds sont pimpantes, apprêtées pour danser le bop de la dernière chance, et certains neusk ont déjà des soucis d’équilibre. Cette fin de samedi de mai est festive et amicale. Alentours, il est facile de repérer et saluer têtes connues et amis. Des gens comme vous et moi, qui peuplent les couplets des chansons ainsi que les bavards interviews de Taï Luc. Aux invit’, c’est l’hendrixien Yazid Manou qui est à la manœuvre, troquant cette fois la « House Burning Down » pour « Les toits du Palace ». On sent que la kermesse va être mémorable. D’ailleurs, elle est retransmise en direct sur la grande Chaîne culturelle Franco-allemande, dont le journaliste réalise l’interview de Luc, mais aussi de Didier Wampas ou encore des Swingos Porkies, reformés pour l’occaz.
Car c’est en premier lieu là où se situe le truc : après avoir donné sa chance au groupe de Hip Hop de Messieurs Morville et Lopes, lors de leur premier passage en ces lieux en 1990, LSD a cette fois-ci invité en première partie les groupes considérés comme ses « compagnons de route » depuis trente-cinq ans.
Il est 20 heures lorsque le superbe logo du groupe s’allume, les caméras suspendues s’animent et le « Punkabilly Boogie Musicorama » commence ma Chère Denise. Vrombit « Euthanasie » des Olivenstein (soit la première vague du Punk Français) dans une version plus lourde et grasse que celle du 45 tours de l’époque. Un certain nombre de groupes et artistes, plus ou moins cultes et connus, se succèdent sous le toit de la Maison Coquatrix : Loolie et Shere Khan d’Ici Paris, Tony Marlow des Rockin’Rebels (pour la touche Rockab’), etc… La salle, qui se remplit peu à peu, monte d’un cran à l’arrivée de Didier Wampas, présenté comme « un ami de Nikola Sirkis et dans le civil il est chanteur des Wampas », avec son « Ma p’tite amie et nazie, que va dire ma maman ? », un crincrin yéyé rigolo, vague cousin de « Ma petite amie est vache » des Chats sauvages en 1961. Kim et son Power Trio, Witches Valley, adresse ses salutations à la Raya avant d’interpréter « The Living and the Dead », morceau de 1994 qui n’aurait pas dépareillé sur le Label Sub Pop… Sans paraphraser Ibra, on se contentera d’écrire ici que la France est un pays qui n’a pas son pareil pour donner sa chance aux tartuffes et passer sous silence les artistes. Basse Fender verte pomme en main, Kim nous livre un petit bijou pop-sonore, entre Patti Smith et grunge. D’autres groupes et artistes poursuivent le Musicorama. Commémo oblige, de nombreux passages sont dédiés à des copains disparus. Les Swingo Porkies (rebaptisés pour le coup « Swingo Porkies 2.0 ») de l’ami Denis Alvarez ferment le ban, pour deux morceaux (premier groupe Oï Français oblige). Une aimable voix nous annonce que La Souris nous « offre vingt minutes d’entracte ». Tout le Monde se rue sur les bières dans le hall. De sages asiatiques (un Tibétain, par exemple) en costards côtoyant en toute harmonie clones de Joan Jett, rockabs, et certains neusks dont on se demande, une fois de plus, comment ils font pour tenir débout…
Au retour, la salle est pleine comme un œuf et prête à copieusement manger dans la main de ses quatre héros lysergiques, leurs Marshall ainsi que la batterie à damiers de Cambouis. « OK, tu connais le morceau Cambouis ?!? Vous êtes prêts ?!? », lance l’Eurasien aux cheveux poivre et sel ras avant d’attaquer sur sa Gibson SG crème un premier instru. « Plus fort, plus fort, j’entends rien !!! » en guise de ralliement. Placé comme à son habitude sur la gauche de la scène (Rikko, le débonnaire bassiste s’imposant au centre), Luc Taï va faire plaisir à sa Raya en revisitant