HOT on the rocks!

Interview KEMAR GULBENKIAN / NO ONE IS INNOCENT

vendredi/08/07/2016
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KEMAR GULBENKIAN (voyant le Sweat capuche, goguenard) : Chelsea Football Club…

ANR (Romain, en mode Desproges) : « Made in ma Maman » en fait… j’ai acheté l’écusson deux euros sur e-bay et elle l’a cousu… J’ai un t-shirt David Bowie en dessous…

KEMAR : Très bon choix…

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ANR : Merci. Alors, c’est parti, on va commencer par l’actu musique, qui est aussi gaie que l’actu tout court : Prince vient de partir au Paradis, et on a pu lire dans la presse branchée qu’on avait « chacun son Prince ». Et toi, c’est quoi ton Prince ?

KEMAR (embarrassé) : Ah putaIn… Je ne sais pas… Mon Prince préféré… Y’en a pas mal… Y’en a pas mal…

ANR : Vous êtes un groupe de Fusion : y’a p’tet un côté plus Rock, y’a p’tet un côté plus Funk, y’a p’tet un côte plus Electro, qui peut prendre le dessus…

KEMAR : Écoute, moi ce ne peut pas être UN Prince, parce que Prince c’est un mec que je respecte énormément voire dix fois plus que Michael Jackson par exemple, désolé, parce qu’à part deux-trois titres de « Thriller » et « Off the Wall »… Alors que Prince nous a bluffés tout le long de sa carrière. Et, j’ai plutôt cette notion du groupe. Finalement, mon Prince, c’est plutôt Bon Scott, Ozzy, Robert Plant, Bowie dont tu parlais, Marley… Lemmy… Ça c’est MES Prince.

ANR : Alors, on va y venir : vous avez fait la tournée Française de Motörhead en première partie pour cinq dates en 2011. Petite anecdote ou pas ?

KEMAR : Au deuxième concert, quand t’as Phil Campbell qui est sur le côté en train de te hurler dessus parce qu’il kiffe… C’est plutôt agréable… Et puis après, qui se colle un autocollant de No one is innocent sur une de ses grattes…

ANR (Pascal, enthousiaste) : Je l’ai vu au concert, franchement c’était bien, j’adore…

KEMAR : Voilà, après « anecdote »… Heu…

ANR (Romain) : Non, le sticker c’était bien.

ANR (Pascal) : En plus, le sticker il l’a toujours.

KEMAR : Ouais, il l’a toujours. Et puis à la fin, au Zénith de Paris, ça s’est fini au champagne, on avait l’impression d’avoir fait 25 dates avec eux, et non, on en a fait seulement cinq. Le Crew de Motörhead nous a calculés, et puis à la fin de la deuxième soirée, c’était parti. En fait, ils ont compris que nous, nous étions à notre place et que c’était cela qu’ils voulaient. C’est normal, ils te jaugent, ils te jugent… Phil Campbell voulait nous emmener avec eux sur une tournée aux États-Unis avec Tool, Megadeth, une affiche de oufs… et j’ai aimé l’enthousiasme, tout ce qu’ils dégageaient. Bon, Lemmy était déjà fatigué… Une anecdote : avant de démarrer cette tournée, j’avais l’intention de réaliser un rêve, à savoir de chanter « Metropolis » avec Motörhead, de le demander à Lemmy, et donc pendant ces cinq dates… et bien, je me suis chié dessus, et je l’ai pas fait…

ANR : Johnny Rotten, c’était un des amis de Lemmy. A à ce qu’il paraît ce serait également un des amis de No one, en fait c’est ce que vous dites dans votre DVD Barricades Live…

KEMAR : Tu sais comme moi que « No one is innocent » est un morceau des Sex Pistols. On jouait dans un festival en Bretagne avec eux comme tête d’affiche, et le directeur du festival voulait qu’on fasse une photo de groupe. Je ne sais pas ce qu’il se passe : le manager un peu skinhead des Pistols apprend cela, et aux alentours des caravanes, nous pointe du doigt en nous criant dessus « C’est vous No one is innoncent ? Fuck You ! No Pictures ! ». Et Rotten sort de sa caravane. Rebelote, on se prend une salve de Rotten dans la gueule : « Fuck You Frenchies ! Fuck You ! Fuck Off ! Fuck You ». Nous on commence à en rire, et rebelote sur scène le soir, il nous insulte sans raison…

ANR : C’est quoi ton morceau préféré des Pistols ?

