Groupe: Megadeth
Album: Dystopia
Label: T-Boy Records – Universal
Date de sortie: 22/01/2016
Note: 16/20
2016. La guerre sainte est désormais portée sur quatre des cinq continents. Quinze ans, que le Pentagone à été touché par un attentat islamique, et deux mois que 130 personnes ont péri massacrées à la Kalachnikov au cours d’un concert à Paris. Un système d’alliances et de clientèles fait que nul n’est en mesure de garantir une Paix, ne serait-ce que provisoire, au Moyen-Orient, en Afrique musulmane ou dans les ex-possessions de l’URSS. Des dizaines de milliers de kilomètres de frontières ont été annihilés en quelques mois, des millions d’êtres humains sont astreints au chaos. Pendant ce temps, les vieilles démocraties occidentales peinent à protéger leurs populations, à préserver leurs économies et systèmes sociaux, à masquer l’incurie des personnels politiques. Au sein de la plus puissante d’entre elles le marketing institutionnel s’échine à habiller le squelettique bilan du président sortant, celui qui prétendait tout pouvoir en bichromie ; insulté au quotidien par un magnat ordurier et ignare, crassement certain de sa force financière, médiatique… et par-là-même démocratique.
« À force d’écrire des choses horribles, les choses horribles finissent par arriver » disait Louis Jouvet dans le film « Drôle de drame » (Marcel Carné, 1937). Trente ans que Dave Mustaine écrit sur la guerre sainte (« Holy Wars »), sur l’impuissance du droit et des institutions internationales (« Peace Sells… But who’s Buying ? »), sur la faillite du système social Américain (« Foreclosure of a Dream »), sur le cynisme des politiciens (« Symphony of Destruction ») ou encore sur le sacrifice des générations à venir (« Youthanasia »). Narrant crûment ces réalités, les exagérant parfois (les fantasmant ? Au vu de son récent Coming Out néoconservateur qui n’a guère surpris personne, il est permis de se poser la question) la pythie rouquine semble avoir devancé notre aimable quotidien. 2016, une année par et pour Dave Mustaine. Lequel sort ces jours-ci « Dystopia », la quinzième Bullet de son groupe, Megadeth.
Vic Rattlehead, le squelette aveugle-sourd-muet en costume-cravate Corporate qui personnifie le ‘Deth depuis 1985 est au centre de la pochette. Bon signe, car à chaque fois que celui-ci en fut absent, un bide artistique et commercial s’ensuivit (« Risk », « Super Collider »). Le design de la couv’ s’inscrit dans le graphisme en vogue : métallisé et diaphane, à l’instar de celui des derniers Apocalyptica ou Fear Factory. Au pied d’un Golden Gate Bridge 2.0 endommagé, Vic semble représenter un policier (ou un milicien) qui vient de décapiter une Miss Liberty robotique, son long sabre asiatique (?) en main. Un clin d’œil visuel à La planète des singes et à l’Anticipation des années 1960-1970 ? En tous cas, un symbole de l’État liberticide, ou de sa faillite. Soit une thématique classique chez les militants du Tea Party, et autres émules de Nozick, Hayek ou Milton Friedman (pas Marty, non), dont Dave Mustaine fait partie. Robert Nozick, auteur de « Anarchie, État et Utopie » en 1974, triptyque qui résume la pensée du Megadave.
Quant aux titres des morceaux, point de révolution (même conservatrice) : ceux-ci s’inscrivent dans le champ lexical classique de Megadeth : « Threat », « Death », « Bullet », « World », « Poisonous »… Formant des concepts à l’avenant, inscrits dans l’inconscient du rouquin libertarien, révélateurs de ses obsessions : « Post American World », « Conquer or Die! », « Lying in State », « The Emperor », etc… Il en est de même pour ses textes : « Justified / Obliteration / No Ones Cares Anymore / The Messiah or Mass Murderer / No Controlling Who Comes Trought the Door » rumine Mustaine dès les premières strophes de « The Threat is Real » (Remarque : Hetfield aurait pu également les écrire vers 1986-1988). Nota Bene : « Dystopia » est aussi le nom d’un groupe de Crust US, ainsi que le titre du dixième album des Tampamens d’Iced Earth publié en 2011. Visiblement ce mot plait : contre-utopie, il désigne une société qui institutionnalise l’absence de bonheur, ou une utopie qui tourne au cauchemar.
