Teleferik (+ Ddash, Viktor & the Haters), La Mécanique Ondulatoire, Jeudi 12 novembre 2015
Paris, onzième arrondissement, jeudi 12 novembre, un p’tit restau asiatique avant de pénétrer dans une des salles du quartier Bastille – La Roquette – Ledru Rollin : la Mécanique Ondulatoire. Ce soir, il fait étonnamment doux pour la saison, et le bruyant peuple de la Capitale est dehors. Devant la Méca des personnes partagent des cigarettes et se marrent à l’unisson : le jeudi c’est le vrai moment de la récréation chez nous. Ce tiède mois d’octobre – novembre 2015 est étrangement encombré de moult concerts et autres moments de bonheur collectif, à l’instar des festifs mai – juin : il y a eu Slayer (et Anthrax), Garbage, Apocalyptica, Deep Purple il va y avoir Motörhead, U2, Marylin Manson, Deftones, Foo Fighters, Eagles of Death Metal… et ce soir il y a Teleferik, le groupe Franco-Libanais formé en 2011, qui a côté de certains dinosaures cités supra fait figure d’eutriconodonte, ces petits mammifères du Crétacé qui leur survécurent…
Trêve de paléontologie, Eliz Murad, la chanteuse-bassiste, est la première du trio à se rendre sur zone, se frayant un passage entre les tables et les bandes d’amis qui carburent à la bière ou au Jäger, s’asseyant au bar, puis pianotant sur son Handy afin de rappeler le rendez-vous de la soirée à ses contacts virtuels. Pas stressée et peu pressée (à vue d’œil), car ce soir Teleferik joue en tête d’affiche épaulé par Ddash et par Viktor Coup?K. Un mini festoche parigot, se serait bien ballot de s’en priver, donc direction le sous-sol, le coup de tampon et la petite salle de concert dans la cave avec le bar et un siège au fond.
En solo, Ddash essuie les plâtres de l’événement et fait penser de loin, non à Alain Delon, mais à un sorte de Moby vener aux accents indus. Lui préfère se définir comme un artiste Rock – Grunge… « qui ressemble plutôt à Vin Diesel » (je le cite expressis verbis). Rectification acceptée, tant notre One Man joue Fast et Furious. Il achève son Show par une chanson parlant d’une pratique intime, que la décence m’oblige à passer sous silence en ce Webzine… vous irez vous renseigner par vous-même sur le travail de cet artiste assez polyvalent (il ne fait pas que crier et jouer distordu).
La température, déjà clémente, monte d’un cran avec l’irruption sur scène de Viktor Coup?K : un rappeur, une guitare et un MC… pas mauvais du tout, ça fait penser à 1995, l’année pas le groupe. L’intéressé acceptera plus tard la comparaison en ajoutant « c’était avant que le rap se barre en c… ». Les paroles des morceaux sont assez correctes, notre homme s’y dit « Border » et compare son Flow au métro aérien. Il rappe aussi une ode gouailleuse et passionnée à Paname, que n’aurait guère renié feu le Virage Auteuil (« Paname, Paname, c’est que j’l’aime, c’est que j’l’aime… »). Et bien, moi aussi j’aime bien Viktor Coup?K. Content qu’il soit venu (Rockin’) squatter la Mécanique Ondulatoire.
Il est 22 heures 51 lorsque Teleferik attaque son concert sur « Money Value ». La recette Kefta-fromage prend dès l’entame. S’ensuit le single « Behlam Fik » chanté en arabe, toujours aussi gouleyant. Le très pop-indie « Bombs and Rockets » fait danser les filles présentes dans la salle. Et d’un balayement des yeux, on réalise effectivement que la gent féminine est majoritaire dans cette salle du onzième arrondissement de ma Ville. Jolies et apprêtées, venues célébrer le rock d’ici entre copines. Il y a aussi de beaux hipsters barbus, mais pas seulement : des gars « issus de la diversité », comme on dit poliment dans certains dîners en ville, sont également là… Diversité, oui c’est le mot en fait. Les gens composant le public sont « divers » et s’amusent de concert. Le guitariste Arno Vincendo s’était dit d’humeur « Sloy » ce matin, ce trio biterrois de la seconde moitié des années 90 produit par Steve Albini… et il est plus qu’exact que la puissance de feu des deux groupes est comparable (Virginie, la grungy bassiste de Sloy, ses marinières et ses docs, était elle-aussi craquante…). D’ailleurs, l’espace d’un instant, on se dit que les oubliables années 2000, ses agaçantes chanteuses R’n’B et ses ridicules bébé-rockers, n’ont pas existé.
Mais, je me fourvoie. Nous sommes en 2015. Eliz Murad dédie, non sans émotion, « Mara » à la Ville meurtrie de Beyrouth. Oui, car ce jour, deux kamikazes s’y sont fait exploser, faisant 43 morts et 239 blessés. A ce titre, il faut avoir les deux yeux bouchés au papier émeri pour ne pas voir, surtout a posteriori, une myriade de précieux symboles dispersés tout au long de cette plaisante soirée du jeudi 12 novembre. Que l’oriental et lancinant « Mystic Machine », le nouveau simple, et surtout un surpuissant « Hero », ce bijou sonore, viennent clore. Nul doute en effet que ce fut une très belle soirée. Le lendemain, Paris sera, après son Amie Beyrouth, à son tour frappée par l’horreur absolue. Où quand l’histoire glisse des symboles inutiles et degueulasses.