Groupe: ANTHRAX
Titre: FOR ALL KINGS
Label: NUCLEAR BLAST
Sortie le: 26/02/2016
Note: 16/20
Un homme ne change pas, il évolue. Et c’est idem a fortiori pour un groupe d’hommes, fut-il un groupe de Thrash Metal. Après Slayer et son Jésus lugubre (« Repentless ») et le glacial « Dystopia » de Megadeth, est venu le tour des cinq amis du rigolo Not Man. A eux de nous donner leur version Mid-tenties des faits et de leur art. A première vue, l’enregistrement de « For All Kings » s’est déroulé sous les auspices les plus favorables pour Anthrax depuis au moins « Persistence of Time » de 1990. Faisant suite à l’épisode canapé de l’autobiographie « I’m the Man » de Scott Ian (chroniquée dans la Art Zone en décembre 2014), à la commercialisation du Café Benante (« Benante’s Blend », également disponible avec sachet dédicacé par le batteur sur benante.com) et à l’ensoleillée croisière Motörboat (RIP Lemmy), ce sont des néos-quinquas requinqués, réconciliés avec eux-mêmes (et entre eux), qui sont venus, tels cinq rois mages bruns, nous offrir ce onzième présent Mosh.
Une pochette grandiloquente lui sert d’écrin. Sous une voute type cathédrale ou temple, une marche ouverte par les statues de Scott Ian sur la gauche et de Charlie Benante sur la droite, respectivement suivies par celles de Joey Belladonna et Franck Bello, et fermée au centre et au fond par Jonathan Donais, domine une foule en extase. Les icones d’Anthrax en toges enveloppées par une pénombre cryptique. Une obscurité à peine percée par les faisceaux lumineux qui émanent du pentacle d’Anthrax, lequel est gravé ou incrusté (un vitrail ?) dans le mur de ce sombre édifice. Au pied des statues, toutes coiffées de cinq couronnes différentes et tenant chacun une crosse épiscopale surmontée du même pentacle, une foule de damnés acclame les idoles. Les malheureux (?) font une sorte de signe de la victoire, l’index et le majeur tournés vers l’avant. Urbi et Orbi, la bulle Anthraxale est délivrée : les cinq gourous sont de retour, dans l’intérêt supérieur du drôle et du son.
Un instrumental ouvre cette procession sur un roulement de tambour. Il fait penser à l’introduction du classique « Be All, End All » sur « State of Euphoria », en plus développé (1:32). Et s’enchaine sur le saccadé « You gotta Believe ». Damn’ que la structure de ce premier psaume est complexe. Ses six minutes une alternent cavalcades au refrain et double grosse caisse en mid-tempo pour les couplets, plus gros Mosh vers le milieu, et instru fluide à la basse qui se poursuit sur une montée typique du Thrash eighties, avant de revenir sur une cavalcade finale (ouf !). Suit le Groovy « Monster at the End », qui va se révéler utile sur scène. Son ossature est également peu évidente. Sur l’intro du désespéré « For All Kings », on jurerait entendre Bruce Dickinson chanter a cappella. Lui succède l’épique « Breathing Lightning ». Les accord à la jolie guitare sèche évoquent « Antisocial ». Pas la suite, puisqu’il s’agit d’un bon gros morceau à cœurs ciselés, qui s’enchaîne sur un instrumental reprenant le thème à la sèche. Sur « Suzerain », Belladonna nous répète que « Nothing is Over », comme un Mantra. Le très étendu (7:53) « Blood Eagle Wings » est un morceau plus lent, avec là-aussi une basse disto bien présente, presque prog’ (« Orion » ?). Les vocaux, les chorus et les cœurs de ce bijou sont magnifiques. Peut-être le meilleur morceau de l’album. Sa volupté contraste avec la rythmique King-Kong « Defend / Avenge », adoucie par des harmonies vocales raffinées. Tous les morceaux sont enchaînés ou presque, ce qui renforce l’idée de cohésion. Il faut écouter et réécouter cet album pour l’appréhender. Et cette sympathique cérémonie de treize chapitres se clôt sur un « Zero Tolerance », dont l’esprit et les paroles engagées évoquent « Belly of the Beast » et la scène NYHC.
Le point fort de « For All Kings » est sans nul doute une production hors-pair, la meilleure de la carrière des gugusses. Egalement, cette forte diversité des morceaux et des ambiances, Anthrax aligne comme à la foire tous les plans et Gimmicks qui ont fait sa fortune. Comme une sorte de compilation faite de morceaux inédits. On parie que de nombreux gamins découvriront le groupe en se faisant offrir ce disque (ou prêter aussi), d’autant plus que le Revival Thrash Old School bat son plein dans toutes les cours de lycée de la planète.
Le point faible ? Probablement un sentiment, justement, de déjà-vu. Visiblement, le Vatican II du groupe n’a pas eu lieu, les cinq statues n’ont pas souhaité bouger leur ligne musicale d’un doigt de pied d’Atlas. La Lead Guitar de Jonathan Donais joue souvent en retrait, exactement comme celle de Dan Spitz auparavant. Son baptême n’aura pas modifié la ligne directrice. Ainsi qu’une absence de titre-phare à forte personnalité conceptuelle, on regrette quelque peu aussi l’absence d’une reprise interlope, type Trust ou Joe Jackson (reprendre le souffreteux anglais pour le multivitaminer et l’américaniser fut très fort de café). Paradoxalement, le contenu de « For All Kings » s’avère finalement plus sérieux que sa pochette, rejoignant dans leurs esprits « Sound of White Noise » et « Stomp 442 ».
Enfin, on recommandera chaleureusement (car ANR est un Webzine toujours chaleureux) la version Deluxe du compact-disc, laquelle contient un « Bonus Live EP » recelant des versions en public de « A.I.R. », de « Caught in a Mosh » et de « Madhouse » enchainées. Et d’une qualité probablement supérieure à celles des versions studios (la prod’ du troisième a toujours paru cheap). Car Anthrax le sait : c’est en Live et avec Fun qu’il est le plus fort des groupes de hardos. A ce titre, il n’est pas interdit de penser que le meilleur album des New Yorkais serait finalement « Attack of the Killer B’s », avec ses versions Live puissantisimes et ses titres potaches et foutraques. Puissance scénique et humour, un groupe d’hommes ne change pas…