KEMAR : « Pretty Vacant ».

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ANR : On vos aurait plutôt vu célébrer les Clash, non ?

KEMAR : Logique. Joe Strummer… Tu veux dire quoi par « célébrer » ?

ANR : La parenté entre No one is innocent et les Clash est plus évidente, non ? Les Pistols c’est le cynisme, le cuir, les Clash sont plus politisés…

KEMAR : Le fait est que tu es dépendant d’une période : quand on a commencé, les Clash avaient arrêté depuis un moment…

ANR : Les Pistols aussi.

KEMAR : Les Pistols, ils reviennent pour payer leurs impôts. Et puis il y en a un qui est toujours là, qui est toujours au micro. Mais ceci dit, je n’ai rien contre Johnny Rotten.

ANR : Et l’autre qui supporte Chelsea justement : Steve Jones, le guitariste, est un gros fan de Chelsea, alors que Johnny Rotten est un fan absolu d’Arsenal…

KEMAR : Exact. Et je n’ai rien contre Johnny Rotten. Et c’est vrai que je suis cent fois plus fan des Clash que des Pistols. Par le parcours, par les idées… En fait, les Clash étaient des faux punks…

ANR : C’est ce que disait Lemmy à propos d’eux…

KEMAR : Evidemment. C’était des mecs qui faisaient du Rockabilly, et à un moment donné, il y a un manager qui est arrivé, et qui les a formaté Punk…

ANR : En plus, quand tu sais que Joe Strummer a eu les cheveux longs et a fait partie d’une communauté…

KEMAR : Grave. Il a une conscience politique. Comme Dylan ou Springsteen.

ANR : Springsteen est moins dans le slogan…

KEMAR : Springsteen est moins dans le slogan, mais plus dans la description de la vie des gens.

ANR : Alors : dans la version Live de « Rotten » de votre DVD qui vient de sortir, vous enchainez sur le riff de « Give it away » des Red Hot Chili Peppers…

KEMAR (le coupe) : Pas de « Give it Away »…

ANR : … de « Sweat Leaf » de Black Sabbath, c’est le même Riff… Attends, je n’ai fini de poser ma question…

KEMAR (rire franc) : Bien amenées, en tous cas, bien amenées tes questions… Je veux voir si le mec il a réagi…

ANR : Merci. Sauf si je me goure, vous avez aussi repris « Sleep now in the fire » de Rage Against The Machine, auquel vous avez souvent été comparés…

KEMAR (le coupe) : On nous a toujours parlé de Rage, car nous avons la même énergie.

ANR : Bref, justement, quel est ton premier souvenir du genre « Fusion », quelque part à la fin des années 1980 ?

KEMAR : Justement : Rage en première partie de Suicidal Tendencies à l’Elysée Montmartre, 1993 ! J’avais eu la chance d’avoir deux tickets pour Suicidal, que je ne kiffe pas trop, ce n’est pas ma tasse de thé. Et je dis à mon pote graphiste, celui qui fera plus tard la première pochette de No one, de venir avec moi, on habitait Pigalle. Et là : LA claque. Ce jour-là, on a réalisé que l’histoire du Rock allait changer…

ANR : Un an avant la sortie de votre disque…

KEMAR : Exactement. Auparavant, j’avais commencé à bosser sur mes compos pendant un an, et elles allaient sans le savoir dans ce sens-là, celui de Rage Against The Machine. Pas aussi Hip Hop, mais dans l’énergie et en variant le Groove…