Ce morceau, et l’album, s’ouvre sur un chant féminin aérien et arabisant. C’est celui de l’artiste Jordanienne Farah Siraj, ambassadrice auprès de l’ONU (l’institution pourtant honnie depuis 1986). Mustaine a expliqué vouloir mélanger ici « les deux mondes » : joliment fait quoique un peu trop court, les guitares saccadées intervenant un peu trop vite. Morceau adéquat pour commencer un concert. De par sa structure, le plaintif « Dystopia » raisonne comme un lointain écho au paranoïaque et glacial « Hangar 18 » : 138 mots pour cinq minutes, une intro à la Maiden, une succession de chorus aigus et de riffs lourds syncopés (type « Wake up Dead »). La production ( (c) Mustaine et Toby Wright, Lattitude South, Tennessee) est délibérément actuelle, précise ; elle est plus fluide que celles auxquelles Megadeth nous avait habitué (sauf peut-être « Youthanasia »). De subtils Backing Vocals (et nappes de synthé) disséminés un peu partout, ainsi que la guitare de Kiko Loureiro, donnent une impression de légèreté.
Contrairement à ce que certains fans redoutaient, l’apport du progueux Loureiro s’avère assez positif. Moins agressive que celle du populaire Marty Friedman, sa guitare donne le change à celle du Boss. Solo désespéré sur « Dystopia », et ce magnifique « Poisonous Shadows ». Le jeu de batterie du Lamb of God’s Chris Adler apporte une touche contemporaine aux rythmiques. L’âme damnée Dave Ellefson semble aux abonnées absentes sur cet opus, tant dans la réflexion que dans la conception. Il n’est crédité nulle part, et on n’entend sa basse que sur un passage du mégalithe « Fatal Illusion ». Il se rattrapera probablement sur l’exécution : une tournée mondiale a été initiée au Texas la semaine dernière. « Foreign Policy » clôt cet album bleu-gris : une reprise d’un morceau de 1982 par Fear (groupe de Hardcore californien, qu’un certain GNR a également repris en 1993 : « I don’t care about you… Fuck you! » souvenez-vous). Une critique, surtout, de la faiblesse de la politique étrangère actuelle des USA. Megadeth nous rappelle qu’il est chevronné en matière de reprises tout azimuts (Howlin’ Wolf, Sex Pistols, Alice Cooper, Black Sabbath, Thin Lizzy…). Excellente Cover, même si elle n’a plus rien à voir avec le minimalisme Hardcore.
« Dystopia » joint donc la forme et le fond, suivant en cela les quatre ou cinq albums classiques de Megadeth. Mélodique et investi, et assez proche de « Rust in Peace », le disque reprendrait les choses là où « Youthanasia » les a laissées il y vingt-deux ans. Et les conjugue au contemporain, grâce notamment à ses deux recrues. Il a été dit que le décès prématuré de Jeff Hanneman aurait précipité l’enregistrement de ce bel objet ; tiré au cordeau et mélancolique, « Dystopia » serait une prise de conscience du caractère éphémère des choses, y compris de celui d’un groupe qui entre dans sa quatrième décennie. Album soigné et très homogène : à part les deux premiers morceaux, aucun single (voire hymne) ne se détache. Quatre mois après le lugubre « Repentless » de Slayer, Megadeth prouve à sa façon qu’il fait encore partie des Titans qui clashent. La balle est désormais dans le camp d’Anthrax (« For all Kings », le 26 février).