trente-cinq années de travaux tous azimuts. Le son est épais, adéquat. S’enchaînent « En Indochine » et « Jaurès Stalingrad ». Il salue son public façon bouddhiste. Plus que jamais, et sans forcer, l’alchimie entre Paris, l’Asie et le Rock est obtenue par La Souris. Jambes mi-écartées, Taï Luc assène « Brigitte Bardot Cambodgienne » avec autorité, ce morceau illustrant à lui tout seul la phrase précédente (« Devenue par le destin, une vraie parisienne »). Tant d’autorité dans le jeu que le pain dans les paroles passe inaperçu. La partie Dub-ragga qui clôt le morceau est, quant à elle, superbe. « Ok Cambouis, t’es prêt ?!? », la classique interrogation du chanteur-guitariste au batteur fait ce soir écho au « Charlie’s Good Tonight ? » de Jagger au sien, les Stones ayant eux-aussi joué du Rock’n’Roll plus d’une fois ici. Jagger, dont on entraperçoit d’ailleurs l’image stylisée en noir et blanc projetée sur le logo qui surplombe la scène (« Félicitations à Mathieu ! »). Entre autres images projetées dessus tout au long du concert : le panneau de la rue de la Butte-au-Cailles, Gainsbourg période « You’re Under Arrest », les escaliers du Palace avec les graffitis, des pochoirs d’Iggy Pop ou de Miss Tick, Gavroche, le logo des magasins Mammouth (!), etc… Le répertoire du groupe est tellement épais, que nul n’est besoin d’inclure de reprise pour étoffer le gig : « Marie-France », « Jeunes seigneurs », « Fukushima », « J’aimerai toujours cette musique », « International Raya Fan Club », « Sur les toits du Palace » (pas à tortiller, il la chante mieux que sur le disque…), « Little John », « Avant 75 »… La symbiose entre Luc et sa Raya est si parfaite que celui-ci émaille le set de nombreuses dédicaces (toujours son amour des personnages : à Chantal, par exemple) ainsi que de ses classiques injonctions (« Vous connaissez les paroles !?! »).
Rappel : La Souris quitte les planches pendant qu’une partie de la fosse entonne « Les princesses de la rue », morceau de la période Dub-Reggae (fin des eighties). Bien vu : revenu sur scène, le groupe exécute « Jeunesse de France » de 1988, facture un peu plus lente que la version studio. Le concert s’achève en festival Oï : « Rock’n’Roll Vengeance », des petites Birds dansent au balcon, ambiance MJC des années 80 boulevard des Capucines. Suit « François Vyllon », la référence au Quartier latin. Après un rallumage des lumières, Jean-Pierre, le guitariste historique monte en piste (« T’es prêt Jean-Pierre ?!? ») pour un morceau juste avant le final : une vingtaine de convives (et leurs enfants) sont invités sur scène et la batterie attaque « Marie-Dominique », d’après le poème de Pierre Mac Orlan chanté par Monique Morelli, et sur le soldat de Paris parti en Indochine. La boucle est presque bouclée et son premier couplet s’enchaîne naturellement sur un « Salut les copains » d’anthologie, scandé par l’ensemble des participants, à l’unisson avec la salle dont une partie pogote.
Fin de la kermesse. Luc donne rendez-vous à Sète en juillet et au Stand (« pour payer l’impôt révolutionnaire »). Sur le boulevard assombri (il est 23 heures 30 !), les groupes de potes et attroupements éprouvent un mal fou à se disperser tant la soirée a été riche et chaleureuse. Mes voisins de balcon m’ont dit venir de Nancy. Un ami de l’époque Parc des Princes retrouvé par hasard (mais il n’y a pas de hasard en fait) se propose de m’offrir une bière rue Caumartin. Nous sommes en 2015, les fonds des bus n’ont plus de banquettes orange mais La Souris vient de fêter ses trente-cinq ans à l’Olympia. Salutations.
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