ANR : Le côté revendicatif…

KEMAR : J’ai eu envie d’avoir des textes engagés. Et au moment où, par surprise, je vois Rage, je me dis : « Ca y est, ça arrive ! ». LA claque. A l’époque, Zack de la Rocha slammait dans le public. Deux ans plus tard, il ne le fera plus. C’est surtout, que jamais, à l’Elysée Montmartre, on n’avait entendu un hurlement pareil, pendant vingt minutes pour faire revenir un groupe de première partie sur scène : JAMAIS. On a croisé Morello, qui traversait le public, et lui a demandé le nom de son groupe… mais il nous a répondu trop vite, on n’a rien compris : « Quoi ?!? Machine quoi ?!? ». L’album est sorti et le truc qui était génial, c’est qu’on se souvenait encore de tous les titres qu’on avait entendu Live ce soir-là…

ANR : Deux ans après, vers 1995, vous avez collaboré avec deux groupes de Rap Français (EJM ; Timide et sans complexe) : quel est ton avis sur l’état actuel du genre ?

KEMAR : C’est la cata. Je pense que le pognon a pris le pas sur l’artistique. Et que paradoxalement, c’est très dur pour les vrais artistes de Rap de passer en radio. Et surtout que, parallèlement, il y a une génération qui a évolué, un état d’esprit qui a changé. Tu vois, les gens de notre génération, toi, moi, avions une conscience politique, une idée de ce que devait être la société, et là, basculement vers une génération qui n’en a rien à foutre, quoi.

ANR (Pascal, hilare) : C’est exactement cela.

KEMAR : Et cette génération-là est typiquement en phase avec ce que les mecs produisent et ce les djeuns veulent entendre : le fric, le cul, la sape, les meufes…

ANR (Pascal) : J’ai entendu une interview de Snoop qui parlait de cela, et il disait que par rapport aux années 1990, c’est devenu n’importe quoi, et même aux USA…

KEMAR : Bien sûr. Sauf qu’eux arrivent encore à produire de la bonne musique. En France, après le dernier NTM, ça part en vrille. 1999 c’est la fin. Le Secteur Ä, ce n’était pas vraiment la folie…

ANR (Romain) : C’était déjà mieux que Nekfeu…

KEMAR : Ouais, c’est sur… Quand à un moment donné, ça a basculé, c’est aussi parce que le Rock Français s’est essoufflé et a commencé à chanter en Anglais. Tu vois, il n’y a plus la Mano, les Bérus, tous ces groupes majeurs qui ont marqué la jeunesse. Et là, les jeunes écoutent du Hip Hop, qui raconte nawak, parce que ça chante en Français.

ANR : Votre dernier DVD s’intitule « Barricades Live ». Un mot sur l’agitation en cours en France ?

KEMAR : Il y a déjà la symbolique de le sortir un vendredi 13 mai, la symbolique aussi de mai 1968… Finalement, il faut se reporter au texte de « Silencio », (NB : le premier extrait de leur nouvel album « Propaganda ») et tout est dit. Malheureusement. Ce qui est chiant là-dedans, c’est que Hollande, c’est un mec que dans le fond je respecte plutôt… Il a niqué nos rêves et la gauche. Et là, il le paie.

ANR : Et le titre de « Revolution.com » sorti en 2004 n’était pas une prédiction des réseaux sociaux ?

KEMAR : Complétement. C’est lors d’un chat organisé dans un Internet Café qu’on a eu l’idée de ce morceau. On avait observé des gens qui signaient des pétitions en ligne, et qui nous avaient assuré « faire la révolution » comme ça.

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ANR : Il y a aussi le morceau « Massoud ». Et si l’assassinat de Massoud, trois jours avant le11 septembre 2001, était finalement la vraie première date du vingt-et-unième siècle ?

KEMAR : Mais je suis complètement d’accord avec toi mec. C’était la seule personne qui pouvait faire en sorte que les guerres s’arrêtent et que cette région se stabilise. Massoud a fait la tournée des pays occidentaux et il n’a pas été écouté, parce que derrière tu avais les amerloques qui complotaient avec les Pakistanais… Depuis, il n’y a pas eu de nouveau Massoud. L’assassinat de Massoud c’est le tournant de l’histoire du Moyen-Orient.

ANR : Autre date : sur « Propaganda » il y a le morceau « Charlie ». Que faisais-tu le 7 janvier 2015 ? Le midi ?

KEMAR : J’étais chez moi. Et c’est par hasard ma femme qui a allumé la téloche. Je n’ai pas reçu de texto.

ANR : Qu’écoutiez-vous lors de l’enregistrement de « Propaganda » ?

KEMAR : Malheureusement, que notre musique.

ANR (Rires) : On commémore en 1915-1916 les cent ans du Génocide Arménien et Assyro-Chaldéen. Que t’inspire cela, et comment as-tu commémoré la mémoire des défunts ?

KEMAR : Ecoute, j’ai répondu ça à une interview des Nouvelles d’Arménie, qui me suivent depuis le début du groupe : je suis parti en Arménie pour la première fois de ma vie en septembre dernier, avec mes amis des Ogres de Barback, qui ont également des origines Arméniennes. Et on a été trimballés pendant une semaine par un homme qui connaît extrêmement bien l’Arménie, et qui possède des réseaux qui nous ont permis d’aller chez les paysans. Et j’ai vu. Avant, j’avais beaucoup lu, mais je ne m’étais pas rendu compte à quel point c’est un pays qui crève la dalle. Quand tu sors d’Erevan, tu vas vers le Nord, il reste encore des stigmates du tremblement de terre de 1988. Et au Sud du pays, ils crèvent bien la dalle, c’est bien soviétique encore comme tableau. Et là, je me dis qu’il y a plus important que cette commémoration. Pourtant, j’en ai parlé il y a vingt ans, dans les textes de mes chansons. J’y ai fait référence et j’ai levé le poing sur scène. Et, autant te dire qu’il y a vingt ans, personne ne connaissait le Génocide Arménien, et tout le Monde me demandait de quoi je parlais dans ce moment de nos concerts. Bref, cette commémoration, tu sais c’est quoi ? Ce sont des problèmes de riches, de la diaspora des Arméniens du Monde entier : les Amerloques, les Argentins, les Européens…

ANR : Marseille…

KEMAR : Le vrai souci des Arméniens, c’est de bouffer et d’avoir de l’électricité. La vie quoi. J’invite tous les mecs qui parlent de la reconnaissance du Génocide Arménien par la Turquie à aller d’abord là-bas. Mon Père, qui n’est plus là aujourd’hui, m’a toujours dit dans sa sagesse, que la Turquie devait rentrer dans l’Union européenne, pour qu’ils ne puissent plus toucher à un seul cheveu des Arméniens et des autres dans la région. Economiquement, c’est peut être une galère, mais pas géopolitiquement. Et ça, ça m’a fait hyper réfléchir, car cela allait à l’encontre de ce que je pensais.

ANR : Et pour finir, le dimanche 19 juin 2016,15 heures 05, vous serez Mainstage 1 au Hellfest. Un message à faire passer pour les lecteurs d’Art n’ Roll ?

KEMAR : On veut vous voir. Toi, je veux te voir, et toi aussi, OK ?!? (NB : ce fut fait). On est heureux de jouer dans le plus grand festival Hippie. Car pour moi, le Hellfest est un festival Hippie. En plus, sur la même scène que Black Sabbath, qui nous succédera quelques heures après, le sommet du sommet… Et puis, surtout, on va faire en sorte que Lemmy nous entende, parce qu’on va jouer « (We are) The Roadcrew » pour lui…

ANR : On y sera. Merci Kemar.

KEMAR : Merci les gars. C’était cool.

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